Alors qu’un projet de loi doit être présenté sur la fin de vie d’ici au 21 septembre prochain, quel est le rôle du scientifique sur la question ?
Sur un certain nombre de sujets cruciaux, la société française a énormément évolué au cours des 50 dernières années. Les attitudes et les croyances se sont transformées et il arrive que les politiques soutiennent ces changements, ou qu’ils ne les soutiennent pas. Au début des années 1980 par exemple, je vous rappelle que le politique a pris une position très minoritaire sur l’abolition de la peine de mort. Je ne sais donc pas quelles seront les positions du gouvernement et du parlement.
Notre mort nous appartient-elle individuellement ou appartient-elle à la société ?
En tant que scientifiques, notre tâche première est de partager ce que nous savons avec les citoyens et les politiques. Nous informons les citoyens en leur expliquant les caractéristiques des soins palliatifs, leur utilisation et leur efficacité. Et nous cherchons à répondre aux questions les plus difficiles, aux dilemmes, en se basant sur des données, des témoignages, des expertises.
Quelle est la place du citoyen dans ce type de débat ?
En s’appuyant notamment sur la démocratie participative, il est possible de débloquer certaines situations difficiles qui mettent en tension nos démocraties. Cette écoute des citoyens ne s’oppose absolument pas à la démocratie élective, au contraire, car elle vient la compléter : la démocratie participative est un atout indéniable de la démocratie élective.
Quelle est votre vision de cette démocratie participative ?
Le débat toujours en cours sur la fin de vie a permis, avec la convention citoyenne et les très nombreuses réunions organisées par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en région – plus de 330 rendez-vous et 45 000 participants –, d’informer et de poser les questions et les problèmes mais aussi d’engager une discussion afin d’éclairer un certain nombre de sujets complexes avant même qu’ils ne soient inscrits dans la loi.
Je souligne d’ailleurs que le texte remis au Président de la République par la convention citoyenne va plus loin que celui du CCNE. C’est un exemple d’exercice de démocratie participative que nous avons du mal à mettre en place en France, mais sur lequel, paradoxalement, nous sommes plutôt en avance. Nous le jugeons insuffisamment développé, mais au regard ce qui se fait dans le reste de l’Europe et dans les grandes démocraties, nous sommes en réalité l’un des pays les plus avancés sur ce point. Quelles que soient les grandes thématiques – et pour ma part je connais évidemment davantage celles relatives à la santé –, ce dialogue entre le monde des experts d’une part, celui des politiques et des citoyens d’autre part, fait partie de nos démocraties. C’est un bien précieux qu’il nous faut préserver.
Le CCNE a rendu son rapport sur la fin de vie. Pourquoi s’être autosaisi de ce sujet ?
Il s’agissait de mener une réflexion sociétale autour de cette question : faut-il, ou non, modifier la loi de sur la fin de vie en France ? Et l’avis du CCNE porte un éclairage important par rapport à la décision politique qui se profile. Sur ce sujet, c’est moins le scientifique que le médecin qui parle : il s’agit d’un sujet qui touche à l’intime, à l’humanité, et sur lequel personne n’a véritablement tort ou raison, car il relève du citoyen et de la société tout entière. Je considère qu’il est primordial d’être à l’écoute de ce que pensent nos concitoyens sur un sujet aussi complexe et auquel nous sommes tous confrontés.
Ici, il ne s’agit pas d’une situation de crise, mais d’une situation de tension entre deux grands principes éthiques : la liberté individuelle et la solidarité. Notre mort nous appartient-elle individuellement ou appartient-elle à la société ? Aujourd’hui, cette question de la mort a été confiée au corps médical, puisqu’environ 80 % des décès surviennent dans un environnement médicalisé. Ce n’était pas le cas il y a 50 ans en France où la mort survenait beaucoup plus à domicile…
De quel côté penche le CCNE ? Du côté des sciences ou de l’éthique ?
Le CCNE est une sorte de boussole scientifique de l’éthique. Il rend des avis nuancés, et ses argumentations sont basées sur des données scientifiques ou médicales. Nous cherchons en permanence à produire une réflexion éthique éclairée par les connaissances scientifiques, et pas seulement à conduire des débats idéologiques.
Vous n’avez jamais envie de peser de manière plus importante sur la décision finale ?
Vous savez, je le répète, chacun doit savoir rester à sa place : les citoyens s’expriment et doivent être écoutés, les experts éclairent et les politiques décident. Les experts ne doivent pas faire de politique. Bien entendu, les scientifiques savent utiliser certaines techniques ou molécules pour permettre à chacun d’accéder à une fin de vie, non pas plus digne, mais moins douloureuse. Cette possibilité technique se confronte à des freins sociétaux qu’il faut savoir analyser et prendre en compte.
Les experts ne doivent pas faire de politique.
Dans ce contexte, le rôle des scientifiques est d’apporter un éclairage aussi neutre que possible en fournissant des informations précises sur la situation des soins palliatifs en France, la réalisation de la sédation profonde et continue, ou les situations médicales particulières dans lesquelles les patients pourraient souhaiter une aide à mourir. Les acteurs politiques trancheront dans un second temps. Une diversité d’opinions demeurera d’ailleurs toujours sur ce sujet, et devront apprendre à cohabiter, car certaines tensions ne peuvent pas disparaître.
Est-ce un défi éthique pour les médecins ?
Il s’agit d’une question très difficile pour eux, oui. Certains médecins de soins palliatifs affirment que leur travail n’est pas d’aider à mourir, mais d’aider à vivre. Cependant, je suis plus nuancé sur ce sujet. Je pense que la maladie appartient aux patients, pas aux médecins, et que notre rôle est de les accompagner, en écoutant leurs désirs et leurs besoins.