Du toucher à la relation sociale : la magie des neurones
- La théorie de l’attachement suppose qu’avoir un contact avec une personne que nous aimons nous permet de renforcer notre lien social avec elle.
- Des expériences ont démontré qu’un nourrisson s’attache à sa mère non pas pour son apport nutritif mais pour le contact réconfortant qu’elle lui procure.
- Chez l’Homme, ces contacts « plaisants » sont compris entre 3 et 10 cm/sec, venant d’une source de chaleur se rapprochant de la température du corps humain.
- Certains contacts peuvent néanmoins provoquer une réaction aversive, à cause d’autres stimuli ou d’une condition pathologique.
- Mieux comprendre comment nous développons des liens sociaux nous permettrait de mieux encadrer les personnes ayant des difficultés à ce sujet.
Qu’est-ce qui peut bien être plus chaleureux et réconfortant que le contact d’une personne qui nous tient à cœur ? Toucher une personne à qui nous sommes attachés provoque un plaisir qui nous rapproche d’autant plus de celle-ci. Pour autant, est-ce le plaisir qui renforce cet attachement, ou bien l’attachement qui provoque ce plaisir ?
La théorie de l’attachement a une longue histoire en psychologie, et Harry Harlow peut être considéré comme l’un de ses précurseurs. Par l’intermédiaire d’expériences1 déjà controversées en son temps, il est parvenu à réfuter une idée reçue, plutôt tenace, de son époque : le nourrisson développerait de l’attachement pour sa mère par le biais de son allaitement. En séparant à la naissance des bébés singes de leur mère, il a découvert qu’entre deux substituts maternels — une poupée en fil de fer, raide, ayant un biberon de lait ; une autre en tissu, plus douce, étant chauffée artificiellement —, les singes choisissent celle leur apportant confort et chaleur au toucher, plutôt que celle qui comblerait leur besoin vital de nourriture.
De cette expérience, le psychologue anglais John Bowlby développe la « théorie de l’attachement2 ». Ainsi, un nourrisson s’attacherait à sa mère non pas pour son apport nutritif, mais bien pour le contact réconfortant qu’elle lui procure. Cette théorie date peut-être de 1969, mais bon nombre d’expériences ont permis de la rendre de plus en plus crédible aux yeux des psychologues. Ce qui en résulte : pour avoir un bon développement social et émotionnel, un enfant doit avoir au moins une figure prenant soin de lui, de façon continue et cohérente – figure pour laquelle il développera un attachement.
Amaury François, chargé de Recherche à l’Institut de Génomique Fonctionnelle de Montpellier, et son équipe ont décidé de dépasser les frontières psychologiques de cette théorie en y ajoutant une validité biologique3. Pour ce faire, ils se sont concentrés sur la possible influence de la sensation du toucher plaisant dans le renforcement de nos relations sociales. « Il existe un réseau de neurones chez l’homme, découvert par le neurologue suédois Åke Vallbo4, responsable de cette sensation de toucher plaisant, explique le chercheur, ce sont les C‑Tactiles. Notre expérience consistait à découvrir son équivalent chez la souris, afin d’en tester ses effets concrets sur le développement de nos relations sociales. Nous avons donc pu valider l’influence du réseau des C‑LTMR (l’équivalent des C‑Tactile chez les rongeurs) sur la socialisation des souris. »
Une sensation de toucher plaisant
« Ce que nous avons découvert est qu’il existe, chez la souris comme chez l’Homme, un réseau de neurones propre au toucher social, innervant la peau, envoyant l’information au système nerveux central (lui-même n’en faisant pas partie) lorsqu’il s’active, explique Amaury François. Son activation ne se fait que dans des conditions bien particulières. En général, chez l’Homme, ce sont des touchers avec une vitesse à respecter (entre 3 et 10 cm/sec), venant d’une source de chaleur se rapprochant de la température du corps humain. Ce sont des stimulations que nous trouvons presque tous plaisantes consciemment ou inconsciemment. » Pas étonnant que le nourrisson se sente si bien dans les bras de sa maman.
Chez la souris, l’équivalent de ce réseau (appelé C‑LMTR) a été identifié. Grâce à celui-ci, l’équipe de recherche a conçu un paradigme permettant de vérifier son influence sur le développement des relations sociales. « Pour un groupe de souris génétiquement modifiées de façon à qu’elles aient une déficience dans ce réseau, les résultats sont explicites, déclare le chercheur. Le groupe de souris en question ne semble plus interagir normalement avec ses congénères, il favorisera l’isolement. » Dans ce résultat, un élément intrigue le chercheur : l’animal au réseau défaillant ne fuit pas les autres, il ne trouve simplement aucun intérêt à rentrer en contact avec eux.
