Quels sont les impacts psychologiques du changement climatique ?
- Le changement climatique peut avoir des conséquences sur la santé mentale : émotions négatives, stress, anxiété, dépression, stress post-traumatique…
- La hausse des températures a de lourds impacts psychologiques, en particulier pour les personnes déjà atteintes de problèmes mentaux.
- Ce phénomène a pour conséquence une hausse du taux de suicides : pour chaque augmentation de 1 °C, c’est 1 % d’augmentation des suicides.
- L’exposition à une catastrophe climatique, comme un incendie, peut conduire à un traumatisme climatique.
- Au-delà de la dépression ou du stress, ces événements affectent également le fonctionnement de notre cerveau, et ses capacités à se concentrer.
Augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles, des événements météorologiques extrêmes, atteintes à la biodiversité et à l’écosystème… Les effets physiques du changement climatique se ressentent aujourd’hui dans tous les pays du monde. Dans son rapport « Impacts, adaptation et vulnérabilité » de 2022, le GIEC soulignait pour la première fois un autre aspect important de l’évolution du climat : son effet néfaste sur le bien-être et la santé mentale des populations. L’urgence climatique est aussi une urgence de santé mentale. Pour chaque personne touchée physiquement par une catastrophe climatique, 40 sont touchées psychologiquement, affirme le rapport de l’Institut Grantham de l’Imperial College de Londres, au Royaume-Uni. Mais quels sont concrètement les effets psychologiques du changement climatique ?
Ces dernières années, il a beaucoup été question d’éco-anxiété pour évoquer les émotions négatives générées par la situation climatique. Susan Clayton, titulaire de la chaire de psychologie de l’Université de Wooster, aux États-Unis, est l’une des auteurs du rapport du GIEC. Cette spécialiste de la relation de l’homme à la nature rappelle que « l’éco-anxiété n’est pas en soi le signe d’une maladie mentale, c’est une réponse normale à une situation très inquiétante. Cependant, certaines personnes atteignent un niveau d’anxiété qui menace leur santé mentale. Cela peut toucher leur sommeil, leur capacité de concentration et de travail, ou de détent et d’amusement. »
Éco-anxiété et solastagie
La psychologue a étudié l’éco-anxiété pour déterminer si ce phénomène avait de réelles implications sur la santé mentale, ou s’il s’agissait d’un mot pour définir de simples inquiétudes. Avec son collègue Bryan T. Karazsia, Susan Clayton a ainsi développé une échelle, sur la base de mesures de santé mentale. Il s’agissait de vérifier si les mesures de l’éco-anxiété étaient corrélées avec des mesures établies de problèmes psychologiques. Et c’était bien le cas : l’éco-anxiété peut donc, dans certains cas, avoir un impact psychologique important.
Une autre émotion est également citée dans le rapport de l’Institut Grantham de l’Imperial College de Londres, la « solastagie ». « C’est un sentiment de mal du pays pour un endroit dans lequel on est pourtant en train de vivre. C’est constater des changements sur son territoire, et avoir un sentiment de deuil, de perte en conséquence », précise Jessica Newberry Le Vay, membre de l’Institut d’innovation en santé mondiale de l’Imperial College de Londres. Les populations les plus affectées sont les enfants, les personnes travaillant la terre, ou encore les communautés indigènes, qui sont les témoins directs de changement dans les paysages autour d’eux.
1 % d’augmentation des taux de suicides pour chaque augmentation de 1 °C.
Le changement climatique implique des évolutions lentes et graduelles dans nos environnements. L’une d’elles est la hausse des températures. Au-delà de son impact sur l’écosystème, ce phénomène a de lourdes conséquences sur la santé mentale. Les températures élevées sont, en effet, associées à de plus forts taux de suicides, mais également d’hospitalisations en soins psychiatriques. « Il y a approximativement 1 % d’augmentation des taux de suicides pour chaque augmentation de 1 °C, quand la température dépasse un seuil propre à chaque zone géographique. », détaille Jessica Newberry Le Vay. Les personnes qui souffrent d’une maladie mentale, particulièrement de psychose, démence ou addiction, ont deux à trois fois plus de risque de mourir pendant les vagues de chaleur que les personnes ne souffrant pas de problèmes psychiques, souligne le rapport de l’Institut Grantham. Par ailleurs, il y a aussi une augmentation des conflits, de la violence – notamment domestique –, et des agressions. « Le niveau de bien-être général baisse. », précise Susan Clayton.
Si nous ne connaissons pas encore exactement pourquoi la chaleur a ces effets, il y a des pistes d’explication. Des températures hautes perturbent le sommeil, or c’est une composante essentielle de la santé mentale. Les changements de température peuvent aussi créer des changements physiologiques, en affectant la circulation sanguine et le système nerveux, ce qui va avoir pour effet des impacts cognitifs et émotionnels, avance l’Institut Grantham.
Les événements météorologiques extrêmes, à l’origine de traumatisme climatique
Le changement climatique atteint les populations de façon indirecte, par la prise de conscience de ses effets, par les conséquences sur les territoires, par la mise en danger de la sécurité alimentaire, économique ou de l’habitat. « Ce sont des facteurs de stress qui peuvent engendrer des problèmes psychologiques. », affirme la psychologue Susan Clayton. Le changement climatique endommage aussi la santé physique et mentale des individus directement, à travers les événements météorologiques extrêmes, observés dans toutes les régions du globe. Incendies, ouragans, inondations se multiplient et le GIEC s’attend à une augmentation de ces phénomènes à mesure que le réchauffement progresse. De nombreux chercheurs se sont penchés sur les effets psychologiques de ces catastrophes. Susan Clayton a passé en revue cette littérature pour le rapport du GIEC. Les symptômes les plus communs sont le stress-post traumatique, l’anxiété, la dépression, l’augmentation du stress, des sentiments de chagrin, de deuil et d’incertitude à propos de l’avenir.
