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Les nouveaux paradigmes du vieillissement

Politique et science : la loi sur la fin de vie

Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE)
Le 5 juillet 2023 |
4 min. de lecture
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Jean-François Delfraissy
président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE)
En bref
  • Un projet de loi sur la question de la fin de vie doit être présenté au gouvernement d’ici au 21 septembre 2023.
  • La question de la fin de vie fait des remous en France, car elle met en tension deux grands principes éthiques : la liberté individuelle et la solidarité.
  • Le dialogue démocratique entre les scientifiques d’une part et les politiques et citoyens d’autre part est indispensable sur ces questions de société.
  • Le rôle des scientifiques est d’apporter un éclairage aussi neutre que possible en fournissant des informations précises, le rôle des politiques est de trancher.
  • Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) est une sorte de boussole scientifique de l’éthique, qui rend des avis nuancés et argumentés.

Alors qu’un pro­jet de loi doit être présen­té sur la fin de vie d’ici au 21 sep­tem­bre prochain, quel est le rôle du sci­en­tifique sur la question ?

Sur un cer­tain nom­bre de sujets cru­ci­aux, la société française a énor­mé­ment évolué au cours des 50 dernières années. Les atti­tudes et les croy­ances se sont trans­for­mées et il arrive que les poli­tiques sou­ti­en­nent ces change­ments, ou qu’ils ne les sou­ti­en­nent pas. Au début des années 1980 par exem­ple, je vous rap­pelle que le poli­tique a pris une posi­tion très minori­taire sur l’abo­li­tion de la peine de mort. Je ne sais donc pas quelles seront les posi­tions du gou­verne­ment et du parlement.

Notre mort nous appar­tient-elle indi­vidu­elle­ment ou appar­tient-elle à la société ? 

En tant que sci­en­tifiques, notre tâche pre­mière est de partager ce que nous savons avec les citoyens et les poli­tiques. Nous infor­mons les citoyens en leur expli­quant les car­ac­téris­tiques des soins pal­li­at­ifs, leur util­i­sa­tion et leur effi­cac­ité. Et nous cher­chons à répon­dre aux ques­tions les plus dif­fi­ciles, aux dilemmes, en se bas­ant sur des don­nées, des témoignages, des expertises.

Quelle est la place du citoyen dans ce type de débat ?

En s’appuyant notam­ment sur la démoc­ra­tie par­tic­i­pa­tive, il est pos­si­ble de déblo­quer cer­taines sit­u­a­tions dif­fi­ciles qui met­tent en ten­sion nos démoc­ra­ties. Cette écoute des citoyens ne s’op­pose absol­u­ment pas à la démoc­ra­tie élec­tive, au con­traire, car elle vient la com­pléter : la démoc­ra­tie par­tic­i­pa­tive est un atout indé­ni­able de la démoc­ra­tie élective.

Quelle est votre vision de cette démoc­ra­tie participative ? 

Le débat tou­jours en cours sur la fin de vie a per­mis, avec la con­ven­tion citoyenne et les très nom­breuses réu­nions organ­isées par le Comité con­sul­tatif nation­al d’éthique (CCNE) en région – plus de 330 ren­dez-vous et 45 000 par­tic­i­pants –, d’in­former et de pos­er les ques­tions et les prob­lèmes mais aus­si d’en­gager une dis­cus­sion afin d’é­clair­er un cer­tain nom­bre de sujets com­plex­es avant même qu’ils ne soient inscrits dans la loi.

Je souligne d’ailleurs que le texte remis au Prési­dent de la République par la con­ven­tion citoyenne va plus loin que celui du CCNE. C’est un exem­ple d’exercice de démoc­ra­tie par­tic­i­pa­tive que nous avons du mal à met­tre en place en France, mais sur lequel, para­doxale­ment, nous sommes plutôt en avance. Nous le jugeons insuff­isam­ment dévelop­pé, mais au regard ce qui se fait dans le reste de l’Eu­rope et dans les grandes démoc­ra­ties, nous sommes en réal­ité l’un des pays les plus avancés sur ce point. Quelles que soient les grandes thé­ma­tiques – et pour ma part je con­nais évidem­ment davan­tage celles rel­a­tives à la san­té –, ce dia­logue entre le monde des experts d’une part, celui des poli­tiques et des citoyens d’autre part, fait par­tie de nos démoc­ra­ties. C’est un bien pré­cieux qu’il nous faut préserver.

