La désinformation : urgence démocratique ou faux problème ?
- Actuellement, on estime que la consommation de fake news varie entre 0,6 % et 7 % selon les pays.
- Mais cela ne prend en compte qu’un seul type de désinformation, dont il existe trois définitions principales : l’aspect factuel, l’impact psychologique et l’exposition informationnelle du grand public.
- Ce dernier aspect implique des problèmes tels que les informations muettes (ou « mutes news » en anglais), qui occultent les questions clés de l’attention des médias, ou l’inondation (ou « flooding » en anglais), lorsque les médias sont submergés d’informations non fiables.
- Il reste important d’accroître l’intérêt du grand public pour l’information, ce qui implique une plus grande confiance dans les médias.
« You are Fake News. » Cette phrase, prononcée par l’ancien président des États-Unis, Donald Trump, illustre à quel point la problématique de la désinformation traverse la société. Malgré l’usage rhétorique dont le terme est victime, la désinformation est un véritable phénomène qui préoccupe les instances politiques. Ces préoccupations tournent parfois à la panique morale1 où la désinformation est rendue responsable de nombreux problèmes actuels.
Rappelons que le phénomène est aussi ancien que les sociétés humaines. En effet, les mythes antiques ou encore les célèbres propagandes du XXe siècle peuvent être considérés, à juste titre, comme de la désinformation. Ce ne sont que les canaux de communication et les possibilités de diffusion qui ont radicalement changé : « Internet a bouleversé la manière dont les humains communiquent. Il y a donc de nouvelles formes de désinformation qui ont émergé, mais la désinformation en elle-même n’est pas un phénomène nouveau », argumente Sacha Altay, post-doctorante à l’université d’Oxford, docteur en psychologie expérimentale, spécialiste des questions de désinformation et de confiance envers les médias.
Définir une fausse information
Est-ce que ces nouvelles formes de désinformation méritent toute l’attention qu’on leur porte ? En effet, outre le corps politique, de nombreux scientifiques s’y intéressent notamment dans le but de prévenir sa diffusion ou d’éviter que les gens y adhèrent en élaborant des techniques psychologiques pour tenter de contrer l’effet de la désinformation 2. Néanmoins, il n’est pas aisé de répondre à cette question initiale.
Pour le faire, il faut d’abord s’attarder sur la définition de la désinformation. Il en existe trois principales : la première se concentre sur l’aspect factuel. Autrement dit, l’information est-elle vraie ou fausse ? L’autre se concentre sur l’impact psychologique : l’information conduit-elle à une vision biaisée de la réalité chez les individus ? Enfin, la dernière suggère de se focaliser sur l’exposition informationnelle du grand public. En d’autres termes, cette définition est plus large et englobe des informations pourtant factuelles, mais qui prennent la place d’informations plus importantes.
Actuellement, on estime que la consommation de fausses nouvelles comprise en ce sens oscille entre 0,6 et 7 % selon les pays.
La définition factuelle a l’avantage d’être simple à cerner et à étudier. Elle permet de collecter facilement des données quantitatives sur la prévalence de la fausse information, sa consommation, sa circulation, etc. Actuellement, on estime que la consommation de fausses nouvelles comprise en ce sens oscille entre 0,6 et 7 % selon les pays3.
En ce sens, on peut toutefois se demander si ces fausses informations représentent un problème. Pour Lê Nguyên Hoang, docteur en mathématique, vulgarisateur scientifique et co-créateur de l’algorithme Tournesol, ce n’est pas le cas : « les informations radicalement fausses ou qui altèrent la vision des individus ne sont pas le cœur du problème. À mon sens, il se situe plutôt du côté de la troisième définition, c’est-à-dire des campagnes de désinformation organisées pour mettre en avant certaines informations plutôt que d’autres, du harcèlement de journalistes, la création de faux comptes pour amplifier certains contenus, la mise en place de faux débats, etc. » Le chercheur atteste ses propos par un rapport scientifique documentant les diverses méthodes de répressions digitales et transnationales de l’information 4.
