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Les nouveaux paradigmes du vieillissement

Soigner le vieillissement : vers un nouveau paradigme ?

Jean-Marc Lemaître, directeur de recherche INSERM à l’Institut de Médecine régénératrice et Biothérapie de Montpellier (IRMB)
Le 8 novembre 2022 |
5 min. de lecture
LEMAITRE Jean-Marc
Jean-Marc Lemaître
directeur de recherche INSERM à l’Institut de Médecine régénératrice et Biothérapie de Montpellier (IRMB)
En bref
  • Découvrir un traitement qui fait gagner 3 à 5 ans de vie sur une maladie mortelle augmente en même temps la probabilité d'avoir une autre maladie liée au vieillissement plus tard.
  • Il faudrait donc considérer le vieillissement comme une maladie à part entière, de façon à éviter les pathologies qui y sont liées.
  • Reprogrammer les cellules vieillissantes permettrait de combattre les pathologies liées à l’âge tout en gagnant en longévité.
  • En modifiant des cellules sénescentes, il serait également possible d’opérer un processus de rajeunissement.
  • À l’avenir, on pourrait prescrire à des êtres humains non-malades des molécules comme la metformine, qui vise à repousser l’ensemble des pathologies liées à l'âge.

Il y a eu deux grandes révo­lu­tions dans la lente his­toire de la recherche sur le vieil­lisse­ment. Il y a d’abord eu celle liée à l’espérance de vie à la nais­sance. Si notre espérance de vie a dou­blé en un siè­cle, c’est essen­tielle­ment parce que nous avons éradiqué la mor­tal­ité infan­tile avec la vac­ci­na­tion et l’hy­giène, puis les antibi­o­tiques. Ce qui a égale­ment aug­men­té depuis les années 1950, et c’est notre deux­ième révo­lu­tion, c’est notre longévité, c’est-à-dire que l’on vit plus longtemps en moyenne. Depuis le milieu du XXe siè­cle, l’âge de notre mort a été grande­ment repoussé, et notre espérance de vie n’a cessé d’aug­menter. Et cela est prin­ci­pale­ment dû aux médica­ments dévelop­pés pour les mal­adies de la vieil­lesse (le dia­bète, les mal­adies car­dio­vas­cu­laires, le can­cer, etc.). 

En revanche, nous ne vieil­lis­sons pas for­cé­ment en bonne san­té. Pour quelles raisons ? Nous ne traitons en réal­ité que les patholo­gies qui survi­en­nent et se suc­cè­dent au moment de la vieil­lesse. Cepen­dant, depuis plus de quinze ans, mon tra­vail m’amène à penser que c’est plutôt la vieil­lesse que nous devri­ons traiter comme mal­adie à part entière.

Inverser le processus de vieillissement

Quand notre pro­gramme a démar­ré en 2006, nous sommes par­tis de zéro en prenant comme axe de recherche com­ment l’on passe d’un embry­on « juvénile » a un indi­vidu vieil­lis­sant. Si nous vieil­lis­sons, c’est parce que ce sont nos cel­lules qui vieil­lis­sent. Je me suis focal­isé sur les deux types de cel­lules que l’on retrou­ve dans les tis­sus avec l’âge : les cel­lules sénes­centes et les cel­lules qui vieil­lis­sent en se dépro­gram­mant. Et très vite, mon hypothèse a tenu au fait qu’il fal­lait donc repro­gram­mer ces cel­lules pour com­bat­tre les patholo­gies liées à l’âge. Hasard du cal­en­dri­er, lorsque je démarre ce pro­jet, le chercheur japon­ais Shinya Yamana­ka démon­tre que l’on peut repro­gram­mer des cel­lules pour en faire des cel­lules embry­on­naires, ce qui nous a poussés à persévérer.

Dès 2011, nos travaux ont prou­vé que le vieil­lisse­ment est réversible. Un peu plus tard, des chercheurs démon­trent que si l’on sup­prime les cel­lules sénes­centes des souris, on est en mesure d’augmenter leur espérance de vie. Ensuite, d’autres lab­o­ra­toires, dont le nôtre, ont dévelop­pé des études sur la repro­gram­ma­tion des cel­lules per­me­t­tant égale­ment de gag­n­er en longévité. Au sein de la com­mu­nauté sci­en­tifique tra­vail­lant sur le vieil­lisse­ment, un con­sen­sus s’est ain­si lente­ment dégagé autour de neuf mar­queurs de vieil­lisse­ment cel­lu­laire, rigoureuse­ment défi­nis : les Hall­marks of aging – ou piliers du vieil­lisse­ment en français. Ils per­me­t­tent de suiv­re pré­cisé­ment la sénes­cence de nos cel­lules et de notre organ­isme. Un vieil­lisse­ment que l’on arrive égale­ment à détecter dans le sang.

Au bout de ce chem­ine­ment de recherch­es et d’essais, une con­clu­sion claire s’est imposée : lorsque nous ciblons deux de ces mar­ques du vieil­lisse­ment de nos cel­lules, la sénes­cence et la dépro­gram­ma­tion « épigéné­tique », pour les cor­riger, nous gagnons en longévité, et les patholo­gies liées à l’âge dis­parais­sent. Ces dernières ne sont en effet que la con­séquence du vieil­lisse­ment de nos cel­lules : le vieil­lisse­ment est la mère des mal­adies, c’est donc elle qu’il faut cibler. 

