Avec la multiplication des écrans et de leurs usages quotidiens dans notre vie, la question de leur impact sur notre santé se pose. Particulièrement chez les jeunes, qui semblent plus exposés et plus vulnérables aux effets délétères d’une utilisation prolongée… Mais que nous dit vraiment la littérature scientifique actuelle sur les conséquences « des écrans » sur la santé physique et psychologique des enfants et des adolescents ?
Pratique addictive non reconnue
C’est une des questions auxquelles tente de répondre le rapport Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu1 remis en avril 2024 au président de la République Emmanuel Macron et dont Catherine Rolland a précédemment fait un état des lieux pour Polytechnique Insights. Le titre de ce rapport, loin de se référer aux heures envolées face aux écrans, vise en réalité le retard pris par les politiques publiques pour encadrer leurs utilisations.
Car les chiffres ne mentent pas : en 2022, les foyers français possédaient en moyenne 10 appareils numériques avec écrans (smartphone, télévision, liseuses, ordinateurs, tablettes, consoles de jeux, bracelets connectés…). La même année, le Baromètre du numérique indiquait que 87 % des plus de 12 ans possédaient un smartphone, dont 89 % des 13–19 ans. Ces adolescents sont également 69 % à posséder un ordinateur personnel et 63 % des consoles de jeux.
Mais si notre temps d’écran et nos usages numériques explosent, peut-on néanmoins parler d’addiction ?
Écran : séparer l’outil de l’usage
À ce jour, l’utilisation prolongée d’appareils avec écrans n’est pas officiellement reconnue comme un comportement addictif, notamment parce qu’elle inclut des pratiques très hétérogènes et variées. Les études scientifiques et les enquêtes de Santé Publique France relèvent néanmoins le temps d’écran quotidien, avec des chiffres variant par exemple entre 2 à 3 heures pour les enfants de 10 ans (3 h 07 dans l’étude Esteban de 2015 ; 2 h 36 dans la cohorte Elfe de 2022).
Or, pour Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives à l’université Paris Cité et directeur du Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Éducation de l’Enfant du CNRS (LaPsyDÉ), « parler du temps d’écran n’a aucun sens ! Prendre en compte la qualité de ce que l’on regarde semble, en revanche, plus pertinent ». Il semble en effet difficile de mettre dans le même panier les programmes vidéo-ludiques, les dessins animés, ou les vidéos de comptines jouées en boucle…
Cette hétérogénéité justifie une grande prudence dans les articles scientifiques cherchant à savoir quels seraient les effets négatifs de l’usage des écrans sur les capacités cognitives et le développement des jeunes. Une précaution que l’on retrouve en conclusion de la méta-analyse publiée en novembre 2023 : An umbrella review of the benefits and risks associated with youths’ interactions with electronic screens de Taren Sanders & Co2. En passant en revue une centaine d’études sur le sujet, les chercheurs australiens ont relevé des effets positifs et négatifs, d’intensités « faibles à modérées », liés à l’utilisation des appareils avec écrans. Seule la corrélation entre réseaux sociaux et dépression semble notable, bien qu’il soit encore prématuré d’établir un lien de causalité.
Le co-visionnage contre la technoférence
Pourtant, en 2017, une étude de l’université de Rennes3 largement relayée par les médias a pointé un lien entre « regarder la télévision le matin » et « développer un trouble du langage ». Pour Grégoire Borst, ces résultats cachent une explication plus concrète : un enfant seul devant la télé va moins interagir avec les adultes et par conséquent, moins parler. En revanche, « un co-visionnage de la télévision avec les enfants entraîne des effets positifs sur le développement du langage », détaille le chercheur. Regarder la télévision avec l’enfant permettrait également de développer l’attention conjointe.
D’autres phénomènes, comme celui de technoférence, auraient des impacts bien plus négatifs sur l’enfant. Ce mot-valise désigne l’utilisation des écrans par l’adulte devant un enfant, interférant ainsi dans l’interaction avec lui. « Si demain, on enlève les écrans à tous les enfants du monde mais pas aux adultes, je ne suis pas sûr que beaucoup de choses changent », ajoute Grégoire Borst, qui insiste à nouveau sur l’importance du co-visionnage pour contrer ce phénomène.
Difficile donc de parler d’effet négatif sur le développement cognitif des jeunes. Alors, les craintes sur l’utilisation des écrans seraient infondées ? « Non, il faut continuer de mettre en garde, notamment avec le “pas d’écran avant 3 ans”, insiste le chercheur. Car le vrai problème ce sont les risques somatiques. » Manque de sommeil, sédentarité… Serait-il là, le vrai danger ?
Le sommeil : première victime
La question du temps et de la qualité du sommeil arrive en effet en tête des préoccupations relevées par le rapport Enfants et écrans : à la recherche du temps perdu. Une dette de sommeil chronique provoque en effet une cascade de problèmes de santé (surpoids, diabète, maladies cardiovasculaires, troubles de l’humeur, dépression, mauvaise régulation immunitaire, etc.). Or, « on sait que les enfants ne dorment pas suffisamment », pointe Grégoire Borst, qui rappelle que le rythme se décale naturellement chez les adolescents et ce, malgré leur emploi du temps scolaire, souvent mal adapté. « Si on rajoute l’utilisation des écrans le soir, on augmente les risques d’insomnies, d’anxiété et de problème de santé en général. » Un constat identique pour les risques liés à la sédentarité, elle-même encouragée par les activités numériques qui se pratiquent assis et en intérieur.
Ouvrir la communication
Autre point de vigilance : la confrontation des jeunes aux contenus inappropriés, voire choquants, sur Internet. « Il ne viendrait à l’esprit de personne de donner un couteau très aiguisé à un enfant la première fois qu’il apprend à faire de la cuisine, vulgarise le chercheur. C’est la même chose pour Internet en général. » Ce qui ramène l’importance du co-visionnage et de la supervision de ces pratiques au centre des recommandations.
Y compris chez les jeunes plus âgés ! Car les adolescents sont très vulnérables aux réseaux sociaux, dont les algorithmes favorisent les récompenses sociales. Si le système limbique contrôlant l’anxiété, les émotions et les mécanismes d’addictions est mature à cet âge… le cortex préfrontal, en charge de réguler ce système, continue de se développer jusqu’à 25 ans. « Les ados sont des cocottes-minute émotionnelles sans avoir ni le couvercle, ni le moyen de faire baisser la pression », image à nouveau Grégoire Borst. D’où l’importance d’accompagner et d’ouvrir le dialogue sur ces usages au sein de la famille.
C’est d’ailleurs le dernier conseil de Grégoire Borst : « Il est intéressant d’imaginer des moments de déconnexion au sein de la famille, valables pour les enfants comme pour les adultes. » Un moyen d’ouvrir la communication sur ces usages en sanctuarisant des moments d’échanges, comme les repas ou l’heure avant d’aller se coucher.