QI mondial en baisse : réalité ou panique morale ?
- Le QI est une mesure de l’intelligence générale d’un individu dans sa population.
- Cette mesure est controversée, accusée d’être un motif de discrimination dans certains pays : sélection migratoire ou stérilisation forcée.
- Depuis le milieu du 20ème siècle le QI augmente mondialement, principalement dans les pays en grand développement (BRICs).
- Depuis les années 90, le QI évolue plus lentement, un plafonnement peut-être dû aux limites du cerveau humain.
- Les études alertant sur la diminution du QI mondial font débat dans la communauté scientifique, jugées biaisées.
La première échelle métrique de l’intelligence est issue du test Binet-Simon1 (nommé d’après un psychologue et un psychiatre français), employé spécifiquement pour repérer un retard cognitif chez l’enfant. C’est à William Stern qu’est attribuée, quelques années plus tard, l’expression de « quotient intellectuel » : l’indice consiste à diviser l’âge « mental » obtenu par l’enfant lors du test par son âge physique, puis de multiplier le rapport par 100. Un enfant de 10 ans obtenant des résultats équivalents à l’âge de 12 ans aurait ainsi un QI de (12/10) x 100, soit 120 points.
Le QI, maintenant mesuré chez les adolescents comme les adultes, situe l’intelligence générale de l’individu dans sa population (selon l’âge, la nationalité…), dont l’ensemble des valeurs suit une courbe de Gauss. Le QI dit « standard » (réétalonné environ toutes les décennies) fixe la valeur moyenne à 100 points et l’écart type à 15. Ainsi, dans les tests de Wechsler faisant aujourd’hui référence2, 95 % de la population a par construction un QI situé entre deux écart types, soit entre 70 et 130 points.
La première moitié du 20ème siècle est marquée par un usage controversé de cet indice comme moyen de discrimination. Les théories eugénistes, incarnées notamment par la statistique naissante de Francis Galton3, visaient à prouver scientifiquement que le niveau d’intelligence était moindre de manière innée chez les personnes d’une certaine caractéristique (alcoolisme, maladie mentale…), ou appartenance ethnique. Ce cadre de pensée a incité plusieurs pays comme les États-Unis à employer le QI comme motif principal de sélection migratoire4, voire de stérilisation forcée5.
Mais malgré la diversité de l’emploi et des modèles de QI, de récentes méta-analyses6 permettent de retracer son évolution au fil des décennies.
Nous sommes plus intelligents qu’avant
Les scores de QI de 300 000 personnes, réparties dans 72 pays entre 1948 et 2020, ont été compilés dans la méta-analyse de Wongupparaj et al. de 20237. En l’espace d’un siècle, ils ont augmenté d’environ 30 points, soit deux fois l’écart type de la distribution des scores. Mais comment comparer ces valeurs alors que l’indice est réétalonné à peu près tous les dix ans ?
« Ce sont les scores bruts des tests, avant étalonnage, qui sont comparés d’une période à l’autre », explique Franck Ramus. Et pas n’importe quel test, puisque la méta-analyse ne considère que les Matrices de Raven pour réévaluer le QI. Ce test géométrique, resté à l’identique depuis sa création en 1936, mesure l’intelligence dite « fluide », permettant la résolution de problèmes sans connaissance préalable requise. Il n’est donc pas sujet à la péremption culturelle, comme le sont typiquement les tests de nature verbale.
L’effet Flynn s’aplanit, mais se poursuit
L’effet Flynn8 décrit la hausse progressive du niveau d’intelligence observée tout au long du 20ème siècle : l’amélioration de la nutrition9, de l’accès ou de la qualité des soins médicaux10 et de la technologie11 sont tant de conditions socio-économiques favorables au développement de l’éducation et de l’intelligence. D’après la méta-analyse, c’est justement dans les BRICs (Brésil, Russie, Inde et Chine) que l’on observe les hausses actuelles les plus importantes (2,9 points par décennie en moyenne) par rapport aux pays les plus riches et pauvres (respectivement 2 et 0,4 points).
En bref, le QI augmente et continue d’augmenter, mais d’une manière moins marquée maintenant : 2.4 points par décennie entre 1948 et 1985, contre 1,8 entre 1986 et 2020. « Mais les arbres ne peuvent pas monter jusqu’au ciel, il y a forcément des limites à ce qu’un cerveau humain peut faire », rappelle Ramus. Cette stagnation, ou réduction de l’effet Flynn, peut ainsi s’interpréter comme un plafonnement inévitable du développement cérébral et cognitif : tout comme les performances d’un athlète sont restreintes par la puissance de ses muscles, celles du cerveau (qui n’en est pas un ! ) le sont à la fois d’un point de vue physiologique et socio-économique.
La baisse du QI : une panique morale
Une théorie, portée médiatiquement par Edward Dutton et Richard Lynn (anthropologue et psychologue anglais), évoque un déclin récent de l’intelligence dans plusieurs pays. Or, les articles conformes à cette hypothèse présentent de nombreux biais méthodologiques, ou extrapolations douteuses. Que ce soit à cause de la taille limitée de l’échantillon (79 personnes) pour l’étude de Dutton et Lynn sur la France12, ou le fait de ne considérer la baisse que dans certains types de tests (numériques ou verbaux) malgré la hausse dans d’autres (raisonnement abstrait) en Norvège13, de tels résultats restent en marge et ne font pas consensus dans la communauté scientifique.
« Quelle que soit la croyance que les gens ont sur ce qui ne va pas, ou ce qui va plus mal qu’avant, le discours selon lequel le QI baisse semble venir la confirmer. On comprend donc que ce discours puisse être populaire », explique Ramus. La panique morale autour du déclin de l’intelligence ne date pas d’hier : de nombreux facteurs environnementaux comme l’exposition aux écrans, les perturbateurs endocriniens ou la dégradation de l’éducation sont régulièrement désignés comme responsables potentiels. Bien que ces éléments puissent avoir un impact négatif chez certains, enfants comme adultes, aucun ne semble engendrer une baisse du QI à échelle plus globale.