« Il faut considérer le vieillissement comme une maladie »

Ce con­stat est aujourd’hui partagé par de nom­breux col­lègues. Nous savons aujourd’hui que nous pou­vons utilis­er des petites molécules pour sup­primer des cel­lules sénes­centes qui s’avèrent délétères pour les tis­sus. Si l’on sup­prime ces cel­lules sénes­centes sur des mod­èles ani­maux, on gagne 30 % de vie en bonne san­té en repous­sant les patholo­gies liées à l’âge. Ce sont des développe­ments en cours, et des essais clin­iques sont réal­isés dans cer­tains pays, notam­ment aux États-Unis qui sont en avance sur le sujet. 

Des chercheurs améri­cains font du lob­by­ing pour met­tre en place des essais clin­iques sur des per­son­nes âgées saines.

Le prob­lème de ces études, c’est que pour l’in­stant, il ne s’ag­it que d’essais clin­iques sur des patholo­gies liées à l’âge : fibrose pul­monaire, dia­bète, arthrose, etc. Mais la mal­adie est déjà là, le tis­su est déjà abîmé. Les résul­tats seraient plus impor­tants si l’on pou­vait traiter le patient avant que la mal­adie ne soit là, avant que le défaut tis­su­laire ne soit con­staté. Et là, nous ren­trons véri­ta­ble­ment dans un sys­tème de préven­tion. Pour pou­voir traiter le vieil­lisse­ment avec des médica­ments et des petites molécules, il faut pou­voir le con­sid­ér­er comme une mal­adie, ce qui n’est pas encore le cas et pose prob­lème aux médecins. Des chercheurs améri­cains font juste­ment du lob­by­ing auprès des agences régle­men­taires pour met­tre en place des essais clin­iques sur des per­son­nes âgées saines – non malades –, pour voir si on amélior­erait effec­tive­ment la phys­i­olo­gie tout en évi­tant ces pathologies.

Vieillissement et rajeunissement

Il existe un autre axe de tra­vail : le raje­u­nisse­ment. On sait aujourd’hui repro­gram­mer des cel­lules pour les raje­u­nir, et mon équipe a été la pre­mière, il y a plus de dix ans, à démon­tr­er que le vieil­lisse­ment cel­lu­laire était réversible. En repro­gram­mant des cel­lules sénes­centes et des cel­lules vieil­lis­santes de cen­te­naires, on peut les con­ver­tir en cel­lules à la phys­i­olo­gie raje­u­nie. Aujourd’hui, nous arrivons à repro­gram­mer l’ensemble des cel­lules d’une souris pour les raje­u­nir, et une poignée de lab­o­ra­toires dans le monde tra­vail­lent dans ce domaine. Ces essais per­me­t­tent à la souris de gag­n­er 30 % de vie en plus, en bonne san­té. Des pro­jets très ambitieux au niveau inter­na­tion­al sont égale­ment mis en place, avec l’appui de bud­gets de l’or­dre de plusieurs mil­liards de dol­lars, de façon à aller encore plus loin et pou­voir trans­fér­er ces tech­nolo­gies chez l’Homme.

La recherche sur le vieil­lisse­ment et le raje­u­nisse­ment nous amèn­era à aug­menter l’espérance de vie dans un avenir proche.

Ces deux axes de recherche, nous amè­nent irrémé­di­a­ble­ment vers une aug­men­ta­tion de l’espérance de vie dans un avenir proche. Ce sera sans doute le cas dans les dix ans à venir aux États-Unis, puisque des chercheurs sont déjà en train de réalis­er un essai clin­ique sur un repo­si­tion­nement de médica­ments – autrement dit, la réu­til­i­sa­tion des médica­ments déjà disponibles sur le marché. Une fois ces recherch­es validées, dans cinq à six années, il sera pos­si­ble de pre­scrire à des êtres humains non-malades des molécules comme la met­formine, qui vise à repouss­er l’ensem­ble des patholo­gies liées à l’âge. 

À mes yeux, la France doit égale­ment faire de la préven­tion du vieil­lisse­ment une pri­or­ité, sans atten­dre que les gens devi­en­nent malades avec l’âge. Si l’on raisonne math­é­ma­tique­ment, décou­vrir un traite­ment qui fait gag­n­er trois à cinq ans de vie sur une mal­adie mortelle aug­mente en même temps la prob­a­bil­ité d’avoir une autre mal­adie liée au vieil­lisse­ment plus tard. Et ain­si de suite. Si l’on con­sid­ère vrai­ment la vieil­lesse comme une mal­adie, si on la traite comme telle, cela per­me­t­trait d’éviter toutes les patholo­gies liées à l’âge en même temps. Ces travaux deman­dent une médecine nou­velle, une médecine de la longévité, une géri­a­trie 2.0 pour gag­n­er en espérance de vie et faire de la longévité en bonne san­té un enjeu majeur de notre société. 

Propos recueillis par Jean Zeid

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