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DNA double helix emerging from a computer chip, biotechnology and computing, genetics innovation
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L’ordinateur à ADN : super disque dur du futur ?

Lennart Hilbert
Lennart Hilbert
professeur en bioinformatique et biologie des systèmes à l'Institut de technologie de Karlsruhe
En bref
  • Les ordinateurs à ADN exploitent les capacités computationnelles des cellules en remplaçant le code binaire par un code à quatre unités, ATCG.
  • Bien que l'ADN soit un matériau biodégradable, les ordinateurs à ADN ne remplaceront pas les puces en silicium, notamment à cause des défis liés à leur lecture et écriture.
  • Les ordinateurs à ADN offrent un stockage d'informations plus durable et dense, mais leur potentiel dépasse le simple stockage grâce à des enzymes et des machineries cellulaires.
  • La recherche sur les ordinateurs à ADN pourrait éclairer le fonctionnement du vivant, même si cette technologie n'aboutit pas pleinement.
  • Cette technologie soulève des enjeux éthiques majeurs, avec son potentiel pour le transhumanisme mais aussi pour la probable invisibilité de son implémentation du point de vue des non spécialistes.

Une infor­ma­tique vivante, c’est la promesse des ordi­na­teurs à ADN ou « DNA com­put­ing ». Cette tech­nolo­gie pro­pose d’exploiter les capac­ités com­pu­ta­tion­nelles des cel­lules et de rem­plac­er ain­si des sys­tèmes de sili­ci­um par de la biotech­nolo­gie. Si l’approche est encore bal­bu­tiante, elle sus­cite déjà un mélange d’émerveillement et de crainte.

VRAI – En remplaçant le code binaire, avec ses 0 et des 1, par un code à quatre unités, ATCG, on peut créer un ordinateur à ADN.

A pour adé­nine, T pour thymine, C pour cyto­sine et G pour la gua­nine. Ce sont les qua­tre sym­bol­es des bases nucléo­tidiques, les molécules qui con­stituent l’unité de l’alphabet de l’ADN. Ain­si, comme on code en binaire en jouant sur la dif­férence de charge élec­trique, on peut encoder une infor­ma­tion en A, T, C et G.

Ce n’est pas par­ti­c­ulière­ment com­pliqué. La preuve, en 2020, Twist Bio­science, une entre­prise améri­caine spé­cial­isée dans la syn­thèse d’ADN, Net­flix et l’École poly­tech­nique de Zurich ont annon­cé avoir encodé l’intégralité de la série alle­mande Bio­hack­ers – qui cen­tre son intrigue sur le milieu de la biolo­gie syn­thé­tique – dans quelques brins d’ADN. Un coup de com de pointe.

FAUX – Les ordinateurs à ADN ne sont que des systèmes de stockage.

Effec­tive­ment, en ter­mes de stock­age, les ordi­na­teurs à ADN sont bien meilleurs que les sys­tèmes élec­tron­iques. L’ADN con­serve, sans apport d’énergie, des infor­ma­tions pen­dant des mil­liers, et même des mil­lions d’années. L’ADN fos­sile nous l’a démon­tré. En ce sens, c’est une solu­tion plus durable, avec une plus grande den­sité d’information et biodégradable.

Mais la tech­nolo­gie ne s’arrêtera pas là. Avec une enzyme qui peut éditer les bases, une séquence d’ADN et une machiner­ie cel­lu­laire qui lit l’ADN et qui pro­duit des molécules biologiques, on dis­pose déjà d’un ordi­na­teur à ADN. Le vrai défi c’est l’architecture de tels sys­tèmes. Sou­venons-nous de John von Neu­mann… Ce math­é­mati­cien améri­cano-hon­grois a per­mis à l’informatique mod­erne d’émerger en inven­tant une archi­tec­ture per­me­t­tant aux processeurs de com­mu­ni­quer aux mémoires vives (RAM) alors qu’il était con­sul­tant chez IBM. C’est de cela dont les ordi­na­teurs à ADN ont besoin aujourd’hui : d’une architecture.

