En 2023, le Prix Nobel de chimie récompense la découverte et la synthèse des boîtes quantiques colloïdales. Trois scientifiques sont nobélisés : Aleksey Yekimov, Louis Brus et Moungi Bawendi.
Quelle est la particularité des boîtes quantiques ?
Ce sont des nanoparticules – c’est-à-dire des particules d’une taille de l’ordre de 10-9 mètres, soit un millionième de millimètre – de matériau semi-conducteur. Leur particularité ? Leurs propriétés sont déterminées par leur taille. C’est complètement inhabituel : les propriétés des matériaux sont classiquement indépendantes de leur taille. Mais il s’avère que lorsqu’on diminue la taille à l’échelle du nanomètre, il est possible d’obtenir d’importantes variations des propriétés électroniques. Cela s’appelle le phénomène de confinement quantique. Il faut comprendre que cette propriété est absolument fantastique. Avant leur découverte, la seule façon de faire varier les propriétés d’un matériau était d’en modifier la composition.
Comment cette propriété est-elle exploitée aujourd’hui ?
Elles sont essentiellement utilisées en tant que sources de lumière. Lorsqu’elles sont exposées à la lumière, les boîtes quantiques passent dans un état excité. Elles reviennent ensuite à l’état fondamental en émettant un photon, une particule élémentaire de la lumière. La couleur de ce photon dépend fortement de la taille de la boîte. Un procédé mis au point par Philippe Guyot-Sionnest, ancien polytechnicien, qui permet de rendre ce processus de photoluminescence extrêmement efficace, avec un rendement proche de 100 %.
Des applications concrètes existent-elles ?
Oui, on les trouve dans les téléviseurs QLED. Des diodes bleues excitent les boîtes quantiques de l’écran pour générer l’affichage du téléviseur. Par rapport aux technologies classiques, la pureté des couleurs est significativement améliorée. C’est la principale application industrielle des boîtes quantiques.
D’autres projets concernent des dispositifs anti-contrefaçon. En intégrant une marque à l’aide d’une boîte quantique sur l’objet à certifier, il est ensuite possible de vérifier facilement sa présence à l’aide d’une source lumineuse. L’avantage : ce dispositif est difficile à fabriquer et facilement manipulable. Enfin, de nouvelles applications émergent dans le domaine de la détection infrarouge. En déposant des boîtes quantiques (absorbant la lumière infrarouge) sur un circuit de lecture de caméra classique, on obtient une caméra infrarouge. Cette technologie augmente considérablement la sensibilité. Cette application est encore à un stade de recherche, et plusieurs industriels, dont l’entreprise française ST Microelectronics, développent ce genre de caméras.
Les scientifiques se sont-ils également emparés de ces objets ?
Les biologistes se sont assez rapidement penchés sur le sujet. Les boîtes quantiques sont utilisées pour étudier des phénomènes biologiques. Le principe ? On fixe une espèce biologique (comme une toxine) sur une boîte quantique. Celle-ci est placée dans un milieu de culture contenant des cellules. En éclairant l’échantillon, il est possible de suivre la trajectoire de la toxine grâce à la luminescence de la boîte quantique. L’observation peut être effectuée pendant une longue durée, contrairement aux systèmes d’observation précédemment utilisés. Maxime Dahan, un biophysicien français, a ainsi observé in vitro le phénomène de transmission d’informations au niveau des synapses.
Quels avantages poussent industriels et scientifiques à se tourner vers ces matériaux ?
Les boîtes quantiques se démarquent d’autres matériaux par deux aspects. D’une part, il est possible de moduler très précisément leurs propriétés d’absorption et d’émission en modifiant leur taille et leur composition chimique. C’est une propriété très intéressante pour les applications de luminescence comme les téléviseurs : il suffit de changer la taille des boîtes quantiques pour contrôler leur couleur d’émission. Elles peuvent couvrir une très large gamme de longueurs d’onde, de 400 nanomètres à quelques microns (lumière visible et infrarouge).
