Cet article est la deuxième partie sur deux d’une enquête réalisée avec l’Ifop, en août 2022. Cliquez ici pour télécharger les résultats de notre enquête.
Plus de 50 % pensent que la science n’est pas assez représentée
Invités à se positionner sur la place qu’occupe actuellement la science dans les grands débats de société 1, une majorité de Français (56 %) considère qu’elle n’a « pas assez de place », tandis que 38 % considèrent qu’elle n’en a ni trop ni pas assez. Seuls 6 % des Français estiment que la science prend trop de place dans ces débats. Par rapport à 2018, soit avant la crise sanitaire, l’état de l’opinion sur cette question demeure absolument inchangé.
Pour autant, 82 % des Français considèrent que les décideurs politiques devraient davantage s’appuyer sur les scientifiques et sur les agences sanitaires indépendantes pour éclairer leurs décisions, dont 20 % qui sont tout à fait d’accord avec cette affirmation. Ce score, bien qu’élevé, enregistre une baisse notable de ‑5 points par rapport à 2018, peut-être ici le signe d’un effet Covid où l’on a pu voir les pouvoirs publics adapter leurs décisions – parfois impopulaires – en fonction de l’avis du conseil scientifique.
Si plus de 7 Français sur 10 considèrent ensuite que les programmes politiques devraient davantage se baser sur des études scientifiques (75 %, 15 % étant tout à fait d’accord avec cette affirmation), ils ne sont plus que 33 % à considérer que les programmes politiques actuels sont basés sur des études scientifiques et 39 % à considérer que la science est suffisamment présente dans le débat public.
Cet écart entre la volonté des Français et la réalité de l’action politique actuelle dans son rapport à la science vient toutefois se heurter à une inquiétude forte vis-à-vis de l’instrumentalisation de la science dans le débat public : 73 % des Français sont ainsi d’accord avec l’idée selon laquelle « la science est instrumentalisée dans le débat public », dont 14 % qui en sont tout à fait convaincus.
Plus précisément, les 25–34 ans et les employés (CSP -) sont à nouveau surreprésentés (respectivement 78 % et 81 % d’entre eux), ainsi que les 50–64 ans (84 %). Ici encore, la crise sanitaire et les décisions politiques jugées parfois autoritaires vis-à-vis des restrictions de déplacement, d’obligation du port du masque, d’obligation vaccinale, etc., pour tenter d’enrayer l’épidémie ont pu contribuer à alimenter cette affirmation.
40 % pensent que la science apporte plus de bien que de mal à l’humanité
Les apports de la science sont indéniables pour les Français, avec toutefois une défiance non négligeable envers son corollaire, le progrès technique.
D’une manière générale, 40 % des Français ont l’impression que la science apporte à l’humanité plus de bien que de mal, et 45 % considèrent qu’elle apporte autant de bien que de mal. 15 % ont en revanche l’impression que la science apporte plus de mal que de bien, et cette proportion est en augmentation significative par rapport aux années 1980 (4 % en 1989 et 6 % en 1982). Si peu de différences sont observées entre certaines catégories de population sur le fait que la science apporterait « plus de mal que de bien », on retrouve plusieurs clivages parmi ceux estimant qu’elle apporte « plus de bien » : les hommes (46 %), les habitants de l’Île-de-France (47 %), les diplômés du supérieur (63 %), les sympathisants de gauche (49 %), de LREM (54 %) ou encore de LR (65 %) sont plus nombreux à reconnaître l’apport bénéfique de la science pour l’humanité, tandis que les femmes (35 %), les habitants de province (39 %), les non-diplômés (29 %), les sympathisants du RN (35 %) ou encore ceux sans aucune sympathie partisane (28 %) apparaissent sous-représentés.
Outre la crainte d’instrumentalisation de la science évoquée précédemment, les Français témoignent d’une certaine défiance à l’encontre du progrès technique, qu’ils associent fortement à la science : en effet 86 % affirment que la science a pour finalité le développement de progrès techniques.
Cette défiance rejoint la défiance envers les pouvoirs publics – et rejoint donc l’idée d’une instrumentalisation de la science – dans la mesure où 6 Français sur 10 affirment que le progrès technique sert surtout à augmenter le pouvoir de ceux qui gouvernent. Ce score enregistre une hausse considérable de 17 points par rapport à 1989.
En parallèle, même si cette perception est en recul par rapport à 1989 et le début de la désindustrialisation, l’association entre progrès technique et chômage reste élevée chez les Français : 55 % considèrent que le progrès technique accroît le chômage, contre 77 % en 1989, soit 22 points de moins. Là encore, les femmes, davantage touchées par le chômage et plus precarisées dans l’emploi, sont surreprésentées (59 % contre 49 % des hommes). À l’inverse, une autre majorité de Français (53 %) considère qu’à long terme le progrès technique crée plus d’emplois qu’il n’en supprime (+8 points par rapport à 1989), et cette idée est plus précisément défendue par les hommes (61 % contre 45 % des femmes), par les habitants d’Île-de-France (63 % contre 50 % des habitants de province).
