Faut-il réellement s’inquiéter de la baisse de la fécondité en France ?
- L’année 2023 a marqué une chute du taux de fécondité en France, avec une baisse de 6,7 % du nombre de naissances par rapport à l’année précédente.
- Dans les pays européens, un modèle semble se dessiner autour de 1,5 enfant par femme.
- Cette convergence s’explique notamment par l’arrivée plus tardive du premier enfant, l’évolution des rapports hommes-femmes, ou l’importance que donnent les femmes à leurs carrières professionnelles.
- A priori, ce changement démographique n’affectera le système des retraites que dans plus de 20 ans, quand les générations actuelles entreront sur le marché du travail.
- Il n’existe pas de lien prouvé entre bonne santé économique et taux de fécondité élevé et les politiques natalistes ont généralement très peu d’effets sur le nombre de naissances.
La fécondité a connu une importante chute en 2023 en France. Comment l’expliquez-vous ?
En 2023, 678 000 bébés sont nés en France, soit 6,7 % de moins qu’en 2020 et 16 % de moins qu’en 2010. Nous arrivons à une moyenne de 1,68 enfant par femme, soit le plus faible taux de fécondité depuis 1945. Il y a eu une baisse très rapide l’année dernière, que personne ne comprend bien. Nous ne savons pas ce qui a pu créer ce choc, il n’y a pas eu d’événement politique ou économique important, comme cela a pu être le cas par exemple aux États-Unis en 2009, à la suite de la crise des subprimes. Il ne serait pas prudent de fournir une explication simple à cette chute importante. Il n’y a pas non plus de lien avec la pandémie de Covid-19. La baisse de la fécondité avait commencé autour de 2012 en France, où il y a eu une cassure. La baisse est ensuite assez linéaire jusqu’à ce décrochage en 2023.
Comment la France se place-t-elle par rapport aux taux de naissance en Europe et dans le monde ?
Au niveau mondial, les contrastes s’accroissent. On peut séparer le monde en trois grandes régions : une partie de l’Afrique, du Sahel au Botswana, où l’on observe une explosion démographique, avec pour record le Niger (6,8 enfants par femme) ; l’extrême-orient connaît une baisse rapide de la fécondité, le record vers le bas est la Corée du Sud (0,78 enfant par femme) et enfin, le reste du monde où les naissances oscillent entre 1,5 et 2,5 enfants par femme en moyenne.
La France était en tête de l’Europe depuis assez longtemps, elle l’est encore aujourd’hui, mais de peu. L’Irlande et la Roumanie sont à peu près à son niveau. Dans tous les pays de l’Union européenne, il y a une convergence autour de 1,5 enfant par femme. Les données Eurostat mettent clairement en évidence une baisse assez forte dans tous les pays d’Europe où les naissances étaient les plus nombreuses. Au contraire, là où la fécondité était la plus basse, elle l’est restée ou a légèrement remonté. Il y a sans doute un modèle européen de la famille en train de se mettre en place.
Y a‑t-il des explications sur cette convergence des pays européens autour du chiffre de 1,5 enfant par femme ?
Cette convergence s’explique principalement par une évolution des rapports entre les hommes et les femmes. Ces dernières, nettement plus diplômées que les hommes, acceptent moins la double-journée, et l’inégale répartition des tâches que dans les années 1980, par exemple. Ce mécanisme est en train de s’enclencher dans beaucoup de pays d’Europe. Par ailleurs, l’âge moyen des mères à la naissance de leur premier enfant continue d’augmenter, ce qui fait techniquement baisser la fécondité, car elle est répartie sur une période un peu plus longue. Pour cette raison, le taux de fécondité diminue aux jeunes âges, jusqu’à 30–35 ans, puis se stabilise et augmente au-delà. Enfin, il y a une augmentation de la proportion de femmes qui ne font pas d’enfant ou un seul.
Fait-on face à une grande évolution de la natalité, comme a pu l’être le baby-boom, par exemple ?
C’est équivalent, puisqu’il existe un « turning point », un tournant. Quand on suit les indices démographiques, il existe un moment où ils s’inversent, mais cela prend du temps. Il faut au moins une génération, donc tous les 30 ou 40 ans. Il y a donc eu la génération du baby-boom, la génération du retard de l’âge de la maternité et là, nous sommes en face d’un retournement qui amènera à une fécondité assez faible de l’ordre de 1,5 enfant par femme.
Nous pensons toujours que les événements immédiats vont avoir des conséquences, mais seuls quelques événements marquent un changement rapide. Le moment de la crise pétrolière, en 1973, est un grand retournement, mais il est préparé par l’arrivée des moyens modernes de contraception à partir de 1965, qui enclenche une baisse de la fécondité.
Quelles conséquences la baisse des naissances pourrait-elle avoir sur l’économie du pays ?
