Cet article a été publié en exclusivité dans notre magazine Le 3,14 sur le quantique.
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La physique quantique est maintenant largement entrée dans notre vie quotidienne. La « première révolution quantique » a débouché sur quantité de dispositifs et de techniques que l’on utilise presque tous les jours. Lasers, électronique, éclairage à LED, panneaux photovoltaïques, médecine nucléaire, aucune de ces technologies du quotidien ne pourrait être utilisée sans une connaissance fine des processus qui se déroulent à l’échelle de l’atome, grâce à la compréhension du comportement des particules élémentaires et des interactions entre la matière et la lumière.
Mais la mécanique quantique n’a pas fini de changer notre monde. Les toutes dernières découvertes issues des laboratoires de recherche préfigurent une deuxième révolution quantique, dans laquelle la maîtrise des processus à l’œuvre dans l’infiniment petit risque à nouveau de changer profondément notre manière de vivre, de communiquer et de comprendre le monde. Partons pour un petit tour des prochaines applications de la physique quantique dans le monde industriel.
La spintronique : l’électronique du futur
Le contrôle toujours plus fin de flux d’électrons dans des dispositifs de plus en plus petits a permis à l’électronique d’atteindre des niveaux de miniaturisation inégalés. En 2021, IBM annonçait la mise au point d’une puce faite de transistors de 2 nanomètres, dont la densité atteignait 333 millions de transistors par mm².
Mais outre sa charge électrique, l’électron possède une autre propriété appelée le « spin ». Cette grandeur quantique n’a pas d’équivalent classique, mais peut être comparée à un « moment magnétique », comme si l’électron était un minuscule aimant en rotation sur lui-même. Le principe de la spintronique est donc de manipuler le spin des électrons plutôt que leur charge électrique afin de créer de nouvelles applications, mais aussi de baisser énormément la consommation électrique des composants.
Actuellement, la spintronique est déjà utilisée dans plusieurs composants électroniques comme les mémoires d’ordinateurs (qui a valu à ses découvreurs le prix Nobel de Physique en 2007) ou certains capteurs magnétiques pour l’automobile ou la robotique.
La spintronique est déjà utilisée dans plusieurs composants électroniques comme les mémoires d’ordinateurs.
Mais, comme précisé plus haut, la miniaturisation des dispositifs électroniques est si évoluée que leurs éléments de base feront bientôt la taille de quelques atomes seulement. Une taille qui rendra leur comportement presque exclusivement quantique. Pour lire et écrire sur des mémoires aussi petites, une équipe de l’Institut Rayonnement-Matière de Saclay (IRaMiS) a étudié le comportement d’une molécule (appelée FeTTP) qui joue normalement un rôle dans le transport de l’oxygène par l’hémoglobine1.
Cette molécule déposée sur du graphène (une couche d’atome de carbone d’un atome d’épaisseur) peut changer de spin facilement et à volonté. Cela constitue un nouveau mécanisme de lecture/écriture d’un spin moléculaire unique, encore plus petit et économe en énergie que les dispositifs existants aujourd’hui.
Le Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies de l’Université Paris-Saclay essaye, quant à lui, de donner plus de flexibilité aux systèmes d’intelligence artificielle2. Dans les systèmes informatiques classiques, l’information de base est codée sous la forme de 0 ou de 1. De nouveaux systèmes spintroniques permettent d’introduire des nuances dans le code binaire comme des états 0+ ou 1‑, et d’intégrer cette logique « floue » dans des réseaux de neurones artificiels, dont le fonctionnement se rapprocherait plus de celui des neurones biologiques organiques de notre cerveau.
Capteurs quantiques : mesurer l’immensurable
Un grand nombre de capteurs sont construits autour de différents phénomènes quantiques qui leur donnent la capacité de mesurer des signaux infimes avec une excellente résolution, ouvrant la voie à de nouveaux champs d’application.
Dans un microscope, la limite de résolution est donnée par les propriétés de la lumière utilisée. Globalement, il n’est pas possible de « voir » un objet plus petit qu’une longueur d’onde de cette lumière. Dans le domaine visible, cette longueur d’onde avoisine les 500 nanomètres.
Il existe en physique quantique un principe appelé « dualité onde-particule » selon lequel des objets quantiques (particules, atomes…) ont un comportement à la fois corpusculaire et ondulatoire. On peut donc leur associer une longueur d’onde, comme la lumière, et imaginer un « microscope à ondes de matière ». Son avantage : la longueur d’onde associée à des atomes est 1 million de fois plus courte que celle de la lumière. On dispose donc d’une capacité de mesure 1 million de fois meilleure que ce que la physique permet avec la lumière.
Avec le quantique, on a une capacité de mesure 1 million de fois meilleure que ce que la physique permet avec la lumière.
De tels dispositifs existent. On les appelle par exemple « capteurs inertiels par interférométrie atomique ». Les champs d’application sont très larges, allant des géosciences (détection de nappes de pétrole par mesure de variation du champ de gravité local) aux sciences du vivant (mesure du champ électrique ou magnétique émis par une seule cellule) en passant par la navigation inertielle (sur Terre ou dans l’espace). En 2022, un article de Nature proposait un tel capteur de gravité utilisant le comportement quantique d’atomes en chute libre pour mesurer plus précisément que jamais les microscopiques variations de gravité terrestre afin de sonder les structures du sous-sol terrestre.
La mécanique quantique au service de la santé
L’industrie pharmaceutique a, elle aussi, passé le cap quantique depuis longtemps.
Un médicament, c’est une molécule qui va se lier à d’autres structures du vivant pour apporter un bénéfice à la santé du patient. La manière dont ces molécules interagissent entre elles est étudiée par un domaine scientifique spécifique appelé « chimie quantique ».
Avant qu’une molécule thérapeutique ne soit autorisée sur le marché, elle doit subir une batterie de tests et d’essais cliniques qui prennent souvent difficilement moins qu’une décennie. Pour cibler très vite les molécules d’intérêt, il existe une étape appelée « criblage virtuel haut débit », où des algorithmes extrêmement complexes testent en parallèle la capacité de milliers de molécules à démontrer l’effet biochimique souhaité sur la cible.
Cette compréhension de la manière dont une molécule individuelle se lie chimiquement à d’autres structures nanométriques passe par la mise au point d’outils de simulation numérique intégrant tous les principes de la mécanique quantique et de la chimie, tout en ayant pour objectif de délivrer leur résultat le plus rapidement possible, malgré la colossale complexité des calculs mis en jeu.
En France, une startup appelée Qbit pharmaceuticals développe de nouvelles méthodes de calcul combinant réseaux de neurones, supercalculateurs et ordinateurs quantiques afin de cibler toujours plus vite et efficacement les médicaments de demain4.