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Trois moyens de réconcilier performance d’entreprise et impact 

Thierry Rayna
Thierry Rayna
chercheur au laboratoire CNRS i³-CRG* et professeur de l’École polytechnique (IP Paris)
Valentine Georget
Valentine Georget
maître de conférences en management à l’Université Côte d’Azur et chercheuse au GREDEG (CNRS)
En bref
  • Innover en business model est une des préoccupations principales des entreprises, nombreuses à remettre en question l’impact de leurs activités.
  • Pourtant, la notion d’impact reste floue et les outils manquent pour l’évaluer aussi précisément que la performance économique ou financière.
  • Il est nécessaire d’aller au-delà du concept de « sustainable business model » en s’assurant de la prise en compte de l’impact de l’entreprise dans son ensemble.
  • Les accusations de « greenwashing », ou « impact-washing », proviennent du non-alignement entre création de valeur et communication de valeur au sein du business model.
  • Le rôle des parties prenantes (institutions, financeurs, académies…) dans la délivrance d’impact est fondamental.

Innover en busi­ness mod­el afin de sur­vivre aux « dis­rup­tions » est au cœur des préoc­cu­pa­tions des entre­pris­es. Mais cette ques­tion a tra­di­tion­nelle­ment été liée à des objec­tifs de péren­nité, de développe­ment et de per­for­mance – essen­tielle­ment finan­cière – de l’entreprise. Or, poussées par les change­ments cli­ma­tiques majeurs, ain­si que par la « quête de sens » touchant la jeunesse et une part crois­sante de la société, de plus en plus d’entreprises s’interrogent sur l’impact non seule­ment économique mais encore envi­ron­nemen­tal et social de leurs activités. 

Les entre­pris­es dis­posent de moyens pré­cis pour mesur­er leur per­for­mance économique et finan­cière, mais la notion même d’impact, ain­si que les out­ils néces­saires qui en découlent, restent flous et incom­plets. Même les entre­pris­es les plus avancées sur ces ques­tions restent à ce jour dému­nies de moyens de con­cili­er leur néces­saire per­for­mance avec des impérat­ifs d’impact de plus en plus pressants. 

#1 Dépasser le concept de « sustainable business model » 

Pris entre deux injonc­tions a pri­ori con­tra­dic­toires – per­for­mance d’entreprise et impact – les entre­pris­es cherchent de nou­velles clés de lec­ture et de prise de déci­sion. En réponse à ce besoin, de nom­breuses ten­ta­tives ont été faites afin de définir ce qu’est un « busi­ness mod­el durable » (ou « sus­tain­able busi­ness mod­el »), notam­ment au moyen d’archétypes de busi­ness mod­els vertueux que les entre­pris­es en quête d’impact (par choix ou par oblig­a­tion) se devraient de suivre.

Si ces mod­èles, ou « can­vas », ont comme intérêt de sen­si­bilis­er les entre­pris­es et leurs dirigeants à ces ques­tions, ils ont pour défaut de mélanger deux ques­tions pour­tant essen­tielle­ment dis­tinctes : le « quoi » (ou « pourquoi »), c’est-à-dire l’impact, et le « com­ment », c’est-à-dire le busi­ness mod­el. Or, en stratégie, con­fon­dre la fin et les moyens est rarement une bonne idée ! C’est pourquoi il est fon­da­men­tal d’utiliser des out­ils dis­tincts, l’un per­me­t­tant un diag­nos­tic et une com­préhen­sion fine des busi­ness mod­els, l’autre per­me­t­tant d’appréhender de manière exten­sive et holis­tique l’impact qui en résulte. 

