Explosion du nombre de drones de loisirs ou professionnels, multiplication des parcs éoliens sur terre ou en mer : les sources de bruits aérodynamique sont de plus en plus nombreuses. Et celles-ci sont susceptibles de gêner le grand public et la biodiversité animale. Les réglementations se durcissent et imposent, généralement au niveau européen, des limites sonores à ne pas dépasser. Mais un niveau de bruit n’est pas si simple à caractériser, et la perception de certains sons est parfois irrationnelle.
Modélisation du son par « maquette sonore »
Des chercheurs avaient, en 2017, demandé à une quarantaine de personnes d’écouter 103 sons de drones volant à différentes altitudes et les bruits émis par différents véhicules à quatre roues. Les auditeurs devaient ensuite les caractériser de « pas du tout énervant » à « très énervant ». Résultat, à volume sonore égal, le bruit des drones gêne l’oreille humaine, bien plus que celui des voitures ou des camions1. Sans doute parce que nous sommes habitués aux bruits de ces véhicules, avaient alors suggéré les auteurs de l’expérience. Il en est de même pour le bruit des éoliennes.
Comparativement à de nombreuses autres sources sonores dans l’environnement, d’origine humaine ou naturelle, les niveaux de bruit générés par un parc éolien sont modérés. Selon une étude du Céréma2, ce son dépasse rarement 40 dBA à l’extérieur du logement d’un riverain. À titre de comparaison, les transports passant devant le logement d’un riverain peuvent émettre plus de 70 dBA, un « point noir de bruit » à ne pas dépasser selon la loi. Les parcs éoliens situés dans des environnements essentiellement ruraux génèrent un bruit de fond local, relativement bas, mais pouvant favoriser la perception du bruit. De plus, le bruit éolien comporte des basses fréquences (20–200 Hz, audibles) ou infrasonores (inférieures à 20 Hz, généralement considérées comme inaudibles) qui se propagent sur des distances plus importantes que des sons de fréquences supérieures. « Si la gêne due au bruit augmente avec le niveau d’exposition sonore, son évolution ne suit généralement pas de loi simple et dépend de chaque source de bruit et de ses caractéristiques (bruit permanent ou impulsionnel, grave ou aigu, etc.) », explique Olivier Doaré, professeur à l’Unité de Mécanique (UME) de l’ENSTA Paris.
Son laboratoire conduit plusieurs projets de recherches sur la modélisation de différentes sources de bruits, dont l’un porte sur les éoliennes. « Pour ces dispositifs, le niveau en décibels n’est pas parlant, car le bruit n’est pas constant. Il est caractérisé par des fluctuations temporelles d’amplitude potentiellement liées à la météo, à la forme des pales, etc. »
Le laboratoire a travaillé sur une modélisation des sources de bruit aérodynamique des éoliennes et de la propagation du son dans l’atmosphère. L’objectif : pouvoir simuler, avant l’installation d’un parc, le bruit ambiant qui en résultera. « L’idée est d’entendre la ferme avant de la construire, comme si l’on élaborait une maquette non pas visuelle, mais sonore », explique Benjamin Cotté, enseignant-chercheur à l’Ensta et co-auteur de l’étude, avec David Mascarenhas, aujourd’hui ingénieur chez Capgemini. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que différents facteurs étaient négligés dans la mesure du bruit des éoliennes, comme la hauteur et la qualité du sol (plus ou moins absorbant) sur lequel elles sont installées, ou encore l’effet de la direction et des profils de vent sur la propagation du son. En développant un outil de synthèse du bruit éolien, par modélisation physique et non par échantillonnage, ils peuvent analyser la sensibilité des sons. Et ce, selon de nombreux facteurs : géométrie de la pale, profil de vent ou de température, taux de turbulence en amont. Cela permet également de prédire la puissance du bruit pour chaque segment de pale d’éolienne. Des synthèses sonores sont ainsi réalisées et présentées pour différentes conditions météorologiques.
Ces procédés visant à recréer un environnement sonore (on parle d’ « auralisation » du bruit éolien) peuvent être utilisés dans des applications de réalité virtuelle. L’étude s’inscrit d’ailleurs dans le réseau européen Virtual Reality Audio for Cyber Environments (VRACE).
Des solutions techniques concrètes
En pratique, le défi des concepteurs et des exploitants des parcs éoliens est de diminuer les bruits des engins, pour éviter les plaintes des riverains. Différentes pistes sont à l’étude ou déjà abouties. « Il est possible de jouer sur la vitesse de rotation ou sur l’angle de calage des pales, explique Benjamin Cotté. Certaines équipes travaillent sur des outils intelligents qui brident automatiquement les éoliennes, pour minimiser le bruit tout en optimisant la production. L’une des dernières avancées est de recourir à des « peignes » ou « serrations » (mot anglais provenant du latin ‘serrati’, qui signifie ‘dentelé’). Il s’agit de pièces allongées en « dents de scie », directement inspirées des ailes de chouettes qui arrivent à voler dans un silence parfait grâce à l’écartement de leurs plumes en bout d’aile qui laissent passer l’air, réduisant ainsi les turbulences ». Ces peignes se fixent sur le bord de fuite des pales [Ndlr : le côté aminci au bout de la pale qui a pour but de réduire la traînée aérodynamique et d’améliorer les performances]. Elles permettent d’abaisser le bruit aérodynamique d’en moyenne 2 à 3 décibels, en réduisant les turbulences créées par le frottement de l’air en bout de pale.
Concernant les drones, d’autres recherches sont en cours. Le projet « Aéroacoustique des systèmes multi-propulseurs pour les drones » (APRO), en partenariat avec l’Unité d’Informatique et d’Ingénierie des Systèmes (U2IS), vise à améliorer la compréhension et la modélisation de la génération de bruit, dans les systèmes multi-propulseurs. L’objectif étant d’en limiter les nuisances sonores. La doctorante Caroline Pascal cherche, elle, à automatiser l’analyse des champs acoustiques à l’aide de mesures robotisées. Aujourd’hui, son travail permet la caractérisation fine du rayonnement des hélices, et permettra d’optimiser la trajectoire, la vitesse et l’accélération d’un drone, afin d’en limiter les nuisances.
Marina Julienne
Références :
Mascarenhas, D., Cotté, B., & Doaré, O. (2023). Propagation effects in the synthesis of wind turbine aerodynamic noise. Acta Acustica, 7, 23.
Mascarenhas, D., Cotté, B., & Doaré, O. (2022). Synthesis of wind turbine trailing edge noise in free field. JASA Express Letters, 2(3).