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Que signifie « avoir confiance en la science » ?

Sondage : 65% des Français pensent qu’il faut ralentir les innovations face au réchauffement 

Jérôme Fourquet , directeur du département Opinion de l’Ifop
Le 29 novembre 2022 |
7 min. de lecture
JF
Jérôme Fourquet
directeur du département Opinion de l’Ifop
En bref
  • Une majorité de Français (56 %) considère que la science n’a pas assez de place dans le débat public.
  • Pourtant, 73 % des Français trouvent que la science est instrumentalisée dans le débat public, dont 14 % qui en sont tout à fait convaincus.
  • 15 % ont l’impression que la science apporte plus de mal que de bien à l’humanité : cette proportion est en augmentation significative par rapport aux années 1980.
  • 6 Français sur 10 affirment que le progrès technique sert surtout à augmenter le pouvoir de ceux qui gouvernent.
  • 2/3 des Français pensent qu’il faut ralentir les innovations face au réchauffement climatique.

Cet arti­cle est la deux­ième par­tie sur deux d’une enquête réal­isée avec l’Ifop, en août 2022. Cliquez ici pour télécharg­er les résul­tats de notre enquête. 

Plus de 50 % pensent que la science n’est pas assez représentée

Invités à se posi­tion­ner sur la place qu’occupe actuelle­ment la sci­ence dans les grands débats de société 1, une majorité de Français (56 %) con­sid­ère qu’elle n’a « pas assez de place », tan­dis que 38 % con­sid­èrent qu’elle n’en a ni trop ni pas assez. Seuls 6 % des Français esti­ment que la sci­ence prend trop de place dans ces débats. Par rap­port à 2018, soit avant la crise san­i­taire, l’état de l’opinion sur cette ques­tion demeure absol­u­ment inchangé. 

Pour autant, 82 % des Français con­sid­èrent que les décideurs poli­tiques devraient davan­tage s’appuyer sur les sci­en­tifiques et sur les agences san­i­taires indépen­dantes pour éclair­er leurs déci­sions, dont 20 % qui sont tout à fait d’accord avec cette affir­ma­tion. Ce score, bien qu’élevé, enreg­istre une baisse notable de ‑5 points par rap­port à 2018, peut-être ici le signe d’un effet Covid où l’on a pu voir les pou­voirs publics adapter leurs déci­sions – par­fois impop­u­laires – en fonc­tion de l’avis du con­seil scientifique. 

Si plus de 7 Français sur 10 con­sid­èrent ensuite que les pro­grammes poli­tiques devraient davan­tage se baser sur des études sci­en­tifiques (75 %, 15 % étant tout à fait d’accord avec cette affir­ma­tion), ils ne sont plus que 33 % à con­sid­ér­er que les pro­grammes poli­tiques actuels sont basés sur des études sci­en­tifiques et 39 % à con­sid­ér­er que la sci­ence est suff­isam­ment présente dans le débat public. 

Cet écart entre la volon­té des Français et la réal­ité de l’action poli­tique actuelle dans son rap­port à la sci­ence vient toute­fois se heurter à une inquié­tude forte vis-à-vis de l’instrumentalisation de la sci­ence dans le débat pub­lic : 73 % des Français sont ain­si d’accord avec l’idée selon laque­lle « la sci­ence est instru­men­tal­isée dans le débat pub­lic », dont 14 % qui en sont tout à fait convaincus. 

Plus pré­cisé­ment, les 25–34 ans et les employés (CSP -) sont à nou­veau sur­représen­tés (respec­tive­ment 78 % et 81 % d’entre eux), ain­si que les 50–64 ans (84 %). Ici encore, la crise san­i­taire et les déci­sions poli­tiques jugées par­fois autori­taires vis-à-vis des restric­tions de déplace­ment, d’obligation du port du masque, d’obligation vac­ci­nale, etc., pour ten­ter d’enrayer l’épidémie ont pu con­tribuer à ali­menter cette affirmation. 

40 % pensent que la science apporte plus de bien que de mal à l’humanité

Les apports de la sci­ence sont indé­ni­ables pour les Français, avec toute­fois une défi­ance non nég­lige­able envers son corol­laire, le pro­grès technique.

