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Comment prévenir des risques grandissants de burn-out au travail ?

Patrice Georget
Patrice Georget
enseignant-chercheur en psychosociologie à l’École universitaire de Management IAE Caen
En bref
  • Dans un contexte marqué par la montée des troubles psychiques, il est essentiel de déployer des stratégies de prévention du burn-out au sein du monde du travail.
  • La recherche scientifique cependant a montré que les méthodes de bien-être en entreprise sont inefficaces lorsqu’elles ne sont pas accompagnées de changements structurels dans l’organisation du travail.
  • Pour prévenir le burn-out, des scientifiques ont conceptualisé le « PsyCap » (capital psychologique) afin de mesurer les ressources des employés face aux problèmes de santé.
  • Les ressources du PsyCap sont au nombre de quatre : l’auto-efficacité, l’espoir, l’optimisme et la résilience.
  • Des programmes visant à développer le PsyCap ont été mis en place et reposent notamment sur la pratique du feedback et la réalisation de bilans d’expériences passées.

La dérélic­tion est un sen­ti­ment d’abandon extrême dans lequel une per­son­ne se sent délais­sée par tous et se délaisse elle-même, au point de ne plus « se don­ner la peine de ». Cette per­tur­ba­tion de la con­science est con­séc­u­tive à des épreuves trau­ma­tiques, des péri­odes de stress pro­longées ou encore des sit­u­a­tions de forte incer­ti­tude et de per­plex­ité, par exem­ple ren­con­trées durant la crise san­i­taire1. Les con­séquences sont mul­ti­ples et vari­ables selon les indi­vidus, tant sur le plan psy­chologique (perte du dis­cerne­ment et des capac­ités déci­sion­nelles, épuise­ment, dépres­sion, angoiss­es, perte de som­meil…) que phys­i­ologique (hyper­ten­sion, mal­adies car­diaques, dia­bète, affaib­lisse­ment des défens­es immu­ni­taires) et peu­vent entraîn­er des com­porte­ments de com­pen­sa­tion des­tinés à faire face, mais de manière inadap­tée (addic­tions, cristalli­sa­tion de la pen­sée, adhé­sion à des sché­mas sim­plifi­ca­teurs, drama­ti­sa­tion émo­tion­nelle ou mobil­i­sa­tions d’interprétations fan­tas­mées comme l’appel au com­plot23.

Un enjeu de santé publique majeur

Dans le con­texte pro­fes­sion­nel on utilise le con­cept de syn­dromes d’épuisement – ou encore de burn-out – pour qual­i­fi­er l’érosion psy­chique et com­porte­men­tale de l’individu. Il est dif­fi­cile de quan­ti­fi­er le burn-out, les don­nées épidémi­ologiques sont dis­parates, les plus pré­cis­es sont éval­uées par pro­fes­sions et nous inter­pel­lent par leur den­sité. Par exem­ple, E. Gre­bot4 liste en 2019 les chiffres du burn-out en France chez les médecins (10 %), urgen­tistes (51 %), pro­fesseurs des écoles (16 %). A par­tir de 2010 on a observé une aug­men­ta­tion rapi­de de la fréquence des mal­adies psy­chiques liées au tra­vail5. Le nom­bre de mal­adies pro­fes­sion­nelles psy­chiques recon­nues a été mul­ti­plié par sept entre 2012 et 2016, pas­sant de 82 à 5636. Les organ­ismes publics qui s’appuient sur les pro­grammes de sur­veil­lance via les médecins du tra­vail (San­té Publique France, DREETS) font le con­stat que la souf­france psy­chique en lien avec le tra­vail con­stitue aujourd’hui un enjeu de san­té publique majeur, et ce d’autant plus qu’elle est iné­gal­i­taire : en 2019 les femmes (5,9 %) sont deux fois touchées que les hommes (2,7 %). Ces chiffres ont dou­blé entre 2007 et 20197, les affec­tions les plus fréquem­ment sig­nalées sont les trou­bles anx­ieux et dépressifs.

Prévenir ou guérir ?

