« Organes sur puces » : une biotechnologie miniature aux grandes ambitions
- Les organes sur puces sont des reproductions microscopiques des organes humains.
- Ces systèmes miniaturisés imiteront les fonctionnalités, l’environnement physico-chimique et les processus biologiques des organes humains.
- Constitués de cellules humaines, ils concilient la pertinence d’un système fonctionnel avec des techniques d’observation et de mesures inaccessibles in vivo.
- À la croisée de la micro-fluidique, de la bio-ingénierie et de la bio-cellulaire, ces innovations sont encore en cours de maturation.
- Une fois aboutie, le champ d’application sera vaste : personnalisation des soins, compréhension de processus complexes ou observation de la signalisation cellulaire, etc.
Miniaturiser la complexité d’un organe fonctionnel dans un petit système de la taille d’un domino, ne relève plus du domaine de l’impossible. Grâce à la combinaison de travaux de recherche en micro-fluidique, en biologie cellulaire et en bio-ingénierie, la communauté scientifique est parvenue à créer des organes sur puces (organ on chip en anglais).
Ces dispositifs reproduisent les fonctionnalités, l’environnement physico-chimique et les processus physiologiques des organes et des tissus humains à une échelle microscopique. Ils sont fabriqués sur des surfaces en plastique ou en verre, gravées de différents canaux et compartiments, au sein desquels différents types cellulaires sont mis en culture et interagissent. L’architecture de ces puces permet d’imiter les processus biologiques à l’œuvre au sein d’un organe, comme la pression sanguine, les interactions cellulaires ou la vitesse de circulation des fluides dans des tissus d’interface (poumons, intestins, reins).
L’utilisation de cellules humaines permet, en outre, de recréer des conditions expérimentales intéressantes et d’observer les effets directs – sur de grands organes – de certaines contraintes mécaniques ou d’une exposition à des molécules thérapeutiques.
Micro-plomberie, maxi-puissance
Cédric Bouzigue est maître de conférences en biologie à l’École polytechnique et chercheur au laboratoire d’optique et de biosciences. Il développe des organes sur puces pour des applications relatives à des pathologies rénales sévères. « Mon travail consiste à faire de la plomberie à l’échelle de quelques micromètres » sourit-il. Les systèmes micro-fluidiques qu’il conçoit permettent de « contrôler des signaux et des circulations, en reconstituant des géométries en trois dimensions qui se rapprochent de ce qui se passe dans un organe réel ». Comme expliqué ci-après, il travaille notamment sur un modèle qui reproduit les interfaces entre le sang et l’urine dans le rein.
Le biologiste dépeint l’organe sur puce comme un dispositif théoriquement idéal, puisqu’il « permet de concilier la pertinence d’un système fonctionnel qui reproduit la fonction d’un organe, avec des techniques d’observation et de mesures inaccessibles in vivo ». Grâce à cela, la communauté scientifique peut multiplier les techniques d’analyse et de quantification sur un même support, suivre précisément la signalisation cellulaire et tester l’efficacité de différentes substances actives « tout en variant et en contrôlant les conditions d’utilisation et d’expérimentation ». En résumé, ces dispositifs ambitionnent de « faire mieux avec moins », à en croire le titre d’un des chapitres de l’ouvrage Étonnante chimie (CNRS éditions, 2021).
Des essais cliniques sur puces ?
Les organes sur puces demeurent une technologie en cours de maturation. Ils n’ont pas encore investi les paillasses des laboratoires de biologie, au sein desquels les expériences restent essentiellement conduites dans des cultures cellulaires en boîte de Petri ou sur des modèles animaux. « Les organes sur puces ne sont aujourd’hui pas encore assez développés et complexes pour imaginer remplacer les modèles animaux tout au long du processus de recherche », tient d’ailleurs à souligner Cédric Bouzigues.
Néanmoins, les essais précliniques aujourd’hui menés pour tester l’efficacité et la toxicité de nouveaux médicaments ne reflètent pas l’intégralité des aspects du fonctionnement tissulaire des humains. Par ailleurs, la Food and Drug Administration (États-Unis) pointait dans un récent rapport que neuf médicaments sur dix échouaient au stade de l’essai clinique sur l’Homme après avoir pourtant réussi l’étape des tests sur animaux. Si aucun processus de sécurité sanitaire ne peut – pour l’instant – égaler celui actuellement à l’œuvre, une technologie comme celle de l’organe sur puce pourrait participer à accélérer et faciliter la translation de nouvelles thérapies du laboratoire à l’humain. Pour Cédric Bouzigues, « on pourrait valider certaines hypothèses sur puces dans un premier temps, avant d’aller les confirmer sur des modèles vivants. »
Un espoir pour les infections rénales
Avant de voir cette technologie se généraliser, les biologistes du laboratoire d’optique et de biosciences collaborent avec une équipe du Paris Cardiovascular Research Center pour développer et tester des modèles de glomérule rénal (unité de filtration du rein) sur puces. « Les glomérulonéphrites et les hyalinoses segmentaires ou focales sont des inflammations rénales rares. Hors transplantation, ces pathologies sont fatales », explique Cédric Bouzigues.
Les scientifiques ont donc conçu un système de glomérule sur puce qui reproduit les mécanismes critiques favorisant l’apparition et la progression de la pathologie. « Notre système sur puce est constitué de deux chambres – urinaire et vasculaire – séparées par une membrane constituée de cellules pariétales glomérulaires ». Ces cellules forment la capsule dans laquelle l’urine se forme. Grâce à un dispositif d’imagerie optique, les scientifiques peuvent observer ce qui se passe dans la puce, tant au niveau moléculaire que cellulaire, notamment lorsqu’elle est soumise à des molécules actives, potentiellement impliquées dans l’apparition de pathologies.
Vers une médecine personnalisée
Les organes sur puce ouvrent de prometteuses perspectives. À terme, il serait envisageable de créer des dispositifs personnalisés pour chaque patient, en fonction de sa pathologie et de ses caractéristiques génétiques. Les organes sur puces ouvrent la voie à une médecine personnalisée, permettant de tester la réponse d’un patient à une thérapie et de lui offrir la possibilité d’un traitement adapté à son profil.
En parallèle, d’autres équipes de recherche travaillent sur différents types d’organes sur puce, tels que des systèmes vasculaires pour étudier l’hypertension, ou encore des intestins, des reins et des poumons sur puce. Les matériaux utilisés pour la fabrication de ces dispositifs sont généralement des polymères comme le PDMS. Ils offrent une grande précision et une excellente biocompatibilité. Toutefois, la durabilité des organes sur puce reste un défi à relever, puisqu’il est actuellement difficile d’envisager leur utilisation pour étudier des pathologies dont l’évolution s’étend sur le long terme.
Des défis subsistent, mais les organes sur puce prennent indéniablement le chemin des laboratoires. Les prémisses d’une révolution pour la compréhension de processus biologiques complexes se font ressentir, tant à l’échelle fondamentale que clinique.