Vers un internet quantique grâce à la téléportation
- Grâce aux récentes découvertes, les chercheurs sont sur la piste d’un internet quantique où les « qubits » seront envoyés par téléportation quantique.
- Cette téléportation « incassable » correspond à des transports instantanés d’un état quantique entre des particules distantes.
- Pour la première fois, une équipe de QuTech est parvenue à créer un réseau quantique à trois nœuds de réseaux.
- Une fois développé, ce système pourra réaliser des protocoles plus complexes et s’intégrer dans des réseaux pour une utilisation concrète.
Cet article a été publié en exclusivité dans notre magazine Le 3,14 sur le quantique.
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Les chercheurs du Ronald Hanson Lab de QuTech (une collaboration entre l’Université technologique de Delft aux Pays-Bas et TNO) travaillent sur la transmission d’informations quantiques en utilisant des bits quantiques (qubits) dans le diamant. Ils ont récemment démontré qu’ils pouvaient transférer ces informations entre deux nœuds non directement connectés par téléportation quantique – une première. À terme, ce type de téléportation pourrait être utilisé pour créer un internet quantique, car il est robuste et « incassable ».
La téléportation quantique nous fait souvent penser à Star Trek. Si la téléportation n’est pas possible pour des objets tels que des êtres humains, elle l’est pour des états quantiques encodés sur des particules se comportant selon la mécanique quantique. Le processus n’implique aucun transfert physique de matière, mais le transfert instantané d’un état quantique entre des particules séparées par une distance immense ; il est effacé sur le site de l’expéditeur et apparaît immédiatement sur le site du destinataire.
De tels systèmes permettent d’implémenter des bits quantiques (‘qubits’), des systèmes quantiques à deux états, qui représentent la brique computationnelle de base en information quantique.
Action fantôme à distance
L’idée de base de la téléportation est que deux nœuds de réseau, traditionnellement appelés Alice et Bob, partagent une paire de particules intriquées (en cryptographie quantique, Alice est l’expéditrice d’un message et Bob est le destinataire). Les particules intriquées sont celles qui restent liées d’une manière impossible en physique classique, quelle que soit la distance qui les sépare. Albert Einstein a appelé cet effet « action fantôme à distance ». Alice interagit ensuite avec une troisième particule – dans un état inconnu – avec sa moitié de la paire intriquée, mesure le résultat de l’interaction et en informe Bob par un canal classique. Muni de cette information et d’une mesure sur sa moitié de la paire intriquée, Bob peut reconstruire l’état inconnu d’origine, qui est celui qui a été téléporté.
La téléportation a été proposée théoriquement pour la première fois en 1993 et a été démontrée expérimentalement pour la première fois en 1997 avec la téléportation de la polarisation d’un photon. Depuis, plusieurs équipes de chercheurs ont téléporté les états des spins atomiques, des spins nucléaires et des ions piégés, pour ne citer que trois exemples. Les chercheurs ont également réussi à téléporter « deux degrés de liberté » – le spin et le moment angulaire orbital – entre des photons individuels.
Un réseau quantique à trois nœuds
Ronald Hanson et ses collègues ont récemment réalisé le tout premier réseau quantique à trois nœuds en utilisant des « centres de vacance d’azote » (notés « NV » ) dans le diamant comme qubits. Les centres de vacance d’azote sont des défauts dans le réseau d’atomes de carbone du matériau où un atome d’azote s’est substitué à un atome de carbone. Chaque nœud contient un qubit de communication et un nœud contient également un qubit de mémoire qui peut stocker l’information quantique dans le nœud.
Pour téléporter des informations quantiques d’un émetteur à un récepteur, leurs qubits respectifs doivent être intriqués. Lorsqu’une « mesure de l’état de Bell » est effectuée sur le qubit de l’expéditeur, son état quantique est téléporté, c’est-à-dire qu’il disparaît du nœud de l’expéditeur et apparaît dans celui du destinataire. Cet état quantique, qui arrive sous une forme cryptée, peut ensuite être décrypté en utilisant le résultat de la mesure de l’état de Bell, c’est-à-dire en l’envoyant au récepteur par un canal classique, tel qu’une fibre optique.
Jusqu’à présent, ce processus n’avait été démontré que pour deux points de réseau adjacents, Alice et Bob. L’ajout d’un troisième point (appelé Charlie) n’est pas facile, car l’intrication entre Alice et Charlie doit être créée par l’intermédiaire de Bob. L’intrication doit également être d’une grande fidélité pour que la téléportation réussisse.
Une pléthore d’améliorations
Ronald Hanson et ses collègues y sont parvenus en installant des détecteurs supplémentaires qui identifient mieux les « faux » signaux provenant des photons indésirables émis dans leur système. Ils ont également amélioré la mémoire utilisée pour stocker les informations en protégeant le qubit de mémoire des interactions avec le qubit de communication et l’environnement cristallin. Ces interactions provoquent un phénomène connu sous le nom de décohérence qui fait perdre au qubit l’information quantique qu’il contient. Enfin, ils ont amélioré la lecture de la mémoire du qubit en filtrant les « mauvaises » lectures en temps réel, ce qui augmente in fine la fidélité.
Toutes ces mesures leur permettent de téléporter des informations quantiques entre les nœuds Alice et Charlie non-adjacents. Pour ce faire, ils ont d’abord intriqué les qubits d’Alice et de Charlie via le qubit de Bob. Charlie stocke ensuite une partie des états intriqués sur son qubit de mémoire et prépare l’état quantique à téléporter sur son qubit de communication. L’application de la mesure d’état de Bell à Charlie téléporte l’état vers Alice.
Les chercheurs travaillent actuellement à l’augmentation du nombre de qubits de mémoire, ce qui permettra d’exécuter des protocoles plus complexes. Ils envisagent également d’intégrer des fibres optiques conventionnelles dans leur expérience. Cela permettrait de sortir la technologie du laboratoire et de l’intégrer dans des réseaux déjà utilisés dans le monde réel. Enfin, le développement d’une « pile de contrôle » du réseau quantique, similaire à celle utilisée dans l’internet actuel, sera également nécessaire pour un futur internet quantique fonctionnel.
Propose recueillis par Isabelle Dumé
Références :