Les méth­odes de préven­tion du burn-out s’appuient sur l’organisation du tra­vail et les rela­tions pro­fes­sion­nelles. Elles sont main­tenant bien doc­u­men­tées grâce aux tech­niques d’analyse des sit­u­a­tions de tra­vail réelles (iden­ti­fi­ca­tions des fac­teurs de risques psy­choso­ci­aux – RPS) et des plans d’actions suiv­is8. Ces actions de préven­tion por­tent sur les sit­u­a­tions de tra­vail, sur la base des six grandes familles de risques9 : 1) l’intensité du tra­vail (p.ex. l’accumulation de deman­des con­tra­dic­toires avec objec­tifs irréal­istes), 2) les exi­gences émo­tion­nelles (p.ex. l’exposition récur­rente à un pub­lic cul­pa­bil­isant et agres­sif), 3) l’autonomie (p.ex. absence totale de choix dans la façon d’atteindre les objec­tifs fixés), 4) la qual­ité des rap­ports soci­aux (p.ex. se retrou­ver en posi­tion de bouc émis­saire), 5) le con­flit de valeurs (p.ex. devoir faire des choses que l’on dés­ap­prou­ve morale­ment) et 6) l’insécurité de la sit­u­a­tion de tra­vail (p.ex. être per­suadé que l’on ne va pas pou­voir con­tin­uer son tra­vail pénible jusqu’à 60 ans tout en n’ayant aucune per­spec­tive de change­ment). Les entre­pris­es sont mobil­isées sur la préven­tion des RPS via le CSE (ou les com­mis­sions RPS si elles ont été mis­es en place) grâce à des out­ils qui per­me­t­tent de mesur­er objec­tive­ment ces risques10. Il n’en reste pas moins que mal­gré les actions de préven­tion, les RPS con­tin­u­ent de se man­i­fester de manière récur­rente, avec des con­séquences néga­tives pour les salariés et les entreprises.

Des méthodes de résilience ?

Face à ces sit­u­a­tions de mal-être psy­chologique lié au tra­vail, nom­bre de méth­odes ont émergé ces dernières années, dans le but d’aider les indi­vidus à faire preuve de résilience, canalis­er leur stress, réguler leurs émo­tions ou encore accuser le coup de fortes pres­sions. Citons par exem­ple les pro­grammes de médi­ta­tion de pleine con­science, les ate­liers de relax­ation, de mas­sages, les for­ma­tions à la ges­tion du temps et à l’organisation per­son­nelle, les ate­liers de maîtrise du stress et de l’énergie, les appli­ca­tions de coach­ing bien-être, les méth­odes pour mieux dormir mal­gré un envi­ron­nement dif­fi­cile : autant de méth­odes qui ont la car­ac­téris­tique d’être cen­trées sur l’individu et non pas sur son envi­ron­nement. L’enjeu de ces approches con­siste à chang­er la per­son­ne, et non pas la sit­u­a­tion de tra­vail dégradée. Or les études mon­trent que la meilleure façon d’améliorer le bien-être des salariés con­siste à agir sur leur envi­ron­nement plutôt que de cibler les capac­ités de résilience des indi­vidus1112.

Quelle efficacité des méthodes de bien-être en entreprise ?

Certes les méth­odes de bien-être, aujourd’hui large­ment pro­mues, peu­vent être appré­ciées par leurs béné­fi­ci­aires, mais sont-elles effi­caces ? Ont-elles des lim­ites, voire des effets négat­ifs ? Ces ques­tions sont rarement posées tant on con­sid­ère a pri­ori qu’une méth­ode de bien-être aura pour effet le bien-être ! Par ailleurs il n’est pas aisé d’en mesur­er objec­tive­ment les effets. Ces méth­odes appor­tent-elles suff­isam­ment de ressources pour équili­br­er les exi­gences du tra­vail ? Ces ques­tions com­men­cent à être posées par les chercheurs, avec des résul­tats inter­pel­lants. La dernière étude d’ampleur réal­isée sur ce sujet13 éval­ue auprès de 46 336 salariés anglais, répar­tis dans 233 entre­pris­es, l’effet de 12 méth­odes de bien-être en san­té men­tale : for­ma­tion à la pleine con­science pour mieux résis­ter à la pres­sion, relax­ation pour récupér­er plus vite, ges­tion du temps pour mieux résis­ter à la charge men­tale, maîtrise du som­meil pour préserv­er ses capac­ités de con­cen­tra­tion, coach­ing en ligne ou appli­ca­tions de bien-être sur smart­phone pour être résilient, etc… Dans cette étude, les salariés qui béné­fi­ci­aient de ces pro­grammes de san­té men­tale, tout comme ceux qui n’en béné­fi­ci­aient pas, ont, à dif­férentes péri­odes, décrit leurs per­cep­tions per­son­nelles à pro­pos de leur bien-être men­tal (sur la base d’échelles validées en psy­cholo­gie de la san­té), de leur engage­ment et épuise­ment pro­fes­sion­nel, des rela­tions sociales dans l’entreprise et de l’environnement de travail.

