Pourquoi le Covid n’entraîne pas de baby-boom
Au début de la pandémie, alors que les gouvernements commençaient à prendre conscience de l’ampleur de la crise du Covid-19 et que les confinements étaient annoncés, nous avons vu se multiplier les reportages traitant des conséquences de la pandémie sur les taux de fécondité. Le virus se déchaînait, tout comme notre imagination.
Ces premiers reportages étaient presque entièrement axés sur les effets positifs du confinement sur la vie sexuelle des couples, et l’on se préparait ainsi à un baby-boom. Des documents faisant état d’une augmentation des naissances neuf mois après des confinements pour catastrophes naturelles (ouragans ou tempêtes de neige) étaient exhumés, et certains journaux étaient même allés jusqu’à baptiser cette nouvelle génération d’enfants les « Coronials ».
Mythe ou réalité ?
La plupart des experts se sont toutefois montrés sceptiques face à ces récits. En réalité, les recherches dont nous disposons sur les confinements passés sont beaucoup plus modérées dans leurs conclusions que les croyances populaires qui se sont imposées. Une étude rigoureuse sur la grande panne d’électricité de New York en 1965 n’a trouvé aucun effet sur le taux de fécondité 1 et, alors que les risques modérés de tempête avaient certes entraîné une hausse de 2,1 % des naissances, les grosses alertes d’ouragan avaient elles provoqué une baisse d’environ 2,2 % du nombre de nouveau-nés neuf mois plus tard 2.
En outre, il existe déjà un corpus de recherches substantiel sur l’évolution des taux de fécondité pendant et après les pandémies. Leurs conclusions suggèrent que ce que la télévision et les conseillers conjugaux présentaient comme des vérités absolues était faux. L’histoire nous apprend au contraire que les pandémies ne sont pas à l’origine de baby-booms. Au contraire : la plupart du temps, elles entraînent un grave effondrement de la natalité.
Les leçons à tirer de la grippe espagnole
L’analogie historique la plus proche de la situation actuelle est sans doute la grippe espagnole de 1918, une autre pandémie véritablement mondiale – bien qu’il faille noter qu’elle a été considérablement plus meurtrière pour les jeunes que le Covid-19, la majorité de la surmortalité se produisant à l’époque chez les 20–40 ans 3. Les enseignements de la grippe espagnole en matière de fécondité sont clairs : en France, aux États-Unis ou même en Suède 4, les taux de natalité de tous les pays étudiés ont chuté de manière substantielle – respectivement de 13% et 8% aux États-Unis et en Suède, dès que la pandémie a éclaté.
Peu après que les premières mesures de confinement aient été prises en France, nous avons décidé d’examiner comment les villes américaines qui ont mis en œuvre des interventions non médicales, telles que le confinement des populations ou les fermetures d’entreprises et d’écoles pendant la pandémie de grippe espagnole de 1918, se sont comportées en termes de fertilité 5. Comme on pouvait s’y attendre, la fécondité a chuté en moyenne de 10 à 15 % dans les villes étudiées. Cependant, la chute a été moins prononcée dans les villes qui ont mis en œuvre des mesures plus durables et plus strictes. Le lien entre le fait de rester chez soi et l’augmentation du nombre de rapports sexuels n’était, après tout, peut-être pas inexistant ? Cependant, nous avons remarqué que ces villes avaient également connu des formes moins graves de l’épidémie, et que leur taux de mortalité était bien plus faible qu’ailleurs.
Nous avons donc émis l’hypothèse que les confinements ne s’étaient traduits par une augmentation de la natalité que parce qu’ils avaient permis de réduire le sentiment d’insécurité – incitant donc ainsi les individus à maintenir leurs projets d’enfants.
Pour contrôler cette hypothèse, nous avons inclus l’intensité de la pandémie dans nos modèles statistiques. L’effet des confinements sur le taux de fécondité s’est alors révélé négatif – ce qui signifie que moins de naissances sont directement liées aux confinements.
Les « bébés Covid »
Pour en revenir à la situation actuelle, les premières prévisions se sont basées sur des enquêtes statistiques et les recherches Google. Des enquêtes menées en mars et avril 2020 en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni ont montré que les 18–34 ans prévoyaient de plus en plus de reporter, voire d’abandonner, leurs projets de procréation. En Italie, où l’épidémie a été particulièrement forte, seules 26 % des personnes qui prévoyaient d’avoir un enfant en 2020 ont déclaré qu’elles avaient toujours ce projet, 37 % prévoyant de le reporter et 37 % déclarant l’avoir abandonné. En France, seuls 14 % ont déclaré avoir abandonné leur projet d’enfant, mais 51 % ont indiqué qu’ils le reporteraient si possible 6.
Une autre approche a consisté à utiliser les recherches sur Google. Il est possible de prédire les taux de fertilité en observant la fréquence de recherches telles que « ovulation », « test de grossesse » et « nausées matinales ». En appliquant cette analyse aux États-Unis, les experts ont prévu une baisse de la fertilité de 15 % dans les mois à venir 7.
Finalement, nous commençons à avoir un premier aperçu des taux de fécondité pour 2020 et, ce faisant, nous constatons qu’elles soutiennent l’hypothèse du baby crash. La fécondité a chuté de 2% en France en 2020, et de 3,8% aux États-Unis – avec un creux à ‑8% pour le mois de décembre, lorsque les effets de la pandémie ont commencé à se manifester réellement 8.
Néanmoins, de nombreuses interrogations demeurent. Les confinements et les fermetures d’écoles ont-ils eu un effet supplémentaire, indépendant de la pandémie ? Les aides économiques, là où il y en avait, ont-t-elles suffisamment rassuré les individus pour qu’ils maintiennent leurs projets d’enfant, atténuant ainsi la chute de la fécondité ? Le boom économique prévu à la suite de la crise du Covid entraînera-t-il un rattrapage de la fécondité, compensant les naissances perdues ? Toutes ces questions sont autant de problématiques auxquelles sont confrontés les chercheurs.