Or, l’étude que nous avons menée1 mon­tre une prise en compte très par­tielle et par­tiale de l’impact : seuls les aspects envi­ron­nemen­taux et, par­fois, soci­aux, sont pris en compte par les entre­pris­es dans leurs éval­u­a­tions, même par les plus avancées sur ce sujet. Cela  influe néga­tive­ment sur la déf­i­ni­tion de leurs straté­gies et la réflex­ion à pro­pos de l’évolution de leur busi­ness mod­el

Cette par­tial­ité découle d’un biais « quan­ti­tatif » : il est beau­coup plus aisé d’évaluer ce que l’on peut mesur­er. Cela pousse les entre­pris­es, même les plus atten­tives à ces ques­tions, à se focalis­er sur des dimen­sions envi­ron­nemen­tales et quan­tifi­ables (typ­ique­ment les émis­sions de CO2), lais­sant de côté les dimen­sions envi­ron­nemen­tales, mais surtout sociales, qui si observ­ables, sont par nature dif­fi­cile­ment mesurables (par ex. la bio­di­ver­sité, la résilience). Ce tro­pisme est ren­for­cé par les out­ils de mesure d’impact exis­tant, eux-mêmes par­tiels et par­ti­aux, et les règle­men­ta­tions et poli­tiques publiques, qui ten­dent à pouss­er les entre­pris­es à ne pren­dre en compte que cer­tains aspects de l’impact, et ce de manière partielle. 

Fig­ure 1. Les dif­férentes dimen­sions d’impact

Notre étude illus­tre le risque que font encourir les « métriques com­binées » (ayant pour objec­tif d’aboutir à une « note » ou indice glob­al d’impact) qui sur­sim­pli­fient un phénomène essen­tielle­ment com­plexe et cachent les arbi­trages néces­saires entre les dimen­sions d’impact : un impact dans une dimen­sion (par exem­ple envi­ron­nemen­tale) se fait sou­vent au détri­ment d’autres dimen­sions (sociale ou économique). L’impact doit être pris en compte dans sa glob­al­ité (dimen­sions envi­ron­nemen­tales et sociales, évidem­ment, mais égale­ment économiques, et socié­tales2) pour décider en con­nais­sance de cause. 

#2 Aligner impact et business model pour éviter le « greenwashing »

Notre étude révèle une crainte général­isée des entre­pris­es d’accusations de « green­wash­ing », ou « impact-wash­ing ». Or notre analyse des poli­tiques RSE des grandes entre­pris­es met en évi­dence la source de ces accu­sa­tions : très sou­vent, leurs actions RSE sont large­ment décon­nec­tées du cœur de leur busi­ness mod­el et de leur créa­tion de valeur. Elles ne ser­vent finale­ment que de vecteur de com­mu­ni­ca­tion, sans chang­er fon­da­men­tale­ment la nature et l’étendue de l’impact de ces entre­pris­es : planter des arbres (action RSE pop­u­laire de nos jours) ne fait pas par­tie de la créa­tion de valeur des entre­pris­es, à moins qu’elles ne soient des entre­pris­es horticoles ! 

Fig­ure 2. Les dif­férentes dimen­sions d’un busi­ness model.

Les straté­gies d’impact des entre­pris­es ne con­cer­nent sou­vent qu’un aspect par­ti­c­uli­er de leur busi­ness mod­el, à savoir la com­mu­ni­ca­tion de valeur, lais­sant de côté les autres dimen­sions du busi­ness mod­el (propo­si­tion de valeur, créa­tion de valeur, dif­fu­sion de valeur, cap­ture de valeur). Par­fois, ces entre­pris­es créent un pro­duit ou un ser­vice « à impact » – typ­ique­ment un pro­duit « vert » (par exem­ple, les éco-recharges, les sham­po­ings solides) ou « éthique » – ven­du plus cher (avec une plus forte marge) à des con­som­ma­teurs plus aisés, mais qui ne résul­tent pas, mal­gré la com­mu­ni­ca­tion qui en est faite, en un impact significatif. 

Ce non-aligne­ment entre impact et busi­ness mod­el con­duit aux accu­sa­tions de « green/im­pact-wash­ing ». Lorsque l’impact est inscrit dans toutes les com­posantes du busi­ness mod­el, la com­mu­ni­ca­tion autour de l’impact devient alors intrin­sèque­ment crédi­ble. Il est alors moins néces­saire pour l’entreprise de com­mu­ni­quer autour de l’impact : la com­mu­ni­ca­tion se fait d’elle-même. 