Que mon­trent les résul­tats ? En pre­mier lieu qu’il n’y a aucune dif­férence sig­ni­fica­tive sur la san­té men­tale entre les salariés qui béné­fi­cient des pro­grammes et les autres. Les résul­tats mon­trent même quelques effets négat­ifs auprès des béné­fi­ci­aires, par exem­ple pour les pro­grammes de ges­tion du stress… Les chercheurs font l’hypothèse que le fait de faire repos­er sur l’individu la ges­tion d’une sit­u­a­tion dégradée via une meilleure prise en charge de son stress accentue l’idée que le prob­lème vient de la per­son­ne et donc ren­force le sen­ti­ment d’impuissance…

On ne trou­ve pas non plus d’effets posi­tifs de ces pro­grammes sur la col­lab­o­ra­tion des équipes. Si on découpe l’échantillon selon le type d’activité de l’entreprise, les résul­tats con­tin­u­ent de révéler une absence d’efficacité des pro­grammes de bien-être men­tal. Les études empiriques récentes vont dans le même sens pour des pays dif­férents en Europe14 ou aux USA1516.

En revanche ces études mon­trent que si l’on asso­cie cer­taines de ces pra­tiques de bien-être à des change­ments struc­turels de l’organisation du tra­vail et des rela­tions pro­fes­sion­nelles, alors les effets com­men­cent à être bénéfiques.

Des méthodes pour prévenir ?

Alors une ques­tion se pose : com­ment les indi­vidus tout autant que les organ­i­sa­tions peu­vent-ils se dévelop­per con­join­te­ment mal­gré les dif­fi­cultés inhérentes ? Com­ment les salariés eux-mêmes peu­vent-ils être pro­mo­teurs des change­ments organ­i­sa­tion­nels, être en mesure de repér­er et de con­tribuer à la cor­rec­tion des sit­u­a­tions dégradées, sans avoir à en porter les con­séquences qui ne dépen­dent pas d’eux ? Cette per­spec­tive implique de sor­tir des sché­mas sim­plistes et des pos­tures réac­tives « prob­lème-solu­tion » dans lesquelles on pro­pose aux salariés des pro­grammes de bien-être psy­chique pour les aider à gér­er les péri­odes de stress et rester per­for­mants mal­gré des sit­u­a­tions forte­ment dégradées. L’enjeu con­siste à ce qu’ils soient dotés, en amont des prob­lèmes, de véri­ta­bles « Ressources Psy­cho-Sociales17 » (RPS). Ces ressources doivent-être conçues comme un « cap­i­tal psy­chologique », à l’instar d’un « cap­i­tal financier » ou d’un « cap­i­tal social », c’est-à-dire une réserve dont on dis­pose pour « voir venir », ne pas subir les dif­fi­cultés, les anticiper, les rec­ti­fi­er, voire les contourner.

Le capital psychologique au XXIème siècle

Le « Psy­Cap », cap­i­tal psy­chologique, est un con­cept qui a été dévelop­pé au début des années 2000 par deux chercheurs améri­cains en man­age­ment, Fred Luthans et Car­olyn Youssef18. Cela fait main­tenant 20 ans que ce mod­èle est testé, cor­rigé, enrichi par les chercheurs, avec des résul­tats main­tenant robustes qui per­me­t­tent sa dif­fu­sion19. On peut le con­cevoir comme une « robustesse men­tale20 » qui se développe, s’entraîne, s’enrichit. Il ne s’agit pas de traits de per­son­nal­ité sta­bles, mais d’états men­taux mouvants.