D’autre part, ce sont des matériaux inorganiques : cela confère une stabilité au signal. Le seul défaut constaté est l’effet de « blinking », un phénomène de clignotement des boîtes quantiques. Mais il est désormais possible de s’en affranchir à l’aide de techniques de synthèse plus complexes.
Est-il facile de fabriquer des boîtes quantiques ?
La commercialisation des téléviseurs QLED est la preuve qu’il est possible d’industrialiser leur fabrication. Leur synthèse n’est pas triviale. La difficulté : maîtriser le calibre des particules. Leur taille – à l’échelle nanométrique – est principalement contrôlée par la température lors de leur formation. À l’échelle industrielle, il est donc nécessaire de maintenir une température parfaitement homogène dans des réacteurs de grand volume.
Si nous en sommes à un stade industriel aujourd’hui, c’est grâce aux travaux d’Aleksey Yekimov et Moungi Bawendi, deux des trois récipiendaires du prix Nobel. La méthode qu’ils ont mise au point a révolutionné la chimie des nanocristaux, elle est aujourd’hui utilisée pour la synthèse de nombreux autres matériaux comme l’oxyde de fer, le tungstène ou le titane.
Pouvez-vous revenir sur l’histoire de cette découverte récompensée par le prix Nobel ?
Ces recherches ont commencé au début des années 1980 par de premières observations expérimentales. Aleksey Yekimov observait la variation des propriétés spectrométriques de verres colorés en fonction du traitement thermique du matériau. Il est le premier à avoir fait le lien entre la taille de petits précipités de semi-conducteurs qu’il observait dans le verre, et ses propriétés. C’est un phénomène marqué dans le verre, car il est visible à l’œil nu : en réalisant un recuit thermique entre 250 °C et 400 °C, on observe un gradient de couleur du jaune (petits cristaux de semi-conducteurs dans la matrice de verre), au rouge (gros cristaux de semi-conducteurs). Louis Brus a été le premier à expliciter les bases physiques expliquant le phénomène observé dit de confinement quantique, par Aleksey Yekimov.
Moungi Bawendi, un étudiant de Louis Brus a, lui, mis au point une méthode de synthèse avancée. Il était, en effet, difficile de contrôler finement la distribution en taille des particules de verre, et donc les propriétés du matériau. Moungi Bawendi a eu l’idée de fabriquer des cristaux en suspension colloïdale, c’est-à-dire dans un solvant. Il mélange pour cela dans un solvant des précurseurs (cadmium et sélénium) qui conduisent à la formation de cristaux de séléniure de cadmium. En réalisant cette synthèse à haute température (250 à 300 °C), la nucléation et la croissance des cristaux sont très bien contrôlées. C’est la clé pour contrôler la taille et la distribution des particules, et donc leurs propriétés. Ses travaux ont révolutionné le domaine de la fabrication des cristaux grâce à la chimie des colloïdes.
D’autres domaines d’applications pourraient-ils voir le jour à l’avenir ?
Le domaine reste très actif. Les chimistes continuent d’améliorer les matériaux et à proposer de nouvelles stratégies pour l’émergence de propriétés intéressantes : applications en catalyse, en photocatalyse pour la photosynthèse artificielle, assemblage de nanocristaux pour former des supra-cristaux aux propriétés collectives nouvelles, etc. Des équipes de recherche travaillent également sur la forme des boîtes quantiques, en fabricant des bâtonnets plutôt que des sphères. Cela pourrait ouvrir la voie à de nouvelles applications en biologie pour mieux caractériser les écoulements des fluides comme le sang. Les physiciens, eux, s’emparent de ces objets pour leurs propriétés d’émission de lumière ultra-pure : des recherches se penchent sur l’utilisation des boîtes quantiques dans l’ordinateur quantique ou pour la cryptographie quantique. De plus, grâce à leur grande flexibilité et leur robustesse, ces boîtes quantiques pourraient devenir des briques de base pour la nanotechnologie.