Consommation de drogues et détournement de médicaments en hausse
- Les addictions sont largement répandues dans la population française : en 2020, 25,5 % des adultes fument quotidiennement et 10 % boivent au moins un verre d’alcool par jour.
- L’addiction repose sur des critères comme le craving, la poursuite de la consommation malgré les dangers, ou encore un syndrome de sevrage à l’arrêt de la substance.
- En France, les substances addictives les plus consommées sont le tabac (responsable de 75 000 décès par an), l’alcool (41 000 décès par an) et le cannabis.
- Une augmentation nette de l’usage de drogues psychostimulantes est observée chez les adultes depuis 2010 et le détournement de médicaments à base d’opiacés augmente.
- Les recherches actuelles se concentrent sur des études spécifiquement dédiées aux usagers de drogues, afin de mieux identifier les thérapies efficaces et adaptées à leurs profils.
Première cause de dérégulation du circuit de la récompense, les addictions restent massivement installées dans la population française. Notamment grâce à la consommation généralisée de substances psychoactives bien légales : le tabac et l’alcool, qui représentent les deux premières causes de mortalité prématurée dans le pays. En 2020, ce sont près de 25,5 % des adultes qui fumaient quotidiennement (12 millions de personnes) et 10 % qui buvaient au moins un verre d’alcool par jour (5 millions de personnes).
Mais aujourd’hui, le mot semble pouvoir s’appliquer à tout : addiction aux écrans, au sucre, au sport, au travail, au sexe… qu’en est-il vraiment des addictions en France en 2025 ?
Une définition encadrée
Premièrement, pour parler d’addiction, il faut présenter au moins 2 des 11 critères énoncés dans le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ou DSM‑5, parmi lesquels : le craving, un besoin impérieux de consommer la substance ou de réaliser l’activité ; la perte de contrôle sur la quantité et le temps dédié à la consommation ; l’augmentation de la tolérance au produit ; un fort désir de diminuer les doses ; la poursuite de l’usage malgré les dégâts ; ou encore la présence d’un syndrome de sevrage à l’arrêt brutal du comportement addictif…
À ce jour, seules les dépendances aux substances (tabac, alcool, cannabis, cocaïne, opium et dérivés) ou aux jeux vidéo et jeux d’argent sont reconnues comme des « addictions ». Les réseaux sociaux, l’hyperactivité sexuelle ou encore le sucre ne sont pas considérés comme telles par manque de données et de preuves scientifiques.
Trio de tête
En France, les substances addictives les plus consommées restent le trio tabac, alcool et cannabis. Les deux premières sont responsables respectivement de 75 000 et 41 000 morts par an. Des chiffres terrifiants, connus mais invisibilisés à force d’habitude.
Dans une tribune publiée le 20 octobre 2024 dernier1, le médecin Bernard Basset, président de l’association Addictions France, et le psychiatre addictologue Amine Benyamina, président de la Fédération Française d’Addictologie (FFA), ont proposé une série de mesures associant santé publique et dette de l’État, en taxant par exemple les boissons en fonction du degré d’alcool, ou en instaurant un prix minimum par boisson en suivant le modèle écossais. « En France, on a un vrai problème culturel avec l’alcool et des lobbies très puissants, témoigne Amine Benyamina. Toutes les politiques publiques de prévention sont étouffées ou censurées. » Pourtant, selon les données recueillies par la cohorte épidémiologique Constances2, qui comptait près de 200 000 personnes en 2018, 19,8 % des hommes et 8 % des femmes auraient un usage dangereux de l’alcool dans la population active.
Hausse des psychostimulants
Si le problème persiste, il évolue néanmoins. En commençant par un point positif majeur relevé par Guillaume Airagnes, directeur de l’Observatoire Français des Drogues et des Tendances addictives (OFDT) et docteur en psychiatrie et addictologie : « La consommation générale des substances comme le tabac ou l’alcool est à la baisse chez les jeunes depuis 2010. » Avec malgré tout un bémol au moment du Covid, où plusieurs activités addictives ont été en hausse pendant le confinement3.
En revanche, une augmentation nette de l’usage de drogues psychostimulantes est observée chez les adultes depuis 2010, « bien que les niveaux d’usage en population générale restent incomparablement plus faibles que ce qu’on peut avoir avec le tabac, l’alcool ou le cannabis » rappelle Guillaume Airagnes.