Les ingrédients du PsyCap sont au nombre de quatre :

#1 L’Auto-efficacité est une con­vic­tion dans sa pro­pre capac­ité à mobilis­er des ressources pour réalis­er une tâche. Par exem­ple, un chef d’équipe se voit con­fi­er une nou­velle mis­sion tech­nique pour laque­lle il n’a pas encore beau­coup d’expérience. Plutôt que de douter de lui-même, il mesure sa capac­ité à appren­dre rapi­de­ment et à s’adapter. Cela sup­pose une clair­voy­ance sur soi, d’avoir fait le point sur ses com­pé­tences dans le but de ne pas par­tir la fleur au fusil. Con­naître ses forces et faib­less­es est un fac­teur de con­fi­ance en soi.

#2 L’espoir est la capac­ité à per­sévér­er et trou­ver des solu­tions mal­gré un con­texte dégradé en sachant que le résul­tat peut être atteint. Par exem­ple, Camille tra­vaille dans une entre­prise en pleine réor­gan­i­sa­tion et la péren­nité de son poste est incer­taine. Sans se laiss­er débor­der par le stress elle établit une feuille de route réal­iste pour com­pléter ses com­pé­tences, iden­ti­fi­er les oppor­tu­nités et se pro­jeter. Con­traire­ment à l’espérance, qui relève d’une dis­po­si­tion générale idéal­isée, l’espoir est ori­en­té vers un but, c’est une « pas­sion du pos­si­ble », une force d’agir qui apporte les ressources néces­saires y com­pris pour mod­i­fi­er cer­taines tra­jec­toires lorsque cela s’avère néces­saire. L’espoir relève donc tout autant de la volon­té d’atteindre un but que du chemin pour y parvenir.

#3 L’optimisme con­siste en la capac­ité à s’attribuer sa réus­site présente ou future. Cela sup­pose donc de con­naître les effets de ses déci­sion et actions à l’aide de feed-backs réguliers et objec­tifs. Par exem­ple, un enseignant accom­pa­gne des élèves en sit­u­a­tion d’échec et reste con­va­in­cu de leurs capac­ités d’amélioration : il met en place de nou­velles tech­niques, adapte son pro­gramme et leur mon­tre leurs capac­ités à pro­gress­er. En l’absence, la perte de sens génère du pes­simisme et accentue les fac­teurs de dérélic­tion : majo­ra­tion des échecs, mino­ra­tion des réus­sites, général­i­sa­tion des sit­u­a­tions à prob­lème, focal­i­sa­tion sur des détails au détri­ment de l’essentiel et pen­sée dichotomique21. L’optimisme doit bien enten­du s’appuyer sur des faits objec­tivables afin de ne pas tomber dans un irréal­isme béat. Face aux échecs l’optimiste réal­iste fait des con­stats, apprend et se pro­jette sur le long terme.

Le Psy­Cap per­met aux indi­vidus de ne pas être dupes quant aux dif­fi­cultés qu’ils pour­raient ren­con­tr­er, de les anticiper et les repér­er, puis d’a­juster leur comportement.

#4 La résilience con­siste à met­tre en place des sché­mas d’adaptation posi­tifs, et ce tout autant face à l’adversité ou aux risques que face aux évène­ments posi­tifs comme une aug­men­ta­tion de respon­s­abil­ités. Il s’agit donc d’une capac­ité à s’ajuster en sit­u­a­tion de stress : plutôt que d’éviter les dif­fi­cultés (par exem­ple par déni), la résilience implique de recon­naître leur réal­ité. Par exem­ple un boulanger pas­sion­né par son méti­er développe une allergie à la farine. Il va chercher à faire le point sur ses appé­tences pro­fes­sion­nelles pour s’orienter vers un nou­veau tra­vail qui respecte son « aimer-faire » et non pas seule­ment son « savoir-faire ».

