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Comment le quantique change la face du monde

Santé, tech, espace : le quantique bénéficie déjà à de nombreux secteurs

Pierre Henriquet, docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
Le 26 septembre 2023 |
5 min. de lecture
Pierre Henriquet
Pierre Henriquet
docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
En bref
  • Nous utilisons déjà la physique quantique au quotidien, mais la deuxième révolution quantique pourrait permettre de l’appliquer dans le monde industriel.
  • La spintronique manipule le spin des électrons plutôt que leur charge électrique afin de baisser énormément la consommation électrique des composants.
  • Le quantique donne aux capteurs la capacité de mesurer des signaux infimes avec une excellente résolution, ouvrant la voie à de nouveaux champs d’application.
  • Les champs d’application de ces capteurs sont très larges, allant des géosciences aux sciences du vivant en passant par la navigation inertielle.
  • Le domaine médical a aussi passé le cap quantique : la manière dont les molécules des médicaments interagissent avec celles du vivant est étudiée par la « chimie quantique ».

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur le quan­tique.
Décou­vrez-le ici.

La physique quan­tique est main­tenant large­ment entrée dans notre vie quo­ti­di­enne. La « pre­mière révo­lu­tion quan­tique » a débouché sur quan­tité de dis­posi­tifs et de tech­niques que l’on utilise presque tous les jours. Lasers, élec­tron­ique, éclairage à LED, pan­neaux pho­to­voltaïques, médecine nucléaire, aucune de ces tech­nolo­gies du quo­ti­di­en ne pour­rait être util­isée sans une con­nais­sance fine des proces­sus qui se déroulent à l’échelle de l’atome, grâce à la com­préhen­sion du com­porte­ment des par­tic­ules élé­men­taires et des inter­ac­tions entre la matière et la lumière.

Mais la mécanique quan­tique n’a pas fini de chang­er notre monde. Les toutes dernières décou­vertes issues des lab­o­ra­toires de recherche pré­fig­urent une deux­ième révo­lu­tion quan­tique, dans laque­lle la maîtrise des proces­sus à l’œuvre dans l’infiniment petit risque à nou­veau de chang­er pro­fondé­ment notre manière de vivre, de com­mu­ni­quer et de com­pren­dre le monde. Par­tons pour un petit tour des prochaines appli­ca­tions de la physique quan­tique dans le monde industriel.

La spintronique : l’électronique du futur

Le con­trôle tou­jours plus fin de flux d’électrons dans des dis­posi­tifs de plus en plus petits a per­mis à l’électronique d’atteindre des niveaux de minia­tur­i­sa­tion iné­galés. En 2021, IBM annonçait la mise au point d’une puce faite de tran­sis­tors de 2 nanomètres, dont la den­sité atteignait 333 mil­lions de tran­sis­tors par mm².

Mais out­re sa charge élec­trique, l’électron pos­sède une autre pro­priété appelée le « spin ». Cette grandeur quan­tique n’a pas d’équivalent clas­sique, mais peut être com­parée à un « moment mag­né­tique », comme si l’électron était un minus­cule aimant en rota­tion sur lui-même. Le principe de la spin­tron­ique est donc de manip­uler le spin des élec­trons plutôt que leur charge élec­trique afin de créer de nou­velles appli­ca­tions, mais aus­si de baiss­er énor­mé­ment la con­som­ma­tion élec­trique des composants.

Actuelle­ment, la spin­tron­ique est déjà util­isée dans plusieurs com­posants élec­tron­iques comme les mémoires d’ordinateurs (qui a valu à ses décou­vreurs le prix Nobel de Physique en 2007) ou cer­tains cap­teurs mag­né­tiques pour l’automobile ou la robotique.

La spin­tron­ique est déjà util­isée dans plusieurs com­posants élec­tron­iques comme les mémoires d’ordinateurs.

Mais, comme pré­cisé plus haut, la minia­tur­i­sa­tion des dis­posi­tifs élec­tron­iques est si évoluée que leurs élé­ments de base fer­ont bien­tôt la taille de quelques atom­es seule­ment. Une taille qui ren­dra leur com­porte­ment presque exclu­sive­ment quan­tique. Pour lire et écrire sur des mémoires aus­si petites, une équipe de l’In­sti­tut Ray­on­nement-Matière de Saclay (IRaMiS) a étudié le com­porte­ment d’une molécule (appelée FeTTP) qui joue nor­male­ment un rôle dans le trans­port de l’oxygène par l’hémoglobine1.

Cette molécule déposée sur du graphène (une couche d’atome de car­bone d’un atome d’épaisseur) peut chang­er de spin facile­ment et à volon­té. Cela con­stitue un nou­veau mécan­isme de lecture/écriture d’un spin molécu­laire unique, encore plus petit et économe en énergie que les dis­posi­tifs exis­tants aujourd’hui.

Le Cen­tre de Nanosciences et de Nan­otech­nolo­gies de l’Université Paris-Saclay essaye, quant à lui, de don­ner plus de flex­i­bil­ité aux sys­tèmes d’intelligence arti­fi­cielle2. Dans les sys­tèmes infor­ma­tiques clas­siques, l’information de base est codée sous la forme de 0 ou de 1. De nou­veaux sys­tèmes spin­tron­iques per­me­t­tent d’introduire des nuances dans le code binaire comme des états 0+ ou 1‑, et d’intégrer cette logique « floue » dans des réseaux de neu­rones arti­fi­ciels, dont le fonc­tion­nement se rap­procherait plus de celui des neu­rones biologiques organiques de notre cerveau.

