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La jeunesse face aux défis de notre époque 

Comment gérer la relation des enfants aux écrans ?

Grégoire Borst, professeur de psychologie à l'université Paris Cité
Le 22 janvier 2025 |
5 min. de lecture
Grégoire Borst
Grégoire Borst
professeur de psychologie à l'université Paris Cité
En bref
  • Un rapport remis en 2024 au président de la République souligne le retard des politiques publiques dans l’encadrement de l’utilisation des écrans par les jeunes.
  • À ce jour, l’utilisation prolongée des écrans n’est pas officiellement reconnue comme addictive, en partie en raison de la grande diversité des pratiques qu’elle englobe.
  • Un enfant laissé seul devant la télévision peut développer des troubles langagiers, là où le co-visionnage de la télévision avec un adulte a des effets positifs sur le développement du langage.
  • Le principal effet néfaste des écrans est leur impact sur le sommeil, qui engendre des problèmes de santé comme des maladies cardiovasculaires ou encore de la dépression.
  • Le co-visionnage et la supervision de l’utilisation des écrans par les jeunes sont essentiels, notamment pour les protéger des contenus inappropriés sur Internet.

Avec la mul­ti­pli­ca­tion des écrans et de leurs usages quo­ti­di­ens dans notre vie, la ques­tion de leur impact sur notre san­té se pose. Par­ti­c­ulière­ment chez les jeunes, qui sem­blent plus exposés et plus vul­nérables aux effets délétères d’une util­i­sa­tion pro­longée… Mais que nous dit vrai­ment la lit­téra­ture sci­en­tifique actuelle sur les con­séquences « des écrans » sur la san­té physique et psy­chologique des enfants et des adolescents ?

Pratique addictive non reconnue

C’est une des ques­tions aux­quelles tente de répon­dre le rap­port Enfants et écrans : à la recherche du temps per­du1 remis en avril 2024 au prési­dent de la République Emmanuel Macron et dont Cather­ine Rol­land a précédem­ment fait un état des lieux pour Poly­tech­nique Insights. Le titre de ce rap­port, loin de se référ­er aux heures envolées face aux écrans, vise en réal­ité le retard pris par les poli­tiques publiques pour encadr­er leurs utilisations.

Car les chiffres ne mentent pas : en 2022, les foy­ers français pos­sé­daient en moyenne 10 appareils numériques avec écrans (smart­phone, télévi­sion, liseuses, ordi­na­teurs, tablettes, con­soles de jeux, bracelets con­nec­tés…). La même année, le Baromètre du numérique indi­quait que 87 % des plus de 12 ans pos­sé­daient un smart­phone, dont 89 % des 13–19 ans. Ces ado­les­cents sont égale­ment 69 % à pos­séder un ordi­na­teur per­son­nel et 63 % des con­soles de jeux.

Mais si notre temps d’écran et nos usages numériques explosent, peut-on néan­moins par­ler d’addiction ?

Écran : séparer l’outil de l’usage

À ce jour, l’utilisation pro­longée d’appareils avec écrans n’est pas offi­cielle­ment recon­nue comme un com­porte­ment addic­tif, notam­ment parce qu’elle inclut des pra­tiques très hétérogènes et var­iées. Les études sci­en­tifiques et les enquêtes de San­té Publique France relèvent néan­moins le temps d’écran quo­ti­di­en, avec des chiffres vari­ant par exem­ple entre 2 à 3 heures pour les enfants de 10 ans (3 h 07 dans l’étude Este­ban de 2015 ; 2 h 36 dans la cohorte Elfe de 2022).

Or, pour Gré­goire Borst, pro­fesseur de psy­cholo­gie du développe­ment et de neu­ro­sciences cog­ni­tives à l’université Paris Cité et directeur du Lab­o­ra­toire de Psy­cholo­gie du Développe­ment et de l’Éducation de l’Enfant du CNRS (LaP­sy­DÉ), « par­ler du temps d’écran n’a aucun sens ! Pren­dre en compte la qual­ité de ce que l’on regarde sem­ble, en revanche, plus per­ti­nent ». Il sem­ble en effet dif­fi­cile de met­tre dans le même panier les pro­grammes vidéo-ludiques, les dessins ani­més, ou les vidéos de comptines jouées en boucle…

Cette hétérogénéité jus­ti­fie une grande pru­dence dans les arti­cles sci­en­tifiques cher­chant à savoir quels seraient les effets négat­ifs de l’usage des écrans sur les capac­ités cog­ni­tives et le développe­ment des jeunes. Une pré­cau­tion que l’on retrou­ve en con­clu­sion de la méta-analyse pub­liée en novem­bre 2023 : An umbrel­la review of the ben­e­fits and risks asso­ci­at­ed with youths’ inter­ac­tions with elec­tron­ic screens de Taren Sanders & Co2. En pas­sant en revue une cen­taine d’études sur le sujet, les chercheurs aus­traliens ont relevé des effets posi­tifs et négat­ifs, d’intensités « faibles à mod­érées », liés à l’utilisation des appareils avec écrans. Seule la cor­réla­tion entre réseaux soci­aux et dépres­sion sem­ble notable, bien qu’il soit encore pré­maturé d’établir un lien de causalité.