De nom­breuses études inter­na­tionales mon­trent un lien de causal­ité entre le Psy­Cap et la san­té psy­chologique : stress, burn-out, dépres­sion, fatigue22. Le Psy­Cap per­met aux indi­vidus de ne pas être dupes quant aux dif­fi­cultés qu’ils pour­raient ren­con­tr­er, de les anticiper et les repér­er, puis d’a­juster leur com­porte­ment, de savoir dire oui ou non au bon moment, et de ne pas devoir subir des respon­s­abil­ités qui ne leur incombent pas. 

Développer son PsyCap et celui d’autrui

Si les qua­tre com­posantes du Psy­Cap ont été iden­ti­fiées séparé­ment dans la lit­téra­ture sci­en­tifique, elles s’enrichissent mutuelle­ment. Les pro­grammes de développe­ment s’organisent autour de quelques axes majeurs qui sont per­ti­nents tout autant dans la sphère pro­fes­sion­nelle que privée23 :

#1 Pra­tique régulière du feed-back pour aider les indi­vidus à faire le lien entre leurs com­pé­tences, leurs com­porte­ments et les con­séquences de ceux-ci. L’enjeu est de créer des ren­force­ments posi­tifs et de faire sens, pour inter­nalis­er le sen­ti­ment d’auto-efficacité. Bien enten­du le feed-back peut être posi­tif ou négatif, l’enjeu con­siste à expliciter claire­ment les bons indi­ca­teurs et mesur­er pas à pas les pro­grès afin d’éviter colère ou honte. En con­texte pro­fes­sion­nel la méth­ode con­siste à dis­soci­er le feed-back négatif, cen­tré sur le proces­sus de tra­vail (la manière de réalis­er le tra­vail) du feed-back posi­tif, cen­tré sur les résul­tats et le développe­ment (le pro­duit du tra­vail et le poten­tiel de l’individu24).

#2 Réalis­er des bilans d’expériences passées (pos­i­tives ou néga­tives) de manière à expliciter la con­nais­sance de soi et ain­si objec­tiv­er les ressources que l’on pour­ra mobilis­er dans l’avenir. Ces bilans peu­vent-être réal­isés sous la forme de retours d’expériences comme cela se pra­tique dans l’industrie (REX, RETEX), mais aus­si sous la forme d’entretiens d’explicitation25 dans le but de trans­fér­er les suc­cès d’une sit­u­a­tion à une autre, et ain­si aug­menter ses ressources de résilience grâce à une maîtrise des savoir-faire.

#3 Inoculer l’échec pour s’immuniser : tel un vac­cin con­tre des virus, il est pos­si­ble de ren­forcer la résilience face aux les évène­ments négat­ifs en étab­lis­sant la « méthodolo­gie de l’échec ». La méth­ode de l’inoculation psy­chologique a fait ses preuves depuis de nom­breuses années pour lut­ter con­tre les tru­ismes (par exem­ple des préjugés, rou­tines ou habi­tudes) qui entra­vent nos juge­ments et déci­sions. Un ate­lier d’inoculation se déroule en deux temps : en pre­mier lieu réalis­er un « brain­storm­ing inver­sé », par exem­ple met­tre en place une stratégie pré­cise pour aug­menter un risque iden­ti­fié (et ce dans le but de révéler les failles d’un sys­tème), pour ensuite déter­min­er les meilleures répons­es pour que cela n’arrive pas. C’est une excel­lente manière d’augmenter l’auto-efficacité, mais aus­si l’optimisme. Cette méth­ode est par exem­ple beau­coup util­isée aujourd’hui pour lut­ter con­tre les rav­ages de la dés­in­for­ma­tion26.

#4 Appren­dre à iden­ti­fi­er des objec­tifs inter­mé­di­aires lorsqu’on se fixe un but loin­tain, ain­si que les obsta­cles sus­cep­ti­bles d’être ren­con­trés et par antic­i­pa­tion les parades pour répon­dre ou de les con­tourn­er. Célébr­er les « petites vic­toires » d’objectifs inter­mé­di­aires est une manière de préserv­er la com­posante « ESPOIR » du Psy­Cap. L’entraînement à la recherche des obsta­cles et de leurs parades est d’autant plus effi­cace qu’il est réal­isé en groupe : le Psy­Cap se développe aus­si grâce au sou­tien social. En ce sens, des groupes de « codéveloppe­ment » con­stituent une réponse intéres­sante27.

