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Consommation de drogues et détournement de médicaments en hausse

guillaume airagnes
Guillaume Airagnes
maître de conférence à l'Université Paris Cité
Amine Benyamina
Amine Benyamina
professeur des universités à la faculté de médecine Paris Saclay
En bref
  • Les addictions sont largement répandues dans la population française : en 2020, 25,5 % des adultes fument quotidiennement et 10 % boivent au moins un verre d’alcool par jour.
  • L’addiction repose sur des critères comme le craving, la poursuite de la consommation malgré les dangers, ou encore un syndrome de sevrage à l’arrêt de la substance.
  • En France, les substances addictives les plus consommées sont le tabac (responsable de 75 000 décès par an), l’alcool (41 000 décès par an) et le cannabis.
  • Une augmentation nette de l’usage de drogues psychostimulantes est observée chez les adultes depuis 2010 et le détournement de médicaments à base d’opiacés augmente.
  • Les recherches actuelles se concentrent sur des études spécifiquement dédiées aux usagers de drogues, afin de mieux identifier les thérapies efficaces et adaptées à leurs profils.

Pre­mière cause de dérégu­la­tion du cir­cuit de la récom­pense, les addic­tions restent mas­sive­ment instal­lées dans la pop­u­la­tion française. Notam­ment grâce à la con­som­ma­tion général­isée de sub­stances psy­choac­tives bien légales : le tabac et l’alcool, qui représen­tent les deux pre­mières caus­es de mor­tal­ité pré­maturée dans le pays. En 2020, ce sont près de 25,5 % des adultes qui fumaient quo­ti­di­en­nement (12 mil­lions de per­son­nes) et 10 % qui buvaient au moins un verre d’alcool par jour (5 mil­lions de personnes).

Mais aujourd’hui, le mot sem­ble pou­voir s’appliquer à tout : addic­tion aux écrans, au sucre, au sport, au tra­vail, au sexe… qu’en est-il vrai­ment des addic­tions en France en 2025 ?

Une définition encadrée

Pre­mière­ment, pour par­ler d’addiction, il faut présen­ter au moins 2 des 11 critères énon­cés dans le Diag­nos­tic and Sta­tis­ti­cal Man­u­al of Men­tal Dis­or­ders ou DSM‑5, par­mi lesquels : le crav­ing, un besoin impérieux de con­som­mer la sub­stance ou de réalis­er l’activité ; la perte de con­trôle sur la quan­tité et le temps dédié à la con­som­ma­tion ; l’augmentation de la tolérance au pro­duit ; un fort désir de dimin­uer les dos­es ; la pour­suite de l’usage mal­gré les dégâts ; ou encore la présence d’un syn­drome de sevrage à l’arrêt bru­tal du com­porte­ment addictif…

À ce jour, seules les dépen­dances aux sub­stances (tabac, alcool, cannabis, cocaïne, opi­um et dérivés) ou aux jeux vidéo et jeux d’argent sont recon­nues comme des « addic­tions ». Les réseaux soci­aux, l’hyperactivité sex­uelle ou encore le sucre ne sont pas con­sid­érés comme telles par manque de don­nées et de preuves scientifiques.

Trio de tête

En France, les sub­stances addic­tives les plus con­som­mées restent le trio tabac, alcool et cannabis. Les deux pre­mières sont respon­s­ables respec­tive­ment de 75 000 et 41 000 morts par an. Des chiffres ter­ri­fi­ants, con­nus mais invis­i­bil­isés à force d’habitude.

Dans une tri­bune pub­liée le 20 octo­bre 2024 dernier1, le médecin Bernard Bas­set, prési­dent de l’association Addic­tions France, et le psy­chi­a­tre addic­to­logue Amine Benyam­i­na, prési­dent de la Fédéra­tion Française d’Addictologie (FFA), ont pro­posé une série de mesures asso­ciant san­té publique et dette de l’État, en tax­ant par exem­ple les bois­sons en fonc­tion du degré d’alcool, ou en instau­rant un prix min­i­mum par bois­son en suiv­ant le mod­èle écos­sais. « En France, on a un vrai prob­lème cul­turel avec l’alcool et des lob­bies très puis­sants, témoigne Amine Benyam­i­na. Toutes les poli­tiques publiques de préven­tion sont étouf­fées ou cen­surées. » Pour­tant, selon les don­nées recueil­lies par la cohorte épidémi­ologique Con­stances2, qui comp­tait près de 200  000 per­son­nes en 2018, 19,8 % des hommes et 8 % des femmes auraient un usage dan­gereux de l’alcool dans la pop­u­la­tion active.

