Il y a eu deux grandes révolutions dans la lente histoire de la recherche sur le vieillissement. Il y a d’abord eu celle liée à l’espérance de vie à la naissance. Si notre espérance de vie a doublé en un siècle, c’est essentiellement parce que nous avons éradiqué la mortalité infantile avec la vaccination et l’hygiène, puis les antibiotiques. Ce qui a également augmenté depuis les années 1950, et c’est notre deuxième révolution, c’est notre longévité, c’est-à-dire que l’on vit plus longtemps en moyenne. Depuis le milieu du XXe siècle, l’âge de notre mort a été grandement repoussé, et notre espérance de vie n’a cessé d’augmenter. Et cela est principalement dû aux médicaments développés pour les maladies de la vieillesse (le diabète, les maladies cardiovasculaires, le cancer, etc.).
En revanche, nous ne vieillissons pas forcément en bonne santé. Pour quelles raisons ? Nous ne traitons en réalité que les pathologies qui surviennent et se succèdent au moment de la vieillesse. Cependant, depuis plus de quinze ans, mon travail m’amène à penser que c’est plutôt la vieillesse que nous devrions traiter comme maladie à part entière.
Inverser le processus de vieillissement
Quand notre programme a démarré en 2006, nous sommes partis de zéro en prenant comme axe de recherche comment l’on passe d’un embryon « juvénile » a un individu vieillissant. Si nous vieillissons, c’est parce que ce sont nos cellules qui vieillissent. Je me suis focalisé sur les deux types de cellules que l’on retrouve dans les tissus avec l’âge : les cellules sénescentes et les cellules qui vieillissent en se déprogrammant. Et très vite, mon hypothèse a tenu au fait qu’il fallait donc reprogrammer ces cellules pour combattre les pathologies liées à l’âge. Hasard du calendrier, lorsque je démarre ce projet, le chercheur japonais Shinya Yamanaka démontre que l’on peut reprogrammer des cellules pour en faire des cellules embryonnaires, ce qui nous a poussés à persévérer.
Dès 2011, nos travaux ont prouvé que le vieillissement est réversible. Un peu plus tard, des chercheurs démontrent que si l’on supprime les cellules sénescentes des souris, on est en mesure d’augmenter leur espérance de vie. Ensuite, d’autres laboratoires, dont le nôtre, ont développé des études sur la reprogrammation des cellules permettant également de gagner en longévité. Au sein de la communauté scientifique travaillant sur le vieillissement, un consensus s’est ainsi lentement dégagé autour de neuf marqueurs de vieillissement cellulaire, rigoureusement définis : les Hallmarks of aging – ou piliers du vieillissement en français. Ils permettent de suivre précisément la sénescence de nos cellules et de notre organisme. Un vieillissement que l’on arrive également à détecter dans le sang.
Au bout de ce cheminement de recherches et d’essais, une conclusion claire s’est imposée : lorsque nous ciblons deux de ces marques du vieillissement de nos cellules, la sénescence et la déprogrammation « épigénétique », pour les corriger, nous gagnons en longévité, et les pathologies liées à l’âge disparaissent. Ces dernières ne sont en effet que la conséquence du vieillissement de nos cellules : le vieillissement est la mère des maladies, c’est donc elle qu’il faut cibler.
« Il faut considérer le vieillissement comme une maladie »
Ce constat est aujourd’hui partagé par de nombreux collègues. Nous savons aujourd’hui que nous pouvons utiliser des petites molécules pour supprimer des cellules sénescentes qui s’avèrent délétères pour les tissus. Si l’on supprime ces cellules sénescentes sur des modèles animaux, on gagne 30 % de vie en bonne santé en repoussant les pathologies liées à l’âge. Ce sont des développements en cours, et des essais cliniques sont réalisés dans certains pays, notamment aux États-Unis qui sont en avance sur le sujet.
Des chercheurs américains font du lobbying pour mettre en place des essais cliniques sur des personnes âgées saines.
Le problème de ces études, c’est que pour l’instant, il ne s’agit que d’essais cliniques sur des pathologies liées à l’âge : fibrose pulmonaire, diabète, arthrose, etc. Mais la maladie est déjà là, le tissu est déjà abîmé. Les résultats seraient plus importants si l’on pouvait traiter le patient avant que la maladie ne soit là, avant que le défaut tissulaire ne soit constaté. Et là, nous rentrons véritablement dans un système de prévention. Pour pouvoir traiter le vieillissement avec des médicaments et des petites molécules, il faut pouvoir le considérer comme une maladie, ce qui n’est pas encore le cas et pose problème aux médecins. Des chercheurs américains font justement du lobbying auprès des agences réglementaires pour mettre en place des essais cliniques sur des personnes âgées saines – non malades –, pour voir si on améliorerait effectivement la physiologie tout en évitant ces pathologies.
Vieillissement et rajeunissement
Il existe un autre axe de travail : le rajeunissement. On sait aujourd’hui reprogrammer des cellules pour les rajeunir, et mon équipe a été la première, il y a plus de dix ans, à démontrer que le vieillissement cellulaire était réversible. En reprogrammant des cellules sénescentes et des cellules vieillissantes de centenaires, on peut les convertir en cellules à la physiologie rajeunie. Aujourd’hui, nous arrivons à reprogrammer l’ensemble des cellules d’une souris pour les rajeunir, et une poignée de laboratoires dans le monde travaillent dans ce domaine. Ces essais permettent à la souris de gagner 30 % de vie en plus, en bonne santé. Des projets très ambitieux au niveau international sont également mis en place, avec l’appui de budgets de l’ordre de plusieurs milliards de dollars, de façon à aller encore plus loin et pouvoir transférer ces technologies chez l’Homme.
La recherche sur le vieillissement et le rajeunissement nous amènera à augmenter l’espérance de vie dans un avenir proche.
Ces deux axes de recherche, nous amènent irrémédiablement vers une augmentation de l’espérance de vie dans un avenir proche. Ce sera sans doute le cas dans les dix ans à venir aux États-Unis, puisque des chercheurs sont déjà en train de réaliser un essai clinique sur un repositionnement de médicaments – autrement dit, la réutilisation des médicaments déjà disponibles sur le marché. Une fois ces recherches validées, dans cinq à six années, il sera possible de prescrire à des êtres humains non-malades des molécules comme la metformine, qui vise à repousser l’ensemble des pathologies liées à l’âge.
À mes yeux, la France doit également faire de la prévention du vieillissement une priorité, sans attendre que les gens deviennent malades avec l’âge. Si l’on raisonne mathématiquement, découvrir un traitement qui fait gagner trois à cinq ans de vie sur une maladie mortelle augmente en même temps la probabilité d’avoir une autre maladie liée au vieillissement plus tard. Et ainsi de suite. Si l’on considère vraiment la vieillesse comme une maladie, si on la traite comme telle, cela permettrait d’éviter toutes les pathologies liées à l’âge en même temps. Ces travaux demandent une médecine nouvelle, une médecine de la longévité, une gériatrie 2.0 pour gagner en espérance de vie et faire de la longévité en bonne santé un enjeu majeur de notre société.