Capteurs quantiques : mesurer l’immensurable

Un grand nom­bre de cap­teurs sont con­stru­its autour de dif­férents phénomènes quan­tiques qui leur don­nent la capac­ité de mesur­er des sig­naux infimes avec une excel­lente réso­lu­tion, ouvrant la voie à de nou­veaux champs d’application.

Dans un micro­scope, la lim­ite de réso­lu­tion est don­née par les pro­priétés de la lumière util­isée. Glob­ale­ment, il n’est pas pos­si­ble de « voir » un objet plus petit qu’une longueur d’onde de cette lumière. Dans le domaine vis­i­ble, cette longueur d’onde avoi­sine les 500 nanomètres.

Il existe en physique quan­tique un principe appelé « dual­ité onde-par­tic­ule » selon lequel des objets quan­tiques (par­tic­ules, atom­es…) ont un com­porte­ment à la fois cor­pus­cu­laire et ondu­la­toire. On peut donc leur associ­er une longueur d’onde, comme la lumière, et imag­in­er un « micro­scope à ondes de matière ». Son avan­tage : la longueur d’onde asso­ciée à des atom­es est 1 mil­lion de fois plus courte que celle de la lumière. On dis­pose donc d’une capac­ité de mesure 1 mil­lion de fois meilleure que ce que la physique per­met avec la lumière.

Avec le quan­tique, on a une capac­ité de mesure 1 mil­lion de fois meilleure que ce que la physique per­met avec la lumière.

De tels dis­posi­tifs exis­tent. On les appelle par exem­ple « cap­teurs iner­tiels par inter­férométrie atom­ique ». Les champs d’application sont très larges, allant des géo­sciences (détec­tion de nappes de pét­role par mesure de vari­a­tion du champ de grav­ité local) aux sci­ences du vivant (mesure du champ élec­trique ou mag­né­tique émis par une seule cel­lule) en pas­sant par la nav­i­ga­tion iner­tielle (sur Terre ou dans l’espace). En 2022, un arti­cle de Nature pro­po­sait un tel cap­teur de grav­ité util­isant le com­porte­ment quan­tique d’atomes en chute libre pour mesur­er plus pré­cisé­ment que jamais les micro­scopiques vari­a­tions de grav­ité ter­restre afin de son­der les struc­tures du sous-sol terrestre.

Sim­u­la­tion de car­togra­phie grav­imétrique util­isée avec une réso­lu­tion spa­tiale de 0,5 m sur une région du sol3

La mécanique quantique au service de la santé

L’industrie phar­ma­ceu­tique a, elle aus­si, passé le cap quan­tique depuis longtemps.

Un médica­ment, c’est une molécule qui va se lier à d’autres struc­tures du vivant pour apporter un béné­fice à la san­té du patient. La manière dont ces molécules inter­agis­sent entre elles est étudiée par un domaine sci­en­tifique spé­ci­fique appelé « chimie quantique ».

Avant qu’une molécule thérapeu­tique ne soit autorisée sur le marché, elle doit subir une bat­terie de tests et d’essais clin­iques qui pren­nent sou­vent dif­fi­cile­ment moins qu’une décen­nie. Pour cibler très vite les molécules d’intérêt, il existe une étape appelée « criblage virtuel haut débit », où des algo­rithmes extrême­ment com­plex­es tes­tent en par­al­lèle la capac­ité de mil­liers de molécules à démon­tr­er l’effet biochim­ique souhaité sur la cible.

Cette com­préhen­sion de la manière dont une molécule indi­vidu­elle se lie chim­ique­ment à d’autres struc­tures nanométriques passe par la mise au point d’outils de sim­u­la­tion numérique inté­grant tous les principes de la mécanique quan­tique et de la chimie, tout en ayant pour objec­tif de délivr­er leur résul­tat le plus rapi­de­ment pos­si­ble, mal­gré la colos­sale com­plex­ité des cal­culs mis en jeu.

En France, une start­up appelée Qbit phar­ma­ceu­ti­cals développe de nou­velles méth­odes de cal­cul com­bi­nant réseaux de neu­rones, super­cal­cu­la­teurs et ordi­na­teurs quan­tiques afin de cibler tou­jours plus vite et effi­cace­ment les médica­ments de demain4.

1https://​www​.cea​.fr/​d​r​f​/​P​a​g​e​s​/​A​c​t​u​a​l​i​t​e​s​/​E​n​-​d​i​r​e​c​t​-​d​e​s​-​l​a​b​o​s​/​2​0​2​2​/​s​p​i​n​t​r​o​n​i​q​u​e​-​m​o​l​e​c​u​l​a​i​r​e​-​i​d​e​n​t​i​f​i​c​a​t​i​o​n​-​d​u​n​-​d​i​s​p​o​s​i​t​i​f​-​p​r​o​m​e​t​t​e​u​r​.aspx
2https://​www​.uni​ver​site​-paris​-saclay​.fr/​a​c​t​u​a​l​i​t​e​s​/​l​a​-​s​p​i​n​t​r​o​n​i​q​u​e​-​s​e​d​u​i​t​-​l​i​n​t​e​l​l​i​g​e​n​c​e​-​a​r​t​i​f​i​c​ielle
3https://www.nature.com/articles/s41586-021–04315‑3
4https://www.rtflash.fr/physique-quantique-service-pharmacologie‑1/article

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