Le biomimétisme est de plus en plus populaire dans la recherche biomédicale. Il irrigue aussi bien les travaux de biologie fondamentale que le développement de technologies médicales.
C’est un nouveau tournant pour la médecine réparatrice. Elle est en passe de devenir régénérative, c’est-à-dire vraiment capable de restaurer les tissus biologiques et leurs fonctions. Il s’agit de reproduire le vivant et ses processus, de développer une approche biomimétique de la médecine. Cette démarche s’allie à une autre approche à l’interface des sciences des matériaux et des sciences biologiques, la bioingénierie. Catherine Picart, qui dirige l’équipe Biomimétisme et Médecine Régénératrice au sein de l’Unité Biosanté au CEA de Grenoble, s’appuie sur ces outils pour créer des biomatériaux afin de réparer des tissus osseux, en collaboration avec des chirurgiens maxillo-faciaux de l’hôpital d’Annecy. Il s’agit de proposer à l’os lésé un environnement pour le faire se reconstruire. Pour cela, l’équipe conçoit des biomatériaux qui contiennent des facteurs de croissance osseuse. Ils sont imprimés en 3D et on y dépose un film biomimétique dit « ostéoinducteur », favorisant la régénération de l’os.
Nouveaux concepts
Ces biomatériaux sont des polymères qui ressemblent à la matrice extracellulaire : le gel biologique présent entre les cellules des animaux. Ce polymère réticulé est composé d’acide hyaluronique, un polymère présent dans la peau et capable de former des films très minces sur lesquels on peut déposer le facteur de croissance, cette protéine qui commande la croissance osseuse. Le film est déposé à la surface d’un biomatériaux poreux, fabriqué par impression 3D. Les cellules y adhèrent et comblent les espaces en produisant de l’os. Cela a été démontré en 2016 sur des modèles de rongeurs1.
Cette approche a également fait ses preuves sur de gros animaux (cochon, mouton) présentant des défauts osseux de la mâchoire2 et de la patte3. Chez l’humain, ce type de malformation nécessite actuellement plusieurs opérations de greffes osseuses. Avec le concept de régénération osseuse, il suffirait de greffer un os synthétique et de le laisser se reconstruire.
Cette technique a l’avantage de produire une restauration sur mesure. Le moule 3D contrôle la forme et la porosité de l’os restauré, tandis que le film de surface en définit la quantité et la vitesse de repousse.
Pour compléter cette approche biomimétique, un autre axe de l’équipe consiste à comprendre comment ces matrices artificielles, associées à des facteurs de croissance, agissent sur les cellules. Il s’agit en particulier de reproduire in vitro le contrôle qu’elles exercent sur la communication cellulaire et la formation des tissus4.
La difficulté de ces travaux est la rigidité des surfaces affectant la réponse des cellules. Les chercheurs grenoblois ont donc développé une approche avec des films biomimétiques souples, dont l’épaisseur est inférieure à deux micromètres. Ils sont déposés sur des plaques formées de 96 puits utilisées couramment dans la recherche biomédicale. Chaque puits peut ainsi constituer une condition expérimentale et il est possible de mener 96 expériences de front, chacune présentant des compositions de matrice ou de facteurs de croissance différents.
Cette approche apporte des éléments de compréhension des mécanismes moléculaires de formation du tissu osseux, pouvant être utiles pour l’approche clinique de réparation osseuse.
Nouveaux outils
Le biomimétisme permet également de créer de nouveaux outils pour la médecine, et en particulier pour la chirurgie. Il existe tout un pan de technologies médicales qui cherche à reproduire les propriétés de certaines espèces animales ou végétales. C’est le cas d’aiguilles chirurgicales5 inspirées de guêpes parasitiques, développées par les universités de Delft et de Wageningen. Ultrafines, ces aiguilles sont constituées de sept tiges indépendantes qui assurent l’élasticité et la solidité du système.
Toujours en chirurgie, des chercheurs de l’université américaine de l’Illinois ont créé une ventouse inspirée de la pieuvre6 destinée à transférer des tissus délicats lors des greffes. Ce système met à profit les propriétés électrothermiques d’un polymère afin de reproduire la succion délicate des tentacules.
Les glues chirurgicales constituent un autre champ d’outils biomimétiques très prometteur. En la matière, c’est l’entreprise française Tissium7 qui semble l’une des plus avancées. La société parisienne a reproduit les propriétés d’un ver marin, Phragmatopoma californica, qui construit des châteaux de sable afin d’y loger ses colonies. Un ciment résistant à l’eau assure la solidité des édifices. C’est cette propriété qui intéresse la chirurgie.
Depuis la recherche fondamentale jusqu’aux technologies médicales, le concept de biomimétisme irrigue l’innovation médicale. Une étude8 du cabinet d’analyse stratégique indo-britannique Precedence Research estime ainsi le marché de l’innovation médicale biomimétique à plus de 33 milliards de dollars en 2022 et pourrait atteindre les 65 milliards de dollars en 2032. Sans doute, ces estimations s’appuient sur une définition large de l’innovation biomimétique, mais elles dessinent le nombre de recherches qui atteindront le marché dans les prochaines années.