Des avis partagés sur la nocivité des technologies
Les Français ont confiance en la science lorsqu’il s’agit de prouver la nocivité d’un produit ou d’une technologie, mais l’inverse n’est pas toujours vrai.
En effet, les OGM recueillent le plus faible score de favorabilité (19 %, dont seulement 3 % de tout à fait favorables) et sont également perçus comme des produits dont la nocivité est scientifiquement prouvée par une majorité relative de Français (44 %), avec 8 % seulement qui évoquent des bienfaits scientifiquement prouvés, 4 % qui estiment l’absence de risque scientifiquement prouvée, 21 % qui estiment que ni la nocivité ni les bienfaits ne sont scientifiquement prouvés et les 23 % restant ne se prononçant pas.
Vient ensuite, la 5G, pour laquelle les avis sont partagés en termes d’utilisation : une courte majorité (58 %) s’y estime favorable, quand 42 % y sont défavorables dont 13 % tout à fait défavorables. Et les avis concernant sa nocivité sont également partagés : 19 % l’estiment scientifiquement prouvée contre 16 % qui estiment que ses bienfaits ou son absence de nocivité sont scientifiquement prouvés, tandis que la majorité des répondants soit considère que ni l’un ni l’autre ne sont prouvés (34 %), soit ne se prononce pas (31 %).
L’énergie nucléaire a un taux d’acceptabilité relativement élevé (64 %) alors même que 31 % considèrent sa nocivité scientifiquement prouvée. Pour autant, ici le principe de nécessité semble être à l’œuvre. Ainsi, si seuls 8 % défendent l’idée que l’absence de risque est scientifiquement prouvée, ils sont 19 % à évoquer des bienfaits scientifiquement prouvés (probablement l’utilisation d’une énergie décarbonée). On note toutefois 19 % qui considèrent que ni l’un ni l’autre ne sont prouvés et 23 % qui ne se prononcent pas.
Enfin, le vaccin contre le Covid-19 et l’homéopathie ont des taux d’acceptabilité très majoritaires (respectivement 63 % et 83 %, dont 28 % et 34 % tout à fait favorables) et cela est à mettre en regard d’une balance bénéfice/risque en faveur de bienfaits scientifiquement prouvés.
Ces éléments tendent à prouver la confiance des Français en la science lorsqu’il s’agit de prouver la nocivité d’un produit ou d’une technologie. Mais en l’absence de consensus fort, leur attitude diffère, en fonction de la CSP, du niveau de connaissance mais également et principalement en fonction du genre. En effet, les femmes sont largement surreprésentées parmi ceux étant favorables à l’utilisation de l’homéopathie (+6 points par rapport aux hommes et +12 points parmi ceux étant tout à fait favorables à son utilisation), tandis qu’elles sont moins nombreuses à se déclarer favorables à l’utilisation du nucléaire (-17 points par rapport aux hommes), du vaccin (- 18 points) ou encore de la 5G (-16 points).
2/3 pensent qu’il faut ralentir les innovations face au réchauffement climatique
À la fois source du problème et vecteur de solution, la science du XXIe siècle doit s’emparer du défi majeur qu’est le climat.
On l’a vu, les Français témoignent d’une forte confiance envers la science, et cela se traduit dans le champ environnemental par la considération largement partagée que les études scientifiques permettent d’évaluer correctement l’impact de l’activité humaine sur l’évolution du climat (81 % sont en accord avec cette proposition, dont 18 % qui sont tout à fait d’accord). La science est donc pour eux en mesure de rendre compte de l’ampleur du problème.
Cependant, 84 % partagent également le point de vue selon lequel « la science n’a pas le droit de faire certaines choses parce que cela transformerait trop la nature », partageant ainsi l’adage rabelaisien « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Cette opinion – avec laquelle 28 % sont tout à fait d’accord – est en hausse de 2 points par rapport à 1989, et portée principalement par les sympathisants de gauche (90 %), plus sensibles aux enjeux climatiques, ainsi que par les plus diplômés (86 %). Les Français établissent ainsi une limite à la science, très probablement en lien avec leurs préoccupations environnementales. C’est donc sans surprise qu’après l’été caniculaire de 2022, marqué par les pics de chaleurs, les incendies et les violents orages, et marqués par la défiance déjà évoquée vis-à-vis du progrès technique, que 2 Français sur 3 (65 %) affirment que l’humanité surmontera le réchauffement climatique seulement à condition de ralentir le rythme d’innovations, de s’orienter vers la sobriété et les « technologies douces » ou « low tech ».
À l’inverse, seuls 1/3 des Français (35 %) sont convaincus que le progrès technique permettra de surmonter le réchauffement climatique tout en préservant le système économique actuel et la recherche de croissance.
Dans le détail, les partisans de la sobriété rassemblent plusieurs types de profils : d’une part les femmes (73 % vs 57 % des hommes) dont on a vu qu’elles étaient plus critiques à l’égard de la science et du progrès technique, et globalement l’ensemble des Français ayant une mauvaise image de la science (71 %), mais également les sympathisants de gauche (70 %) et notamment EELV (75 %).