Ces substances, comme l’ecstasy, ont bénéficié d’une forte banalisation de leur image. C’est également le cas de la cocaïne, dont la disponibilité n’a cessé d’augmenter en dix ans, autrefois marqueur social d’une catégorie économique aisée. En 2021, 26,5 tonnes de cocaïne ont été saisies, soit une augmentation de 67 % par rapport à 2018. « La cocaïne bénéficie du stéréotype tenace qu’elle ne produirait pas de dépendance. En réalité, si les signes de sevrage physique sont presque inexistants, c’est un des produits les plus tyrannique psychologiquement, avec des cravings extrêmement puissants » décrit Amine Benyamina, également chef de service psychiatrie et addictologie de l’hôpital Paul-Brousse à Paris. Une augmentation qui devrait se maintenir. Le confinement de 2020 a en effet démontré les capacités d’adaptation du trafic de drogue, avec des services de livraison à domicile, du marketing, des packagings attractifs, l’utilisation des réseaux sociaux et des messageries instantanées ou encore des paiements en cryptomonnaie…
Le mésusage des médicaments comme nouvelle drogue
Autres évolutions plus méconnues : le détournement de l’usage thérapeutique de certains médicaments à base d’opiacés, comme la codéine ou le tramadol. Des dérivés morphiniques avec un effet antalgique moins important que la morphine. « Paradoxalement, cela leur donne un pouvoir addictif plus élevé, explique Guillaume Airagnes. Comme les effets psychoactifs sont moins intenses, cela induit une consommation compulsive plus importante. » Les mésusages de ces médicaments sont connus depuis une dizaine d’années et restent sous haute surveillance, bien qu’ils ne concernent encore qu’une part « très réduite des usagers » tempère encore le directeur de l’OFDT.
Dans son service, Amine Benyamina voit également passer de nouveaux types de mésusages médicamenteux : « De façon plus marginale mais tout aussi problématique, il y a l’utilisation de la prégabaline ou LYRICA. C’est un produit qui est destiné à traiter les douleurs neuropathiques ou les syndromes de stress post-traumatique. » Cet antalgique, qui n’est cette fois pas un dérivé morphinique, possède lui aussi un fort potentiel addictif, poussant les patients à poursuivre leur consommation au-delà des délais de prescription.
Pistes de recherche
Un des premiers problèmes auquel se confrontent les soignants est le manque d’information sur les consommateurs de drogues eux-mêmes. En effet, la majorité des données sur l’addiction en France viennent d’enquêtes menées sur la population générale pour plus de représentativité. Mais plus pour très longtemps ! En avril 2024 a été lancée la première e‑cohorte nationale ouverte uniquement aux usagers de drogues : ComPaRe Pratiques Addictives4. « Nous avons déjà plusieurs milliers d’inscrits, annonce Guillaume Airagnes, qui chapeaute l’étude. La seule condition pour être éligible est d’être un consommateur de substance psychoactive au moment de l’inclusion dans l’étude. Bien sûr, nous visons un suivi des participants pendant au moins 5 ans, indépendamment du maintien de leur consommation. »
Les réponses et le suivi sur le long terme vont permettre à Guillaume Airagnes et ses équipes d’explorer plusieurs pistes de recherche : la question des poly-consommations, qui semble être la règle plus que l’exception ; les relations entre les usages de drogues et la situation économique, démographique ou professionnelle ; l’étude du phénomène de stigmatisation très fort chez ces consommateurs, etc. Ces données permettront également de mieux cibler les thérapies efficaces et adaptées en fonction des profils.
Dans son Guide pratique de psychothérapies les plus utilisées en addictologie de mai 20225, la Fédération Française d’Addictologie liste et hiérarchise les différentes thérapies selon leur pertinence clinique. L’approche par les thérapies comportementales et cognitives (TCC) reste la plus plébiscitée, avec une méthode adaptable aux addictions avec et sans substances et des résultats solides confirmés par les études scientifiques.
Mais d’autres pistes de traitement sont en cours d’exploration, comme l’utilisation – surprenante – de dérivés du LSD. « Les premiers résultats sont étonnants et encourageants, se réjouit le professeur Amine Benyamina. Bien sûr, il est important de rappeler que ces études sont très encadrées, avertit le professeur, qui travaille justement avec son équipe sur l’effet de la psilocybine sur les addictions à l’alcool. À ne pas reproduire chez soi. »