#5 Dévelop­per ses habiletés sociales et en par­ti­c­uli­er son assertiv­ité, pos­ture qui con­siste à exprimer ses sen­ti­ments posi­tifs (com­pli­ments) et négat­ifs (ce qui déplaît, ce qui blesse ou ce qui fâche) tout en respec­tant ceux de l’autre, et sans chercher à le bless­er. Cela sup­pose une capac­ité à expliciter ses émo­tions, dis­soci­er celles-ci des réac­tions émo­tion­nelles, savoir gér­er des con­flits, de façon à ce que les deux par­ties soient sat­is­faites, exprimer ses besoins et ses désirs (for­muler une demande) tout en ten­ant compte des besoins et des désirs de l’autre28. C’est parce que les indi­vidus ne maîtrisent pas suff­isam­ment la com­pé­tence du dia­logue qu’ils peu­vent se retrou­ver figés dans des pos­tures d’opposition29.

L’intérêt majeur con­siste à cul­tiv­er le cap­i­tal psy­chologique avant que les prob­lèmes de vie pro­fes­sion­nels ou per­son­nels ne survi­en­nent, dans le but d’enrichir les ressources psy­cho-sociales et ain­si per­me­t­tre aux béné­fi­ci­aires d’anticiper et repér­er les dif­fi­cultés, pour éviter de devoir en subir la respon­s­abil­ité et les effets (stress, burn-out). L’enjeu est de per­me­t­tre aux indi­vidus d’agir sur leur envi­ron­nement (pro­fes­sion­nel ou per­son­nel) et ain­si ne pas avoir à subir les pro­grammes de remé­di­a­tion per­son­nel sus­men­tion­nés une fois les dif­fi­cultés accumulées.