Autre con­clu­sion : « faire de l’impact » ne con­siste pas tant à faire de « nou­velles choses » – lancer des pro­duits ou ser­vices « à impact » – mais à faire dif­férem­ment « les même choses », en trans­for­mant le busi­ness mod­el afin que ce dernier soit, à pro­duits ou ser­vices don­nés, véri­ta­ble­ment por­teur d’impact dans toutes ses dimensions. 

#3 Embarquer les écosystèmes internes et externes

Notre étude mon­tre le rôle cri­tique des écosys­tèmes (réseaux de valeur) dans la capac­ité d’une entre­prise, aus­si grande soit-elle, à délivr­er de l’impact. Un impact d’ampleur et durable ne se fait pas seul, y com­pris pour les plus grandes entre­pris­es. Le rôle des par­ties prenantes internes et externes (entre­pris­es, insti­tu­tions, financeurs, académiques, société), dans la délivrance d’impact est pri­mor­dial. Mobilis­er les par­ties prenantes exis­tantes et en attir­er de nou­velles est fondamental. 

Mais cela requiert une com­préhen­sion fine et exhaus­tive de l’écosystème de l’entreprise, car même si l’entreprise trou­ve le busi­ness mod­el « par­fait », sa mise en place peut se retourn­er con­tre elle si ce dernier ne per­met pas de mobilis­er les par­ties prenantes indis­pens­ables à sa réal­i­sa­tion, et aliène des partenaires-clés. 

Fig­ure 3. Car­togra­phi­er les par­tie prenantes de l’écosystème.

Enfin, notre étude mon­tre le rôle fon­da­men­tal de la gou­ver­nance dans la délivrance d’impact, tant au niveau de l’innovation en busi­ness mod­el, qu’à celui de la mobil­i­sa­tion de l’écosystèmes. Que cela soit vis-à-vis des par­ties prenantes internes ou externes à l’entreprise, de la ges­tion de ses ressources, etc., il est néces­saire de repenser les modes et formes de gou­ver­nance d’entreprise : c’est un ingré­di­ent-clé dans la réc­on­cil­i­a­tion de la per­for­mance de l’entreprise avec l’impact qu’elle souhaite atteindre. 

Une méthodologie pour réconcilier performance et impact

Notre étude a abouti à la mise en place d’une méthodolo­gie per­me­t­tant de repenser la stratégie d’entreprise pour con­cili­er per­for­mance et impact. Com­bi­nant trois out­ils dis­tincts – diag­nos­tic busi­ness mod­el, car­togra­phie d’écosystème, éval­u­a­tion d’impact – elle per­met à l’entreprise d’appréhender de manière fine chaque aspect de ce prob­lème com­plexe. Chaque out­il con­stitue une clé d’entrée dans la réflex­ion. Selon le con­texte, les entre­pris­es et leurs équipes peu­vent être amenées à réfléchir et diag­nos­ti­quer tout d’abord un de ces trois aspects – le busi­ness mod­el ou les écosys­tèmes ou l’impact – avant de s’interroger sur la manière dont les deux autres dimen­sions affectent cet objec­tif premier. 

Pour con­clure, est-il pos­si­ble de con­cili­er per­for­mance d’entreprise et impact ? Nous sommes con­va­in­cus que la réponse est oui. Mais cela requiert une autre vision, élargie, de ce que sont la per­for­mance et l’impact. En par­ti­c­uli­er, cela néces­site pour les entre­pris­es d’adopter des out­ils de déci­sion leur per­me­t­tant de com­pren­dre de manière fine leur capac­ité de créa­tion de valeur et d’impact, en lien avec leur écosystème.

Fig­ure 4. Méthodolo­gie com­binée réc­on­ciliant per­for­mance d’en­tre­prise et impact.
123 entre­tiens d’acteurs (grands groupes, star­tups, fonds d’investissement, experts) affichant une appé­tence forte pour l’impact et deux focus groups réal­isés auprès de deux grandes entre­pris­es.
2Pour sim­pli­fi­er, la lit­téra­ture sci­en­tifique con­sid­ère comme impact social un impact sur un indi­vidu ou un groupe d’individus, alors que l’impact socié­tal relève de la société elle-même dans son ensem­ble (par exem­ple la capac­ité de la société à s’aider elle-même, par sa résilience, son opti­misme, etc.).

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