Le CCNE a ren­du son rap­port sur la fin de vie. Pourquoi s’être auto­saisi de ce sujet ?

Il s’agissait de men­er une réflex­ion socié­tale autour de cette ques­tion : faut-il, ou non, mod­i­fi­er la loi de sur la fin de vie en France ? Et l’avis du CCNE porte un éclairage impor­tant par rap­port à la déci­sion poli­tique qui se pro­file. Sur ce sujet, c’est moins le sci­en­tifique que le médecin qui par­le : il s’agit d’un sujet qui touche à l’in­time, à l’hu­man­ité, et sur lequel per­son­ne n’a véri­ta­ble­ment tort ou rai­son, car il relève du citoyen et de la société tout entière. Je con­sid­ère qu’il est pri­mor­dial d’être à l’écoute de ce que pensent nos conci­toyens sur un sujet aus­si com­plexe et auquel nous sommes tous confrontés.

Ici, il ne s’agit pas d’une sit­u­a­tion de crise, mais d’une sit­u­a­tion de ten­sion entre deux grands principes éthiques : la lib­erté indi­vidu­elle et la sol­i­dar­ité. Notre mort nous appar­tient-elle indi­vidu­elle­ment ou appar­tient-elle à la société ? Aujour­d’hui, cette ques­tion de la mort a été con­fiée au corps médi­cal, puisqu’environ 80 % des décès survi­en­nent dans un envi­ron­nement médi­cal­isé. Ce n’é­tait pas le cas il y a 50 ans en France où la mort sur­ve­nait beau­coup plus à domicile… 

De quel côté penche le CCNE ? Du côté des sci­ences ou de l’éthique ?

Le CCNE est une sorte de bous­sole sci­en­tifique de l’éthique. Il rend des avis nuancés, et ses argu­men­ta­tions sont basées sur des don­nées sci­en­tifiques ou médi­cales. Nous cher­chons en per­ma­nence à pro­duire une réflex­ion éthique éclairée par les con­nais­sances sci­en­tifiques, et pas seule­ment à con­duire des débats idéologiques. 

Vous n’avez jamais envie de peser de manière plus impor­tante sur la déci­sion finale ?

Vous savez, je le répète, cha­cun doit savoir rester à sa place : les citoyens s’ex­pri­ment et doivent être écoutés, les experts éclairent et les poli­tiques déci­dent. Les experts ne doivent pas faire de poli­tique. Bien enten­du, les sci­en­tifiques savent utilis­er cer­taines tech­niques ou molécules pour per­me­t­tre à cha­cun d’accéder à une fin de vie, non pas plus digne, mais moins douloureuse. Cette pos­si­bil­ité tech­nique se con­fronte à des freins socié­taux qu’il faut savoir analyser et pren­dre en compte.

Les experts ne doivent pas faire de politique. 

Dans ce con­texte, le rôle des sci­en­tifiques est d’ap­porter un éclairage aus­si neu­tre que pos­si­ble en four­nissant des infor­ma­tions pré­cis­es sur la sit­u­a­tion des soins pal­li­at­ifs en France, la réal­i­sa­tion de la séda­tion pro­fonde et con­tin­ue, ou les sit­u­a­tions médi­cales par­ti­c­ulières dans lesquelles les patients pour­raient souhaiter une aide à mourir. Les acteurs poli­tiques trancheront dans un sec­ond temps. Une diver­sité d’opinions demeur­era d’ailleurs tou­jours sur ce sujet, et devront appren­dre à cohab­iter, car cer­taines ten­sions ne peu­vent pas disparaître.

Est-ce un défi éthique pour les médecins ?

Il s’agit d’une ques­tion très dif­fi­cile pour eux, oui. Cer­tains médecins de soins pal­li­at­ifs affir­ment que leur tra­vail n’est pas d’aider à mourir, mais d’aider à vivre. Cepen­dant, je suis plus nuancé sur ce sujet. Je pense que la mal­adie appar­tient aux patients, pas aux médecins, et que notre rôle est de les accom­pa­g­n­er, en écoutant leurs désirs et leurs besoins.

Propos recueillis par Jean Zeid

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