Hausse des psychostimulants

Si le prob­lème per­siste, il évolue néan­moins. En com­mençant par un point posi­tif majeur relevé par Guil­laume Airagnes, directeur de l’Observatoire Français des Drogues et des Ten­dances addic­tives (OFDT) et doc­teur en psy­chi­a­trie et addic­tolo­gie : « La con­som­ma­tion générale des sub­stances comme le tabac ou l’alcool est à la baisse chez les jeunes depuis 2010. » Avec mal­gré tout un bémol au moment du Covid, où plusieurs activ­ités addic­tives ont été en hausse pen­dant le con­fine­ment3.

En revanche, une aug­men­ta­tion nette de l’usage de drogues psy­chos­tim­u­lantes est observée chez les adultes depuis 2010, « bien que les niveaux d’usage en pop­u­la­tion générale restent incom­pa­ra­ble­ment plus faibles que ce qu’on peut avoir avec le tabac, l’al­cool ou le cannabis » rap­pelle Guil­laume Airagnes. 

Ces sub­stances, comme l’ecstasy, ont béné­fi­cié d’une forte banal­i­sa­tion de leur image. C’est égale­ment le cas de la cocaïne, dont la disponi­bil­ité n’a cessé d’augmenter en dix ans, autre­fois mar­queur social d’une caté­gorie économique aisée. En 2021, 26,5 tonnes de cocaïne ont été saisies, soit une aug­men­ta­tion de 67 % par rap­port à 2018. « La cocaïne béné­fi­cie du stéréo­type tenace qu’elle ne pro­duirait pas de dépen­dance. En réal­ité, si les signes de sevrage physique sont presque inex­is­tants, c’est un des pro­duits les plus tyran­nique psy­chologique­ment, avec des crav­ings extrême­ment puis­sants » décrit Amine Benyam­i­na, égale­ment chef de ser­vice psy­chi­a­trie et addic­tolo­gie de l’hôpital Paul-Brousse à Paris. Une aug­men­ta­tion qui devrait se main­tenir. Le con­fine­ment de 2020 a en effet démon­tré les capac­ités d’adaptation du traf­ic de drogue, avec des ser­vices de livrai­son à domi­cile, du mar­ket­ing, des pack­ag­ings attrac­t­ifs, l’utilisation des réseaux soci­aux et des mes­sageries instan­ta­nées ou encore des paiements en cryptomonnaie…

Le mésusage des médicaments comme nouvelle drogue

Autres évo­lu­tions plus mécon­nues : le détourne­ment de l’usage thérapeu­tique de cer­tains médica­ments à base d’opiacés, comme la codéine ou le tra­madol. Des dérivés mor­phiniques avec un effet antalgique moins impor­tant que la mor­phine. « Para­doxale­ment, cela leur donne un pou­voir addic­tif plus élevé, explique Guil­laume Airagnes. Comme les effets psy­choac­t­ifs sont moins intens­es, cela induit une con­som­ma­tion com­pul­sive plus impor­tante. » Les mésusages de ces médica­ments sont con­nus depuis une dizaine d’années et restent sous haute sur­veil­lance, bien qu’ils ne con­cer­nent encore qu’une part « très réduite des usagers » tem­père encore le directeur de l’OFDT.

Dans son ser­vice, Amine Benyam­i­na voit égale­ment pass­er de nou­veaux types de mésusages médica­menteux : « De façon plus mar­ginale mais tout aus­si prob­lé­ma­tique, il y a l’utilisation de la pré­ga­ba­line ou LYRICA. C’est un pro­duit qui est des­tiné à traiter les douleurs neu­ropathiques ou les syn­dromes de stress post-trau­ma­tique. » Cet antalgique, qui n’est cette fois pas un dérivé mor­phinique, pos­sède lui aus­si un fort poten­tiel addic­tif, pous­sant les patients à pour­suiv­re leur con­som­ma­tion au-delà des délais de prescription.