Depuis 2019, le terme de « traumatisme climatique » évoque la détresse psychologique causée par la destruction de l’environnement. Jyoti Mishra, professeure de psychiatrie à l’Université de Californie San Diego, spécialiste des neurosciences et de la santé mentale, travaille sur l’incendie le plus meurtrier de l’histoire de la Californie, « Camp Fire ». Survenu du 8 au 26 novembre 2018, ce feu a ravagé 620 km2 de forêt, et détruit la ville de Paradise. Sa première étude quantifiait le nombre de personnes qui rapportaient un traumatisme. Le nombre de symptômes comme le stress post-traumatique, la dépression ou l’anxiété était deux à trois fois plus élevé chez les personnes qui avaient subi l’incendie, par rapport à ceux qui n’y avaient pas été exposés.
Des dommages cognitifs
En janvier dernier, Jyoti Mishra a publié la première étude qui examine les impacts neurologiques et cognitifs d’un traumatisme climatique. Il s’agit de déterminer si le fonctionnement du cerveau est affecté par l’exposition à un événement météorologique extrême. 75 personnes ont participé à l’étude six à douze mois après l’incendie. Parmi elles, 27 ont été directement exposées au feu – maison détruite ou perte d’un proche –, 21 ont été indirectement exposées – elles ont assisté au feu mais n’ont pas subi d’impact personnel –, et 27 n’avaient pas du tout été exposées.
Des tests cognitifs ont été développés pour analyser les processus mentaux impliqués dans la mémoire, l’apprentissage, la réflexion et le traitement des interférences, c’est-à-dire la capacité à ignorer les distractions. « Pendant une heure, les individus faisaient ces tests pour concentrer leur attention vers quelque chose, faire fonctionner leur mémoire. Toutes les activités du cerveau étaient enregistrées avec un électroencéphalogramme. », précise la psychiatre. « Ces tests ont été choisis, car ils sont au cœur des capacités cognitives humaines, et il a été montré que ce sont des capacités importantes dans le contexte d’un traumatisme, d’une dépression ou de problèmes de santé mentale. »
Pour observer le traitement des interférences, les participants devaient se concentrer sur un objet au milieu d’un écran, par exemple un poisson, et dire s’il pointait à gauche ou à droite. Pendant ce temps, d’autres objets apparaissaient sur l’écran. Les personnes exposées aux incendies, à la fois directement et indirectement, avaient des réponses 20 % moins précises que le groupe témoin. Elles étaient donc plus distraites, et avaient plus de mal à se concentrer sur une tâche.
Les personnes exposées aux incendies ont plus de mal à se concentrer sur une tâche.
« Par ailleurs, nous avons trouvé une plus grande activité cérébrale frontale et pariétale pour le groupe directement exposé. Cela veut dire que le cerveau fait plus d’efforts pour fonctionner, pour rester concentré et attentif. », précise l’auteure de l’étude. « Cela peut être rapproché de l’expérience des personnes souffrant de stress post-traumatique, qui deviennent très conscientes et attentives à leur environnement, et font attention à tout car tout paraît comme une menace. »
Pour Jyoti Mishra, il est très important de développer des recherches similaires pour comprendre les effets du traumatisme climatique sur notre cerveau, sur notre biologie. Ces résultats peuvent aider à normaliser ces symptômes et à développer des traitements plus adaptés. Mais ces expériences psychologiques liées au climat ont-elles des spécificités par rapport à d’autres problèmes déjà identifiés comme le syndrome post-traumatique ? « Nous ne savons pas pour l’instant. Il semble qu’il y ait des différences dans les symptômes, mais aussi dans la meilleure manière de les traiter thérapeutiquement. Nous en sommes encore au début, et nous avons besoin de plus de recherche. », affirme Susan Clayton.
La prévalence des inégalités face aux impacts psychologiques du changement climatique
Ce qui a été largement prouvé par la recherche, c’est que nous ne sommes pas tous égaux face aux problèmes de santé mentale liés au changement climatique. Les personnes déjà vulnérables dans la société sont d’autant plus susceptibles de développer des problèmes. « Cela s’explique par les ressources dont on dispose pour faire face à ces événements, y compris les ressources pratiques comme la climatisation, un abri, et les ressources économiques et sociales. », assure la psychologue américaine. Certains groupes sont plus touchés, comme les personnes désavantagées économiquement, les enfants, les personnes âgées, les femmes.
Que peut-on faire alors pour atténuer ces impacts psychologiques ? Au-delà du développement de la recherche sur ces sujets, pour affiner les traitements, les spécialistes s’accordent sur la nécessaire augmentation des moyens alloués à la santé mentale. « Il faut fournir des outils émotionnels aux populations, créer des réseaux de soutien et d’aide aux personnes qui ont expérimenté des catastrophes. », listent Susan Clayton et Jessica Newberry Le Vay. Il est aussi possible d’agir en amont pour éviter de subir ces impacts, en développant un accès plus simple à la nature et à des logements sûrs, et en renforçant les liens sociaux sûrs.