Cet article a été publié en exclusivité dans notre magazine Le 3,14 sur la science et le sport.
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Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris de 2024 arrivent à grands pas. Dans le cadre du projet Sciences2024, nous menons des travaux pour améliorer la performance des prothèses tibiales employées par certains paralympiens pour le saut en longueur. Il existe plusieurs catégories d’amputés – amputation basse ou haute de la jambe, des deux membres ou d’un seul – mais nous nous focalisons sur les amputés unilatéraux, c’est-à-dire ceux qui ont été amputés d’une seule jambe au-dessous du genou.
Sauter plus loin
Notre démarche a pour objectif dechercher des solutions pour optimiser la restitution de l’énergie au moment critique du saut : c’est l’instant même de l’impulsion qui permet au sportif de se projeter en avant. Chez les amputés unilatéraux, la lame de saut – en carbone rigide mais de forme très élancée – remplace le membre amputé et s’assimile à un gros ressort presque parfait.
La lame, qui s’emboite sur le membre résiduel, permet au sportif de prendre son élan en appuyant dessus et en la comprimant ainsi fortement au moment de l’impulsion. Lors d’un saut en longueur, un athlète réalise une course d’élan importante : plus il court vite, plus il emmagasine de l’énergie cinétique, qui est ensuite « transformée » en impulsion lors du dernier appel. L’enjeu principal consiste à convertir cette énergie cinétique, liée à la vitesse d’élan, en « énergie d’impulsion » pour permettre au sportif de s’élancer le plus loin possible.
L’enjeu principal est de convertir la vitesse d’élan en énergie d’impulsion pour permettre au sportif de s’élancer le plus loin possible.
Certains paramètres, comme un angle de saut inadapté, une mauvaise position du corps ou les mouvements parasites de l’athlète pendant le saut peuvent dissiper cette précieuse énergie. De plus, les frottements dans l’emboîture ou encore les chocs transmis au corps du sportif peuvent conduire à des blessures – et ce, même si le geste ou la prothèse sont pensés de la meilleure façon possible pour la performance. C’est pourquoi nous cherchons à comprendre comment transférer de façon optimale cette énergie cinétique à l’impulsion en efficacité vis-à-vis de la longueur du saut sans occasionner de blessure nuisible à la performance.
Le geste sportif et la prothèse sont donc essentiels pour la conversion d’énergie. À cette fin, nous étudions l’énergie accumulée dans la lame afin que l’athlète puisse se projeter le plus loin possible. Nous nous intéressons davantage à la performance dans cette partie de notre travail et nous travaillons avec le directeur technique de la Fédération française handisport qui nous met en contact avec les sportifs et leurs entraîneurs.
Améliorer le confort
En plus d’améliorer les performances, nous cherchons donc également à améliorer le confort des athlètes, à limiter leur fatigue et, bien entendu, leurs blessures. La lame de saut est un appendice qui leur permet de sauter, mais elle crée aussi des vibrations et des chocs lorsqu’elle impacte le sol. Ces vibrations peuvent provoquer des frictions au niveau de l’emboiture, générant ainsi de l’inconfort, voire des douleurs. Nous cherchons à mesurer ces chocs grâce à une modélisation numérique afin d’analyser leur transmission au corps de l’athlète.
Nous pourrons comprendre comment les matériaux composant la lame et la prothèse peuvent se déformer mécaniquement et réduire les chocs.
Nous avons mis en place des protocoles expérimentaux en laboratoire qui vont nous permettre de reproduire le geste sportif. Avec ceux-ci, nous pourrons comprendre la déformation globale de la lame, sous l’effet de la compression, à l’impulsion mais surtout comprendre comment les matériaux composant la lame et la prothèse transmettent les forces de la piste vers le corps de l’athlète. De plus on identifiera leur rôle à la fois dans la restitution d’énergie mais aussi dans la réduction du risque de blessures inhérent à la pratique.
Pour ce faire, nous avons développé de nombreuses expériences en laboratoire avec des instrumentations variées. Des caméras rapides et des capteurs nous permettent ainsi d’analyser en détail les phénomènes dynamiques et mesurer les efforts ainsi que le transfert des ondes. Ces mesures nous permettent d’aller vers une optimisation globale du système lame-prothèse.
Nous travaillons également sur le développement des matériaux qui constituent la prothèse et nous nous efforçons de trouver ceux qui donneront de bonnes performances globales. Ces matériaux sont fabriqués par impression 3D, autrement appelée « fabrication additive ».
Comprendre les forces
Pour analyser au mieux l’impact des matériaux et du geste sportif, nous étudions deux scénarios. Dans le premier, lorsque l’athlète appuie sur la lame assez lentement, cela provoque une déformation progressive. Dans ce cas, l’information peut être analysée de manière assez simple – par un protocole d’essai statique en laboratoire. La lame étant constituée d’un matériau rigide mais de forme élancée, elle se déforme globalement mais aussi localement au niveau de la semelle et au point de contact avec le membre résiduel via l’emboiture. Nous étudions donc les déformations statiques locales – qui permettent de comprendre la façon dont l’énergie se dissipe – et la nature des pressions sur le membre amputé – qui peuvent provoquer d’éventuelles blessures.
Deuxième scénario : la vitesse de sollicitation augmente progressivement afin de reproduire les conditions de la dernière impulsion de l’athlète sur la lame. Grâce à nos observations pendant la course de l’athlète et au moment de son saut, nous sommes dans la capacité de mesurer la vitesse de déformation de la lame et de la semelle. La transmission des vibrations et des chocs depuis le sol vers la lame, puis vers le membre du sportif, est ainsi caractérisée par des modèles théoriques. Dans ce deuxième scénario, il est aussi intéressant de voir les effets dynamiques et les forces qui interagissent entre la piste, la lame et l’athlète. Ces forces varient rapidement au moment de l’impulsion et sont représentatives des phénomènes de chocs occasionnant souvent des blessures.
Dans le premier scénario, les forces statiques sont à l’œuvre ; dans le deuxième, ce sont les forces dynamiques ou impulsionnelles. Ces concepts sont couramment utilisés pour étudier des matériaux structurés ou des métamatériaux dans l’industrie. Nous les transposons au service de l’humain, afin de faire progresser le domaine de « l’homme augmenté » ou le futur athlète médaillé !
Isabelle Dumé
Références