Les molécules d’ADN sont des mémoires. Pour les processeurs, des travaux récents ont mis en évi­dence des « hubs de tran­scrip­tions » dans les cel­lules souch­es, c’est-à-dire des régions con­cen­trant un grand nom­bre de sys­tèmes de lec­ture et de con­trôle des machiner­ies ADN. Ces régions sont liées à l’organisation de l’ADN dans l’espace, à la manière dont des séquences dis­tantes du génome peu­vent se rap­procher quand le brin d’ADN se replie. Ce sont un peu les micro­processeurs des ordi­na­teurs à ADN. Ils peu­vent con­trôler l’accès et la lec­ture de dif­férentes régions du génome. Grâce à cette décou­verte, on peut imag­in­er que d’ici 10 ou 20 ans, les lab­o­ra­toires dis­poseront de véri­ta­bles démon­stra­teurs des ordi­na­teurs biologiques.

VRAI & FAUX – C’est une voie vers une électronique plus durable.

L’ADN est un matéri­au biodégrad­able. Pour autant, les ordi­na­teurs à ADN ne rem­placeront pas les puces en sili­ci­um. Il ne faut pas s’attendre à avoir des télé­phones à ADN. Car pour lire une infor­ma­tion dans l’ADN, avec les tech­niques actuelles de séquençage, il faut extraire le matériel géné­tique et donc détru­ire la puce ou cel­lule qui le con­te­nait. Pour l’encoder, il faut faire appel à la biolo­gie de syn­thèse, qui est longue, encore coû­teuse et qui peine à génér­er de longs frag­ments. Beau­coup de recherch­es sont néces­saires pour amélior­er ces processus.

VRAI – Ces ordinateurs à ADN nous aideront à percer le secret de la vie.

Dans tous les cas, la recherche qu’il faut men­er pour les imag­in­er sera très instruc­tive sur le fonc­tion­nement du vivant. En ce sens, même si cette tech­nolo­gie n’aboutit jamais, elle nous fera pro­gress­er dans la com­préhen­sion de la vie. Au même titre que la machine à vapeur a per­mis de maîtris­er les lois de la ther­mo­dy­namique, les ordi­na­teurs à ADN aideront à com­pren­dre la ther­mo­dy­namique du vivant.

VRAI & INCERTAIN – Cette technologie nous aidera à communiquer avec les autres formes de vie.

Pro­gram­mer une cel­lule, c’est une façon de par­ler à une forme de vie. En pro­duisant des trans­for­ma­tions héri­ta­bles dans ces ordi­na­teurs à ADN, nous com­mu­ni­querons avec le vivant sur plusieurs généra­tions. L’ADN est un lan­gage uni­versel entre les espèces sur la Terre. En ce sens, lire l’ADN d’une espèce dis­parue, n’est-ce pas une forme de com­mu­ni­ca­tion, même uni­di­rec­tion­nelle ? Mais le lan­gage du vivant n’est pas comme une langue humaine. N’espérons pas faire des blagues à des arbres ou dis­cuter avec un mam­mouth laineux comme on par­le à son chien.

INCERTAIN – Avec cette technologie, nous allons dépasser la biologie, créer une supra biologie et une transhumanité.

Elle en a le poten­tiel ; oui. Mais est-ce accept­able ? Ce n’est pas parce qu’on a le pou­voir de faire quelque chose qu’il faut le faire. La final­ité est un enjeu de bioéthique, qu’il ne faut pas laiss­er de côté alors qu’on développe cette technologie.

Cette ques­tion est d’autant plus impor­tante que la plu­part des ordi­na­teurs à ADN ne seront pas vis­i­bles. Ce seront des cel­lules, sem­blables à celles qui com­posent notre corps. Seuls les spé­cial­istes recon­naîtront la présence des ordi­na­teurs à ADN. 

Agnès Vernet

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