Il y a une grande confusion sur cet impact. Lors de la réforme des retraites, la droite affirmait que la baisse de la natalité était très grave pour l’équilibre du système. En réalité, cela dépend de l’intervalle de temps que l’on prend. Le système des retraites sera éventuellement impacté seulement quand les générations nées actuellement arriveront sur le marché du travail, donc dans un peu plus de 20 ans. Jusqu’à 2045, il n’y aura donc pas de problème pour les retraites. Cela aura-t-il des conséquences négatives à court ou moyen terme ? Il est difficile de le dire. Il y a aura des changements de consommation, une augmentation du pouvoir d’achat pour les adultes, moins de coûts pour les écoles, ou la possibilité d’avoir moins d’enfants par classe… Ce n’est pas entièrement négatif ou positif. J’avais réalisé une étude démontrant que le problème des retraites atteindra les générations qui n’ont pas fait d’enfants ou moins, donc ces dernières auront eu plus de revenus disponibles pour elles-mêmes aux âges où l’on conçoit les enfants. Cela répond à une logique assez juste, rarement évoquée.
Existe-t-il un lien clair entre la bonne santé économique d’un pays et la croissance démographique ?
Non, c’est une vieille lune. Les Français ont beaucoup espéré qu’il y ait un lien. Les études sont nombreuses, notamment celles réalisées par l’économiste Alfred Sauvy, mais elles n’ont jamais rien montré de tel. Les corrélations ne marchent pas. C’est trop disjoint, il y a tellement d’intermédiaires entre la croissance économique et démographique comme l’éducation, les investissements…
S’il n’est pas prouvé qu’un fort taux de naissances mène à une croissance économique, pourquoi prête-t-on autant d’attention à la natalité en France ?
L’importance de la fécondité remonte à la défaite devant l’Allemagne en 1870. On imaginait que les Allemands ayant plus d’enfants, ils avaient donc plus de soldats. La défaite a été assimilée à la faible fécondité française, ce qui est faux. En réalité, l’Allemagne avait moins de soldats à l’époque. L’Église a affirmé que la défaite était une punition parce que les Français ne faisaient pas assez d’enfants. C’était une source de lamentation, qui a mené au développement de mouvements natalistes. L’idée s’est alors propagée qu’il était mauvais d’avoir des enfants uniques. Des psychologues affirmaient qu’un enfant unique se socialisait mal, ce qui a mené plus tard à la création de maternelles et de crèches. Lutter contre l’enfant unique a assuré la remontée de la fécondité du baby-boom à partir de 1945–1946. C’est une question de mœurs, particulière à la France. Des pays comme l’Angleterre ou l’Allemagne n’ont jamais eu peur d’avoir une faible fécondité, historiquement, c’est même plutôt l’inverse. Il reste donc dans la mentalité française cette idée qu’avoir des enfants est bon pour le pays. Ce thème est particulièrement fort dans la classe politique, car cela permet de montrer qu’elle est soucieuse de la nation.
Emmanuel Macron veut mettre en place le congé de naissance pour mener à un « réarmement démographique ». Est-ce que les politiques natalistes ont un effet réel sur le taux de naissance ?
Les politiques natalistes n’ont presqu’aucun effet. Beaucoup d’études ont été réalisées, notamment dans d’autres pays. En 1967, le président roumain Nicolae Ceaușescu avait interdit l’IVG. L’année suivante, la fécondité a été multipliée par deux, mais elle est retombée rapidement. En Chine, contrairement à ce que l’on croit, ce n’est pas la politique de l’enfant unique qui a causé une baisse des naissances. En 1978, quand elle est mise en place, la Chine est déjà passée de 5 enfants à 2,7 enfants par femme. Cette mesure n’a fait qu’accompagner le mouvement. Et quand la politique de l’enfant unique a été abandonnée en 2016, au lieu de s’élever, la fécondité a au contraire plongé (1,11 enfant par femme en 2022).
Dans les pays européens, on observe souvent un effet d’aubaine à la suite d’une mesure nataliste. Il y a une petite montée des naissances dans l’année ou les deux ou trois années suivantes, puis une petite baisse et on revient au niveau initial. En Hongrie, une politique nataliste est menée actuellement. Cependant, les tendances de la fécondité y évoluent de la même manière que chez ses voisins. Des petits avantages ne vont pas changer une décision aussi importante que celle de construire sa famille. L’économiste de l’OCDE Olivier Thévenon chiffre à 5 % l’augmentation de la fécondité si l’on compense un quart du coût de l’enfant, ce qui est beaucoup. Cela fait 0,1 enfant en France. De plus en plus, la répartition des indices de fécondité correspond à de grands ensembles culturels, Europe du Sud, Asie de l’Est par exemple…