La sensation plaisante du toucher serait un élément motivateur à la socialisation.
Il reste important de noter que ce réseau de neurones n’est pas le seul à s’activer lors d’un contact direct. « Les C‑LMTR sont présents pour la valeur émotionnelle, sa simple activation est suffisante, indique Amaury François. La question de l’influence des autres peut tout de même se poser. Nous estimons que ce réseau fonctionne un peu comme le système de récompense. Cette sensation plaisante serait un élément motivateur à la socialisation. »
La preuve de la théorie de l’attachement
On peut donc établir un lien direct entre le contact avec autrui et notre attachement pour celui-ci. C’est cet aspect réconfortant du contact doux et chaleureux ressenti qui nous donne la motivation, et l’envie de le reproduire. Ce que, au final, Harry Harlow avait à peu près observé. « Depuis toutes ces expériences sur la théorie de l’attachement, rien de significatif n’avait été fait, rappelle le chercheur. Aujourd’hui, nous avons des éléments de réponse supplémentaires à ces questions, ce qui nous permet de mieux assurer le bon développement social d’un enfant. »
Seulement, cette expérience ne répond pas à toutes les questions que cette théorie suscite. « Nous avons étudié un réseau de neurones qui ne fait qu’envoyer l’information au cerveau, ajoute Amaury François. L’intérêt est de comprendre comment cette information se traduit dans le cerveau pour qu’elle en soit perçue comme plaisante, mais aussi de comprendre pourquoi certains contacts, respectant pourtant les conditions du toucher plaisant, provoquent un effet presque inverse. »
Après tout, si un inconnu se rapproche de vous dans la rue et vous caresse, la réaction que vous allez avoir sera probablement aversive. Pour le chercheur l’explication proviendrait d’autres stimuli, qui ne sont pas forcément perceptibles. « Dans les cages [de souris], un facteur que nous ne pouvions pas influencer était celui des odeurs, précise-t-il, car on ne les voit pas et ne les perçoit pas de la même manière que les souris. Par l’odeur, il peut y avoir association de plaisir/réconfort avec un lieu ou un individu, aidant également à l’attachement. »
Un réseau défaillant peut toujours se redévelopper
Ce réseau est, normalement, inné chez l’Homme. Pour autant, il n’est pas mature dès la naissance, il doit se développer. Comme nous le montrent les souris génétiquement modifiées, si ce réseau ne fonctionne pas comme il devrait, l’individu aura tendance à favoriser l’isolement. Mais l’effet est également observable sur les souris ayant une hypersensibilité. « Dans un contexte neutre, l’activation de ce réseau est plaisante. Dans un contexte pathologique, sa suractivation provoquera un comportement aversif au contact, indique Amaury François. La réaction est donc encore plus forte que pour un manque d’activation. La souris, cette fois-ci, fuira le contact social, elle aura un intérêt à l’isolement. »
Dans un contexte pathologique, l’hypersensibilité provoquera un comportement aversif au contact.
« Ce ressenti pathologique peut s’observer notamment chez les personnes atteintes d’autismes, ce qui rend d’ailleurs la situation d’autant plus dure pour l’individu et ses parents. Leur contact étant rejeté par l’enfant, les parents sont perturbés quant à la façon d’interagir avec lui. Et tout cela provoquera des séquelles certaines sur son développement social. », admet-il.
Cette découverte ouvre donc la voie à une multitude de recherches différentes qui nous permettront, un jour, de mieux comprendre comment et pourquoi nous développons des liens sociaux avec les autres. Et, au vu de leur importance déjà prouvée, peut-être cela nous permettra-t-il aussi de mieux encadrer les personnes ayant des difficultés à ce sujet. « Quand la différence est à la base, et que le réseau est défaillant, il y aura des lacunes, c’est certain. Mais il ne sera pas trop tard pour le développer et se réadapter à ces dernières », conclut le chercheur.
Pablo Andres
Pour aller plus loin :
L’article d’Amaury François et son équipe, pour comprendre tous les détails de leur recherche : https://doi.org/10.1126/sciadv.abo7566