Déterminer la source du problème
Pour Sacha Altay, le problème le plus proéminent semble être le désintérêt des individus pour l’information et la politique en général : « La plupart des gens et certaines franges de la population, comme les jeunes des milieux populaires, ne se soucient pas de la désinformation. Ils suivent peu l’actualité et la politique. Il faut vraiment garder cela à l’esprit. L’un des objectifs majeurs est moins d’accroître la vigilance que de susciter l’intérêt et de restaurer la confiance envers les informations fiables. »
Par ailleurs, un argument de poids pour relativiser le problème des fausses informations est qu’il n’y a pas de lien consistant entre la consommation d’articles, l’attitude des individus et leurs comportements. Cela est bien connu de la littérature en psychologie et des experts américains en sciences comportementales l’attestent noir sur blanc dans un rapport visant à promouvoir les gestes barrières auprès de la population6.
« Le fait de simplement expliquer les résultats scientifiques concernant la covid-19 et les risques associés entraînera très rarement un changement d’attitudes et de comportements, même si les gens comprennent et acceptent les faits et même s’ils signalent qu’ils devraient se comporter différemment compte tenu des nouvelles informations dit-il. Les principales raisons pour lesquelles les gens n’adoptent pas certains comportements alors qu’ils savent qu’ils devraient le faire, ce sont les préférences cognitives pour les vieilles habitudes, l’oubli, les petits inconvénients du moment présent, les préférences pour ce qui demande le moins d’effort et le raisonnement motivé ».
Pourtant, en dernière instance, c’est ce que le corps politique veut faire, comme c’est le cas pour l’éducation à l’esprit critique : diminuer les fausses croyances, améliorer la sécurité, promouvoir la santé publique, etc. S’attaquer à la désinformation pourrait donc être un leurre étant donné que nous ne consommons pas toujours l’information pour satisfaire des buts épistémiques. Sacha Altay nous donne un exemple concret pour illustrer ce point : « Aux États-Unis, les personnes qui consomment des informations pro-Trump sont pro-Trump. Les articles servent davantage à justifier une sorte d’attitude qu’ils avaient déjà vis-à-vis de leurs opinions politiques que l’exactitude factuelle. »
Le chercheur s’appuie principalement sur une étude de 20167 ayant eu lieu lors de la campagne présidentielle américaine et qui montre que peu de gens consomment des fausses nouvelles par esprit de contradiction, autrement dit pour essayer de démêler le vrai du faux, mais bien pour conforter leur vision du monde.
Reconnaître les formes plus subtiles
Lê Nguyên Hoang soutient également que nous devrions cesser de nous concentrer sur les fausses informations, mais suggère que l’argument des liens inconsistants entre croyances, attitudes et comportements est contextuel : « Si on considère que le statu quo, c’est-à-dire que le comportement de la plupart des gens est bon, alors cet argument est pertinent. Par contre, si on considère un sujet comme le changement climatique, l’inaction est dangereuse. Le fait de ne pas traiter suffisamment le sujet dans les médias peut à mon sens être considéré comme une forme de désinformation ».
Ce que le chercheur décrit ici est le problème des « mutes news ». Il s’agit d’une forme de désinformation pernicieuse qui consiste à occulter de l’attention des médias une question clé qui sous-tend souvent les préoccupations de la population et du corps politique.
Sacha Atlay nuance le propos : « sur le sujet du climat, il semble que ce soit l’agenda des médias sociaux des partis politiques qui soit devenu un élément prédictif de la présence de ce sujet au sein de l’actualité. » En écho aux mutes news, le chercheur nous parle d’une autre technique souvent utilisée : « le flooding ». « Cela consiste à inonder l’espace informationnel avec des informations peu fiables pour accroître l’incertitude et réduire la confiance envers les informations fiables », explique Sacha Altay.
En effet, la problématique du climat semble de plus en plus traitée par les médias, comme l’attestent des études récentes8 même si cela dépend des pays. Par exemple, en Russie, la politique climatique du pays n’est jamais remise en question par les journaux officiels 9. Dans les pays occidentaux, le problème du climat se situe au niveau communicationnel : certains groupes sont spécialisés dans le flooding et sont parmi les premiers producteurs d’informations trompeuses10 sur le climat, devant les institutions scientifiques ou les médias fiables.
Pour conclure, malgré l’opposition initiale, les chercheurs semblent d’accord sur l’importance d’accroître l’intérêt de la population pour les informations, ce qui passe, en général, par la confiance envers les médias. Et même si, dans le contexte actuel, les écosystèmes informationnels sont colossaux, mettre en avant les enjeux autour de la désinformation est nécessaire pour le bien-être de la société dans son ensemble.