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Vers un internet quantique grâce à la téléportation

Sophie Hermanns
Sophie Hermans
chercheuse en postdoctorat à l'IQIM (Caltech)
En bref
  • Grâce aux récentes découvertes, les chercheurs sont sur la piste d’un internet quantique où les « qubits » seront envoyés par téléportation quantique.
  • Cette téléportation « incassable » correspond à des transports instantanés d’un état quantique entre des particules distantes.
  • Pour la première fois, une équipe de QuTech est parvenue à créer un réseau quantique à trois nœuds de réseaux.
  • Une fois développé, ce système pourra réaliser des protocoles plus complexes et s’intégrer dans des réseaux pour une utilisation concrète.

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur le quan­tique.
Décou­vrez-le ici.

Les chercheurs du Ronald Han­son Lab de QuTech (une col­lab­o­ra­tion entre l’U­ni­ver­sité tech­nologique de Delft aux Pays-Bas et TNO) tra­vail­lent sur la trans­mis­sion d’in­for­ma­tions quan­tiques en util­isant des bits quan­tiques (qubits) dans le dia­mant. Ils ont récem­ment démon­tré qu’ils pou­vaient trans­fér­er ces infor­ma­tions entre deux nœuds non directe­ment con­nec­tés par télé­por­ta­tion quan­tique – une pre­mière. À terme, ce type de télé­por­ta­tion pour­rait être util­isé pour créer un inter­net quan­tique, car il est robuste et « incassable ».

La télé­por­ta­tion quan­tique nous fait sou­vent penser à Star Trek. Si la télé­por­ta­tion n’est pas pos­si­ble pour des objets tels que des êtres humains, elle l’est pour des états quan­tiques encodés sur des par­tic­ules se com­por­tant selon la mécanique quan­tique. Le proces­sus n’im­plique aucun trans­fert physique de matière, mais le trans­fert instan­ta­né d’un état quan­tique entre des par­tic­ules séparées par une dis­tance immense ; il est effacé sur le site de l’ex­pédi­teur et appa­raît immé­di­ate­ment sur le site du destinataire.

De tels sys­tèmes per­me­t­tent d’implémenter des bits quan­tiques (‘qubits’), des sys­tèmes quan­tiques à deux états, qui représen­tent la brique com­pu­ta­tion­nelle de base en infor­ma­tion quantique.

Action fantôme à distance

L’idée de base de la télé­por­ta­tion est que deux nœuds de réseau, tra­di­tion­nelle­ment appelés Alice et Bob, parta­gent une paire de par­tic­ules intriquées (en cryp­togra­phie quan­tique, Alice est l’ex­péditrice d’un mes­sage et Bob est le des­ti­nataire). Les par­tic­ules intriquées sont celles qui restent liées d’une manière impos­si­ble en physique clas­sique, quelle que soit la dis­tance qui les sépare. Albert Ein­stein a appelé cet effet « action fan­tôme à dis­tance ». Alice inter­ag­it ensuite avec une troisième par­tic­ule – dans un état incon­nu – avec sa moitié de la paire intriquée, mesure le résul­tat de l’in­ter­ac­tion et en informe Bob par un canal clas­sique. Muni de cette infor­ma­tion et d’une mesure sur sa moitié de la paire intriquée, Bob peut recon­stru­ire l’é­tat incon­nu d’o­rig­ine, qui est celui qui a été téléporté.

La télé­por­ta­tion a été pro­posée théorique­ment pour la pre­mière fois en 1993 et a été démon­trée expéri­men­tale­ment pour la pre­mière fois en 1997 avec la télé­por­ta­tion de la polar­i­sa­tion d’un pho­ton. Depuis, plusieurs équipes de chercheurs ont télé­porté les états des spins atom­iques, des spins nucléaires et des ions piégés, pour ne citer que trois exem­ples. Les chercheurs ont égale­ment réus­si à télé­porter « deux degrés de lib­erté » – le spin et le moment angu­laire orbital – entre des pho­tons individuels.