Le co-visionnage contre la technoférence

Pour­tant, en 2017, une étude de l’université de Rennes3 large­ment relayée par les médias a pointé un lien entre « regarder la télévi­sion le matin » et « dévelop­per un trou­ble du lan­gage ». Pour Gré­goire Borst, ces résul­tats cachent une expli­ca­tion plus con­crète : un enfant seul devant la télé va moins inter­a­gir avec les adultes et par con­séquent, moins par­ler. En revanche, « un co-vision­nage de la télévi­sion avec les enfants entraîne des effets posi­tifs sur le développe­ment du lan­gage », détaille le chercheur. Regarder la télévi­sion avec l’enfant per­me­t­trait égale­ment de dévelop­per l’attention conjointe.

D’autres phénomènes, comme celui de tech­noférence, auraient des impacts bien plus négat­ifs sur l’enfant. Ce mot-valise désigne l’utilisation des écrans par l’adulte devant un enfant, inter­férant ain­si dans l’interaction avec lui. « Si demain, on enlève les écrans à tous les enfants du monde mais pas aux adultes, je ne suis pas sûr que beau­coup de choses changent », ajoute Gré­goire Borst, qui insiste à nou­veau sur l’importance du co-vision­nage pour con­tr­er ce phénomène.

Dif­fi­cile donc de par­ler d’effet négatif sur le développe­ment cog­ni­tif des jeunes. Alors, les craintes sur l’utilisation des écrans seraient infondées ? « Non, il faut con­tin­uer de met­tre en garde, notam­ment avec le pas d’écran avant 3 ans”, insiste le chercheur. Car le vrai prob­lème ce sont les risques soma­tiques. » Manque de som­meil, séden­tar­ité… Serait-il là, le vrai danger ?

Le sommeil : première victime

La ques­tion du temps et de la qual­ité du som­meil arrive en effet en tête des préoc­cu­pa­tions relevées par le rap­port Enfants et écrans : à la recherche du temps per­du. Une dette de som­meil chronique provoque en effet une cas­cade de prob­lèmes de san­té (sur­poids, dia­bète, mal­adies car­dio­vas­cu­laires, trou­bles de l’humeur, dépres­sion, mau­vaise régu­la­tion immu­ni­taire, etc.). Or, « on sait que les enfants ne dor­ment pas suff­isam­ment », pointe Gré­goire Borst, qui rap­pelle que le rythme se décale naturelle­ment chez les ado­les­cents et ce, mal­gré leur emploi du temps sco­laire, sou­vent mal adap­té. « Si on rajoute l’utilisation des écrans le soir, on aug­mente les risques d’insomnies, d’anxiété et de prob­lème de san­té en général. » Un con­stat iden­tique pour les risques liés à la séden­tar­ité, elle-même encour­agée par les activ­ités numériques qui se pra­tiquent assis et en intérieur.

Ouvrir la communication

Autre point de vig­i­lance : la con­fronta­tion des jeunes aux con­tenus inap­pro­priés, voire choquants, sur Inter­net. « Il ne viendrait à l’esprit de per­son­ne de don­ner un couteau très aigu­isé à un enfant la pre­mière fois qu’il apprend à faire de la cui­sine, vul­garise le chercheur. C’est la même chose pour Inter­net en général. » Ce qui ramène l’importance du co-vision­nage et de la super­vi­sion de ces pra­tiques au cen­tre des recommandations.

Y com­pris chez les jeunes plus âgés ! Car les ado­les­cents sont très vul­nérables aux réseaux soci­aux, dont les algo­rithmes favorisent les récom­pens­es sociales. Si le sys­tème lim­bique con­trôlant l’anxiété, les émo­tions et les mécan­ismes d’addictions est mature à cet âge… le cor­tex préfrontal, en charge de réguler ce sys­tème, con­tin­ue de se dévelop­per jusqu’à 25 ans. « Les ados sont des cocottes-minute émo­tion­nelles sans avoir ni le cou­ver­cle, ni le moyen de faire baiss­er la pres­sion », image à nou­veau Gré­goire Borst. D’où l’importance d’accompagner et d’ouvrir le dia­logue sur ces usages au sein de la famille.

C’est d’ailleurs le dernier con­seil de Gré­goire Borst : « Il est intéres­sant d’imaginer des moments de décon­nex­ion au sein de la famille, val­ables pour les enfants comme pour les adultes. » Un moyen d’ouvrir la com­mu­ni­ca­tion sur ces usages en sanc­tu­ar­isant des moments d’échanges, comme les repas ou l’heure avant d’aller se coucher.

Sophie Podevin
1https://​www​.ely​see​.fr/​a​d​m​i​n​/​u​p​l​o​a​d​/​d​e​f​a​u​l​t​/​0​0​0​1​/​1​6​/​f​b​e​c​6​a​b​e​9​d​9​c​c​1​b​f​f​3​0​4​3​d​8​7​b​9​f​7​9​5​1​e​6​2​7​7​9​b​0​9.pdf
2Sanders, T., Noe­tel, M., Park­er, P. et al. An umbrel­la review of the ben­e­fits and risks asso­ci­at­ed with youths’ inter­ac­tions with elec­tron­ic screens. Nat Hum Behav 8, 82–99 (2024). https://doi.org/10.1038/s41562-023–01712‑8
3https://ged.univ-rennes1.fr/nuxeo/site/esupversions/f171f480-26dc-4790–8541-58de382b1e8d?inline

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