D’une manière générale, 40 % des Français ont l’impression que la sci­ence apporte à l’humanité plus de bien que de mal, et 45 % con­sid­èrent qu’elle apporte autant de bien que de mal. 15 % ont en revanche l’impression que la sci­ence apporte plus de mal que de bien, et cette pro­por­tion est en aug­men­ta­tion sig­ni­fica­tive par rap­port aux années 1980 (4 % en 1989 et 6 % en 1982). Si peu de dif­férences sont observées entre cer­taines caté­gories de pop­u­la­tion sur le fait que la sci­ence apporterait « plus de mal que de bien », on retrou­ve plusieurs cli­vages par­mi ceux esti­mant qu’elle apporte « plus de bien » : les hommes (46 %), les habi­tants de l’Île-de-France (47 %), les diplômés du supérieur (63 %), les sym­pa­thisants de gauche (49 %), de LREM (54 %) ou encore de LR (65 %) sont plus nom­breux à recon­naître l’apport béné­fique de la sci­ence pour l’humanité, tan­dis que les femmes (35 %), les habi­tants de province (39 %), les non-diplômés (29 %), les sym­pa­thisants du RN (35 %) ou encore ceux sans aucune sym­pa­thie par­ti­sane (28 %) appa­rais­sent sous-représentés. 

Out­re la crainte d’instrumentalisation de la sci­ence évo­quée précédem­ment, les Français témoignent d’une cer­taine défi­ance à l’encontre du pro­grès tech­nique, qu’ils asso­cient forte­ment à la sci­ence : en effet 86 % affir­ment que la sci­ence a pour final­ité le développe­ment de pro­grès techniques. 

Cette défi­ance rejoint la défi­ance envers les pou­voirs publics – et rejoint donc l’idée d’une instru­men­tal­i­sa­tion de la sci­ence – dans la mesure où 6 Français sur 10 affir­ment que le pro­grès tech­nique sert surtout à aug­menter le pou­voir de ceux qui gou­ver­nent. Ce score enreg­istre une hausse con­sid­érable de 17 points par rap­port à 1989. 

En par­al­lèle, même si cette per­cep­tion est en recul par rap­port à 1989 et le début de la désin­dus­tri­al­i­sa­tion, l’association entre pro­grès tech­nique et chô­mage reste élevée chez les Français : 55 % con­sid­èrent que le pro­grès tech­nique accroît le chô­mage, con­tre 77 % en 1989, soit 22 points de moins. Là encore, les femmes, davan­tage touchées par le chô­mage et plus pre­carisées dans l’emploi, sont sur­représen­tées (59 % con­tre 49 % des hommes). À l’inverse, une autre majorité de Français (53 %) con­sid­ère qu’à long terme le pro­grès tech­nique crée plus d’emplois qu’il n’en sup­prime (+8 points par rap­port à 1989), et cette idée est plus pré­cisé­ment défendue par les hommes (61 % con­tre 45 % des femmes), par les habi­tants d’Île-de-France (63 % con­tre 50 % des habi­tants de province).

Des avis partagés sur la nocivité des technologies

Les Français ont con­fi­ance en la sci­ence lorsqu’il s’agit de prou­ver la nociv­ité d’un pro­duit ou d’une tech­nolo­gie, mais l’inverse n’est pas tou­jours vrai. 

En effet, les OGM recueil­lent le plus faible score de favor­a­bil­ité (19 %, dont seule­ment 3 % de tout à fait favor­ables) et sont égale­ment perçus comme des pro­duits dont la nociv­ité est sci­en­tifique­ment prou­vée par une majorité rel­a­tive de Français (44 %), avec 8 % seule­ment qui évo­quent des bien­faits sci­en­tifique­ment prou­vés, 4 % qui esti­ment l’absence de risque sci­en­tifique­ment prou­vée, 21 % qui esti­ment que ni la nociv­ité ni les bien­faits ne sont sci­en­tifique­ment prou­vés et les 23 % restant ne se prononçant pas. 

Vient ensuite, la 5G, pour laque­lle les avis sont partagés en ter­mes d’utilisation : une courte majorité (58 %) s’y estime favor­able, quand 42 % y sont défa­vor­ables dont 13 % tout à fait défa­vor­ables. Et les avis con­cer­nant sa nociv­ité sont égale­ment partagés : 19 % l’estiment sci­en­tifique­ment prou­vée con­tre 16 % qui esti­ment que ses bien­faits ou son absence de nociv­ité sont sci­en­tifique­ment prou­vés, tan­dis que la majorité des répon­dants soit con­sid­ère que ni l’un ni l’autre ne sont prou­vés (34 %), soit ne se prononce pas (31 %). 

L’énergie nucléaire a un taux d’acceptabilité rel­a­tive­ment élevé (64 %) alors même que 31 % con­sid­èrent sa nociv­ité sci­en­tifique­ment prou­vée. Pour autant, ici le principe de néces­sité sem­ble être à l’œuvre. Ain­si, si seuls 8 % défend­ent l’idée que l’absence de risque est sci­en­tifique­ment prou­vée, ils sont 19 % à évo­quer des bien­faits sci­en­tifique­ment prou­vés (prob­a­ble­ment l’utilisation d’une énergie décar­bonée). On note toute­fois 19 % qui con­sid­èrent que ni l’un ni l’autre ne sont prou­vés et 23 % qui ne se pronon­cent pas. 

