Covid-19 : « Les 16–25 ans sont les plus fragiles sur le plan psychique »
Que sait-on aujourd’hui de l’effet de la crise du Covid-19 sur la santé mentale des jeunes ?
Rien de très surprenant. Les données sur le « moral des Français » produites par Santé Publique France arrivent à des conclusions logiques : en janvier 2021, près de 23% des personnes souffraient d’anxiété et/ou de dépression contre respectivement 13,5% et 10% en 2017 1.
Mais ce constat global reste assez superficiel, parce que tout le monde n’a pas la même réaction face à la pandémie. Les jeunes, parce qu’ils ne sont pas aussi « cristallisés » psychiquement que les plus âgés, ont une santé mentale bien plus variable. Ils étaient par exemple plus effondrés que la moyenne pendant le confinement, mais allaient mieux que les autres durant l’été.
Dans le cas des enfants, il est encore plus difficile de produire des données scientifiques. Déjà parce que les études d’épidémiologie psychiatrique ne sont quasiment jamais réalisées sur les mineurs, mais aussi parce qu’ils n’ont vécu l’épidémie qu’à travers leurs parents. Un enfant de quatre ans confiné avec des parents qui n’étaient pas angoissés par la situation ne s’est ainsi rendu compte de presque rien.
Donc tout n’est pas tout noir ?
Non ! L’un des indices chiffrés dont nous disposons est le nombre d’hospitalisations pour tentative de suicide ; et de janvier à août 2020, il a diminué d’environ 8,5% par rapport à la même période de l’année 2019 2. Il n’y a pas d’interprétation univoque de cette baisse, mais c’est une récurrence : pendant les crises ou les guerres, il y a moins de suicides. On appelle ça un « organisateur externe » : notre attention se fixe sur cet évènement jusqu’à en oublier toutes les autres raisons, plus personnelles, pour lesquelles nous étions angoissés. C’est très humain et, paradoxalement, avoir un objet concret sur lequel se défouler peut permettre d’aller mieux.
Pour les enfants, et si le climat familial était sain, le confinement a même parfois été positif. J’ai constaté que des enfants autistes ou hyperactifs que je suivais se sentaient mieux durant cette période, notamment parce que l’école était pour eux une grande source d’angoisse. On a aussi noté une plus grande disponibilité des parents pour leurs enfants : ils faisaient les devoirs, jouaient à des jeux de société…
Ce constat est beaucoup plus nuancé pour les jeunes adultes. On répète qu’il faut protéger les plus fragiles, mais encore faut-il savoir qui ils sont. Nous n’avons pas encore de données chiffrées sur la situation après septembre 2020, mais les retours cliniques sont clairs : sur le plan psychique, les plus fragiles sont les 16–25 ans.
Les étudiants et les jeunes actifs sont confrontés à un marché du travail saturé, qui ne leur offre aucune perspective.
Pourquoi spécifiquement les 16–25 ans ?
Parce qu’ils sont les plus exposés ! Les enfants continuent d’aller à l’école, de recevoir le soutien de leurs parents. Au contraire, les étudiants et les jeunes actifs sont confrontés à un marché du travail saturé, qui ne leur offre aucune perspective, et ils sont en plus privés de la vie sociale et sexuelle absolument nécessaire à la construction de leur identité à cet âge. Et ça, personne ne le dit ! La sexualité des jeunes n’est pas un paramètre négligeable, c’est un facteur déstructurant, parfois à l’origine de l’apparition de troubles du comportement alimentaire et de tentatives de suicide.
Le problème principal pour cette tranche d’âge, c’est l’absence totale de reconnaissance de leurs sacrifices. Le confinement était une situation extrêmement brutale sur le plan psychique, et il était destiné à protéger un segment très particulier de la population : les personnes très âgées. Et personne ne l’a avoué, personne n’a remercié les jeunes d’avoir joué le jeu alors que le Covid-19 n’est pas vraiment dangereux pour eux, et que leurs conditions de vie (et de confinement) sont nettement inférieures à celles des retraités. Le gouvernement n’a pas fait de geste, en leur ouvrant par exemple l’accès au RSA.
Au contraire, ils sont constamment réprimandés dans les médias. On leur reproche de faire la fête, de prendre des risques… Il y a donc une double-peine flagrante. Contrairement à ce que l’on déclare souvent, je ne pense pas qu’il y ait un « bashing » des personnes âgées : on les protège bien plus que les jeunes.
Vous craignez donc que cette situation n’alimente un conflit intergénérationnel ?
Les tensions générationnelles sont des invariants anthropologiques, mais la situation actuelle est particulièrement délétère. Dans mon métier de psychiatre, la moitié du travail c’est d’arriver à nommer les problèmes : en refusant de reconnaître les efforts des jeunes – et en les culpabilisant – on alimente un ressentiment qui est inquiétant, et qui vient s’ajouter aux questions de réchauffement climatique, dont on sous-estime le poids dans l’esprit des jeunes. Une enquête du Monde 3 a ainsi révélé que 56 % des sondés craignent un conflit de générations, et que 81 % estiment que « les jeunes et les étudiants sont les plus mal pris en compte dans les décisions gouvernementales ». Il serait peut-être temps de faire un geste pour les remercier.