Un réseau quantique à trois nœuds

Ronald Han­son et ses col­lègues ont récem­ment réal­isé le tout pre­mier réseau quan­tique à trois nœuds en util­isant des « cen­tres de vacance d’a­zote » (notés « NV » ) dans le dia­mant comme qubits. Les cen­tres de vacance d’a­zote sont des défauts dans le réseau d’atomes de car­bone du matéri­au où un atome d’azote s’est sub­sti­tué à un atome de car­bone. Chaque nœud con­tient un qubit de com­mu­ni­ca­tion et un nœud con­tient égale­ment un qubit de mémoire qui peut stock­er l’in­for­ma­tion quan­tique dans le nœud.

Pour télé­porter des infor­ma­tions quan­tiques d’un émet­teur à un récep­teur, leurs qubits respec­tifs doivent être intriqués. Lorsqu’une « mesure de l’é­tat de Bell » est effec­tuée sur le qubit de l’ex­pédi­teur, son état quan­tique est télé­porté, c’est-à-dire qu’il dis­paraît du nœud de l’ex­pédi­teur et appa­raît dans celui du des­ti­nataire. Cet état quan­tique, qui arrive sous une forme cryp­tée, peut ensuite être décryp­té en util­isant le résul­tat de la mesure de l’é­tat de Bell, c’est-à-dire en l’en­voy­ant au récep­teur par un canal clas­sique, tel qu’une fibre optique.

Jusqu’à présent, ce proces­sus n’avait été démon­tré que pour deux points de réseau adja­cents, Alice et Bob. L’a­jout d’un troisième point (appelé Char­lie) n’est pas facile, car l’in­tri­ca­tion entre Alice et Char­lie doit être créée par l’in­ter­mé­di­aire de Bob. L’in­tri­ca­tion doit égale­ment être d’une grande fidél­ité pour que la télé­por­ta­tion réussisse.

Une pléthore d’améliorations

Ronald Han­son et ses col­lègues y sont par­venus en instal­lant des détecteurs sup­plé­men­taires qui iden­ti­fient mieux les « faux » sig­naux provenant des pho­tons indésir­ables émis dans leur sys­tème. Ils ont égale­ment amélioré la mémoire util­isée pour stock­er les infor­ma­tions en pro­tégeant le qubit de mémoire des inter­ac­tions avec le qubit de com­mu­ni­ca­tion et l’en­vi­ron­nement cristallin. Ces inter­ac­tions provo­quent un phénomène con­nu sous le nom de déco­hérence qui fait per­dre au qubit l’in­for­ma­tion quan­tique qu’il con­tient. Enfin, ils ont amélioré la lec­ture de la mémoire du qubit en fil­trant les « mau­vais­es » lec­tures en temps réel, ce qui aug­mente in fine la fidélité.

Toutes ces mesures leur per­me­t­tent de télé­porter des infor­ma­tions quan­tiques entre les nœuds Alice et Char­lie non-adja­cents. Pour ce faire, ils ont d’abord intriqué les qubits d’Al­ice et de Char­lie via le qubit de Bob. Char­lie stocke ensuite une par­tie des états intriqués sur son qubit de mémoire et pré­pare l’é­tat quan­tique à télé­porter sur son qubit de com­mu­ni­ca­tion. L’ap­pli­ca­tion de la mesure d’é­tat de Bell à Char­lie télé­porte l’é­tat vers Alice.

Les chercheurs tra­vail­lent actuelle­ment à l’aug­men­ta­tion du nom­bre de qubits de mémoire, ce qui per­me­t­tra d’exé­cuter des pro­to­coles plus com­plex­es. Ils envis­agent égale­ment d’in­té­gr­er des fibres optiques con­ven­tion­nelles dans leur expéri­ence. Cela per­me­t­trait de sor­tir la tech­nolo­gie du lab­o­ra­toire et de l’in­té­gr­er dans des réseaux déjà util­isés dans le monde réel. Enfin, le développe­ment d’une « pile de con­trôle » du réseau quan­tique, sim­i­laire à celle util­isée dans l’in­ter­net actuel, sera égale­ment néces­saire pour un futur inter­net quan­tique fonctionnel.

Propose recueillis par Isabelle Dumé

Références :

The Ronald Han­son Lab

TNO

Pub­li­ca­tion dans Nature

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