Pistes de recherche

Un des pre­miers prob­lèmes auquel se con­fron­tent les soignants est le manque d’information sur les con­som­ma­teurs de drogues eux-mêmes. En effet, la majorité des don­nées sur l’addiction en France vien­nent d’enquêtes menées sur la pop­u­la­tion générale pour plus de représen­ta­tiv­ité. Mais plus pour très longtemps ! En avril 2024 a été lancée la pre­mière e‑cohorte nationale ouverte unique­ment aux usagers de drogues : Com­PaRe Pra­tiques Addic­tives4. « Nous avons déjà plusieurs mil­liers d’inscrits, annonce Guil­laume Airagnes, qui cha­peaute l’étude. La seule con­di­tion pour être éli­gi­ble est d’être un con­som­ma­teur de sub­stance psy­choac­tive au moment de l’inclusion dans l’étude. Bien sûr, nous visons un suivi des par­tic­i­pants pen­dant au moins 5 ans, indépen­dam­ment du main­tien de leur con­som­ma­tion. »

Les répons­es et le suivi sur le long terme vont per­me­t­tre à Guil­laume Airagnes et ses équipes d’explorer plusieurs pistes de recherche : la ques­tion des poly-con­som­ma­tions, qui sem­ble être la règle plus que l’exception ; les rela­tions entre les usages de drogues et la sit­u­a­tion économique, démo­graphique ou pro­fes­sion­nelle ; l’étude du phénomène de stig­ma­ti­sa­tion très fort chez ces con­som­ma­teurs, etc. Ces don­nées per­me­t­tront égale­ment de mieux cibler les thérapies effi­caces et adap­tées en fonc­tion des profils. 

Dans son Guide pra­tique de psy­chothérapies les plus util­isées en addic­tolo­gie de mai 20225, la Fédéra­tion Française d’Addictologie liste et hiérar­chise les dif­férentes thérapies selon leur per­ti­nence clin­ique. L’approche par les thérapies com­porte­men­tales et cog­ni­tives (TCC) reste la plus plébisc­itée, avec une méth­ode adapt­able aux addic­tions avec et sans sub­stances et des résul­tats solides con­fir­més par les études scientifiques.

Mais d’autres pistes de traite­ment sont en cours d’exploration, comme l’utilisation – sur­prenante – de dérivés du LSD. « Les pre­miers résul­tats sont éton­nants et encour­ageants, se réjouit le pro­fesseur Amine Benyam­i­na. Bien sûr, il est impor­tant de rap­pel­er que ces études sont très encadrées, aver­tit le pro­fesseur, qui tra­vaille juste­ment avec son équipe sur l’effet de la psilo­cy­bine sur les addic­tions à l’alcool. À ne pas repro­duire chez soi. »

Sophie Podevin
1https://www.latribune.fr/opinions/l‑addictologie-au-secours-des-finances-publiques-1009300.html
2https://​www​.con​stances​.fr
3Rol­land B, Hae­se­baert F, Zante E, Benyam­i­na A, Hae­se­baert J, Franck N, Glob­al Changes and Fac­tors of Increase in Caloric/Salty Food Intake, Screen Use, and Sub­stance Use Dur­ing the Ear­ly COVID-19 Con­tain­ment Phase in the Gen­er­al Pop­u­la­tion in France: Sur­vey Study, JMIR Pub­lic Health Sur­veill 2020;6(3):e19630, URL: https://​pub​lichealth​.jmir​.org/​2​0​2​0​/​3​/​e​19630, DOI: 10.2196/19630
4https://​com​pare​.aphp​.fr/​p​r​a​t​i​q​u​e​s​_​a​d​d​i​c​t​ives/
5http://​www​.addic​tolo​gie​.org/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​2​/​0​8​/​F​F​A​-​G​u​i​d​e​_​p​s​y​c​h​o​t​h​e​r​a​p​i​e​s​-​2​0​2​2​_​0​5.pdf

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