1Franck, N. (2020). Covid-19 et détresse psy­chologique. 2020, l’odyssée du con­fine­ment. Paris, Dun­od.
2Tar­quinio, C. (2022). Psy­cholo­gie : le « cop­ing », ou com­ment nous faisons face aux stress intens­es. The Con­ver­sa­tion, 15 décem­bre : https://​the​con​ver​sa​tion​.com/​p​s​y​c​h​o​l​o​g​i​e​-​l​e​-​c​o​p​i​n​g​-​o​u​-​c​o​m​m​e​n​t​-​n​o​u​s​-​f​a​i​s​o​n​s​-​f​a​c​e​-​a​u​x​-​s​t​r​e​s​s​-​i​n​t​e​n​s​e​s​-​1​78833.
3Urtea­ga E. (2022). « Les effets de l’incertitude ». Dio­gène, (n° 279–280) (3), 165–183. https://shs.cairn.info/revue-diogene-2022–3‑page-165?lang=fr.
4Gre­bot, É. (2019). Les patholo­gies au tra­vail : stress, burnout, worka­holisme et har­cèle­ment : approche inté­gra­tive. Paris, Dun­od.
5Chamoux, A. & Vil­mant, A. (2017).  Con­sid­éra­tions sur le burn out en milieu de tra­vail, Bul­letin de l’A­cadémie Nationale de Médecine, Vol­ume 201, Issues 7–9, Pages 1175–1188.
6Vilmant,A., Dutheil,F., Lesage, FX., Lam­bert, C., Chamoux, A. (2018).  Burn-out, état des lieux en con­sul­ta­tion de souf­france psy­chique. Archives des Mal­adies Pro­fes­sion­nelles et de l’En­vi­ron­nement, Vol­ume 79, Issue 3, Pages 441–442.
7Delézire P, Homère J, Gar­ras L, Bon­net T, Chatelot J. (2024). La souf­france psy­chique en lien avec le tra­vail à par­tir du Pro­gramme de sur­veil­lance des mal­adies à car­ac­tère pro­fes­sion­nel : résul­tats des enquêtes trans­ver­sales 2013 à 2019 et évo­lu­tion depuis 2007. Bul­letin Épidémi­ologique Heb­do­madaire- San­té Publique France (5):92–103. http://​beh​.san​tepubliq​ue​france​.fr/​b​e​h​/​2​0​2​4​/​5​/​2​0​2​4​_​5​_​3​.html.
8INRS (2022a). Risques psy­choso­ci­aux, com­ment agir en préven­tion. https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%206349.
9Gol­lac, M. & Bod­i­er, M. (2021). Mesur­er les fac­teurs psy­choso­ci­aux de risque au tra­vail pour les maîtris­er. Rap­port du col­lège d’expertise sur le suivi des risques psy­choso­ci­aux au tra­vail. DARES, Min­istère du tra­vail et de l’emploi. https://​tra​vail​-emploi​.gouv​.fr/​I​M​G​/​p​d​f​/​r​a​p​p​o​r​t​_​S​R​P​S​T​_​d​e​f​i​n​i​t​i​f​_​r​e​c​t​i​f​i​e​_​1​1​_​0​5​_​1​0.pdf
10INRS (2022b). Eval­uer les fac­teurs de risques psy­choso­coaux : l’outil RPS-DU. https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=ED%206403.
11Fox, K. E., John­son, S. T., Berk­man, L. F., Siano­ja, M., Soh, Y., Kubzan­sky, L. D., & Kel­ly, E. L. (2022). Organisational- and group-level work­place inter­ven­tions and their effect on mul­ti­ple domains of work­er well-being: A sys­tem­at­ic review. Work & Stress, 36(1), 30–59.
12Love­joy, M., Kel­ly, E. L., Kubzan­sky, L. D., & Berk­man, L. F. (2021). Work redesign for the 21st cen­tu­ry: Promis­ing strate­gies for enhanc­ing work­er well-being. Amer­i­can Jour­nal of Pub­lic Health, 111(10), 1787–1795.
13Flem­ing, W. J. (2024).  Employ­ee well-being out­comes from indi­vid­ual-lev­el men­tal health inter­ven­tions: Cross-sec­tion­al evi­dence from the Unit­ed King­dom. Indus­tri­al Rela­tions Jour­nal,  55,  162–182.
14Daniels, K., Fida, R., Stepanek, M., & Gen­dron­neau, C. (2021). Do mul­ti­com­po­nent work­place health and well­be­ing pro­grams pre­dict changes in health and well­be­ing? Inter­na­tion­al Jour­nal of Envi­ron­men­tal Research and Pub­lic Health, 18(17), 8964.
15Jones, D., Moli­tor, D., & Reif, J. (2019). What do work­place well­ness pro­grams do? Evi­dence from the Illi­nois work­place well­ness study. The Quar­ter­ly Jour­nal of Eco­nom­ics, 134(4), 1747–1791.
16Song, Z., & Baick­er, K. (2019). Effect of a work­place well­ness pro­gram on employ­ee health and eco­nom­ic out­comes: A ran­dom­ized clin­i­cal tri­al. Jour­nal of the Amer­i­can Med­ical Asso­ci­a­tion, 321(15), 1491–1501.
17Clot, Y. (2010). Le tra­vail à cœur : pour en finir avec les Risques Psy­cho-soci­aux. Paris, La Décou­verte.
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25Ver­m­er­sch, P. (2019). L’entretien d’explicitation. Paris, ESF.
26Tra­berg, C. S., Roozen­beek, J., & van der Lin­den, S. (2022). Psy­cho­log­i­cal Inoc­u­la­tion against Mis­in­for­ma­tion: Cur­rent Evi­dence and Future Direc­tions. The ANNALS of the Amer­i­can Acad­e­my of Polit­i­cal and Social Sci­ence, 700(1), 136–151. https://​doi​.org/​1​0​.​1​1​7​7​/​0​0​0​2​7​1​6​2​2​2​1​0​87936
27Cham­pagne, C. (2021). Le groupe de codéveloppe­ment. Press­es de l’Université du Québec.
28Dijk, A. (2019). Sub­strats cog­ni­tifs et com­porte­men­taux de l’assertiv­ité et de ses trou­bles. Thèse de doc­tor­at de l’Université Paris VIII, disponible en ligne :  https://​www​.the​ses​.fr/​2​0​1​9​P​A​0​8​0​0​5​5.pdf.
29Bre­ton, P. (2006), L’incompétence démoc­ra­tique. La crise de la parole aux sources du malaise (dans la) poli­tique. Paris, Édi­tions La Décou­verte. (Coll. « Cahiers libres »)

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