Enfin, le vac­cin con­tre le Covid-19 et l’homéopathie ont des taux d’acceptabilité très majori­taires (respec­tive­ment 63 % et 83 %, dont 28 % et 34 % tout à fait favor­ables) et cela est à met­tre en regard d’une bal­ance bénéfice/risque en faveur de bien­faits sci­en­tifique­ment prouvés. 

Ces élé­ments ten­dent à prou­ver la con­fi­ance des Français en la sci­ence lorsqu’il s’agit de prou­ver la nociv­ité d’un pro­duit ou d’une tech­nolo­gie. Mais en l’absence de con­sen­sus fort, leur atti­tude dif­fère, en fonc­tion de la CSP, du niveau de con­nais­sance mais égale­ment et prin­ci­pale­ment en fonc­tion du genre. En effet, les femmes sont large­ment sur­représen­tées par­mi ceux étant favor­ables à l’utilisation de l’homéopathie (+6 points par rap­port aux hommes et +12 points par­mi ceux étant tout à fait favor­ables à son util­i­sa­tion), tan­dis qu’elles sont moins nom­breuses à se déclar­er favor­ables à l’utilisation du nucléaire (-17 points par rap­port aux hommes), du vac­cin (- 18 points) ou encore de la 5G (-16 points). 

2/3 pensent qu’il faut ralentir les innovations face au réchauffement climatique

À la fois source du prob­lème et vecteur de solu­tion, la sci­ence du XXIe siè­cle doit s’emparer du défi majeur qu’est le climat. 

On l’a vu, les Français témoignent d’une forte con­fi­ance envers la sci­ence, et cela se traduit dans le champ envi­ron­nemen­tal par la con­sid­éra­tion large­ment partagée que les études sci­en­tifiques per­me­t­tent d’évaluer cor­recte­ment l’impact de l’activité humaine sur l’évolution du cli­mat (81 % sont en accord avec cette propo­si­tion, dont 18 % qui sont tout à fait d’accord). La sci­ence est donc pour eux en mesure de ren­dre compte de l’ampleur du problème. 

Cepen­dant, 84 % parta­gent égale­ment le point de vue selon lequel « la sci­ence n’a pas le droit de faire cer­taines choses parce que cela trans­formerait trop la nature », partageant ain­si l’adage rabelaisien « sci­ence sans con­science n’est que ruine de l’âme ». Cette opin­ion – avec laque­lle 28 % sont tout à fait d’accord – est en hausse de 2 points par rap­port à 1989, et portée prin­ci­pale­ment par les sym­pa­thisants de gauche (90 %), plus sen­si­bles aux enjeux cli­ma­tiques, ain­si que par les plus diplômés (86 %). Les Français étab­lis­sent ain­si une lim­ite à la sci­ence, très prob­a­ble­ment en lien avec leurs préoc­cu­pa­tions envi­ron­nemen­tales. C’est donc sans sur­prise qu’après l’été canic­u­laire de 2022, mar­qué par les pics de chaleurs, les incendies et les vio­lents orages, et mar­qués par la défi­ance déjà évo­quée vis-à-vis du pro­grès tech­nique, que 2 Français sur 3 (65 %) affir­ment que l’humanité sur­mon­tera le réchauf­fe­ment cli­ma­tique seule­ment à con­di­tion de ralen­tir le rythme d’innovations, de s’orienter vers la sobriété et les « tech­nolo­gies douces » ou « low tech ». 

À l’inverse, seuls 1/3 des Français (35 %) sont con­va­in­cus que le pro­grès tech­nique per­me­t­tra de sur­mon­ter le réchauf­fe­ment cli­ma­tique tout en préser­vant le sys­tème économique actuel et la recherche de croissance. 

Dans le détail, les par­ti­sans de la sobriété rassem­blent plusieurs types de pro­fils : d’une part les femmes (73 % vs 57 % des hommes) dont on a vu qu’elles étaient plus cri­tiques à l’égard de la sci­ence et du pro­grès tech­nique, et glob­ale­ment l’ensemble des Français ayant une mau­vaise image de la sci­ence (71 %), mais égale­ment les sym­pa­thisants de gauche (70 %) et notam­ment EELV (75 %).

1Méthodolo­gie : L’enquête a été menée auprès d’un échan­til­lon de 1 003 per­son­nes, représen­tatif de la pop­u­la­tion française âgée de 18 ans et plus. La représen­ta­tiv­ité de l’échantillon a été assurée par la méth­ode des quo­tas (sexe, âge, pro­fes­sion de la per­son­ne inter­rogée) après strat­i­fi­ca­tion par région et caté­gorie d’agglomération. Les inter­views ont été réal­isées par ques­tion­naire auto-admin­istré en ligne, du 16 au 19 août 2022.

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