L’ordinateur à ADN : super disque dur du futur ?
- Les ordinateurs à ADN exploitent les capacités computationnelles des cellules en remplaçant le code binaire par un code à quatre unités, ATCG.
- Bien que l'ADN soit un matériau biodégradable, les ordinateurs à ADN ne remplaceront pas les puces en silicium, notamment à cause des défis liés à leur lecture et écriture.
- Les ordinateurs à ADN offrent un stockage d'informations plus durable et dense, mais leur potentiel dépasse le simple stockage grâce à des enzymes et des machineries cellulaires.
- La recherche sur les ordinateurs à ADN pourrait éclairer le fonctionnement du vivant, même si cette technologie n'aboutit pas pleinement.
- Cette technologie soulève des enjeux éthiques majeurs, avec son potentiel pour le transhumanisme mais aussi pour la probable invisibilité de son implémentation du point de vue des non spécialistes.
Une informatique vivante, c’est la promesse des ordinateurs à ADN ou « DNA computing ». Cette technologie propose d’exploiter les capacités computationnelles des cellules et de remplacer ainsi des systèmes de silicium par de la biotechnologie. Si l’approche est encore balbutiante, elle suscite déjà un mélange d’émerveillement et de crainte.
VRAI – En remplaçant le code binaire, avec ses 0 et des 1, par un code à quatre unités, ATCG, on peut créer un ordinateur à ADN.
A pour adénine, T pour thymine, C pour cytosine et G pour la guanine. Ce sont les quatre symboles des bases nucléotidiques, les molécules qui constituent l’unité de l’alphabet de l’ADN. Ainsi, comme on code en binaire en jouant sur la différence de charge électrique, on peut encoder une information en A, T, C et G.
Ce n’est pas particulièrement compliqué. La preuve, en 2020, Twist Bioscience, une entreprise américaine spécialisée dans la synthèse d’ADN, Netflix et l’École polytechnique de Zurich ont annoncé avoir encodé l’intégralité de la série allemande Biohackers – qui centre son intrigue sur le milieu de la biologie synthétique – dans quelques brins d’ADN. Un coup de com de pointe.
FAUX – Les ordinateurs à ADN ne sont que des systèmes de stockage.
Effectivement, en termes de stockage, les ordinateurs à ADN sont bien meilleurs que les systèmes électroniques. L’ADN conserve, sans apport d’énergie, des informations pendant des milliers, et même des millions d’années. L’ADN fossile nous l’a démontré. En ce sens, c’est une solution plus durable, avec une plus grande densité d’information et biodégradable.
Mais la technologie ne s’arrêtera pas là. Avec une enzyme qui peut éditer les bases, une séquence d’ADN et une machinerie cellulaire qui lit l’ADN et qui produit des molécules biologiques, on dispose déjà d’un ordinateur à ADN. Le vrai défi c’est l’architecture de tels systèmes. Souvenons-nous de John von Neumann… Ce mathématicien américano-hongrois a permis à l’informatique moderne d’émerger en inventant une architecture permettant aux processeurs de communiquer aux mémoires vives (RAM) alors qu’il était consultant chez IBM. C’est de cela dont les ordinateurs à ADN ont besoin aujourd’hui : d’une architecture.
Les molécules d’ADN sont des mémoires. Pour les processeurs, des travaux récents ont mis en évidence des « hubs de transcriptions » dans les cellules souches, c’est-à-dire des régions concentrant un grand nombre de systèmes de lecture et de contrôle des machineries ADN. Ces régions sont liées à l’organisation de l’ADN dans l’espace, à la manière dont des séquences distantes du génome peuvent se rapprocher quand le brin d’ADN se replie. Ce sont un peu les microprocesseurs des ordinateurs à ADN. Ils peuvent contrôler l’accès et la lecture de différentes régions du génome. Grâce à cette découverte, on peut imaginer que d’ici 10 ou 20 ans, les laboratoires disposeront de véritables démonstrateurs des ordinateurs biologiques.
VRAI & FAUX – C’est une voie vers une électronique plus durable.
L’ADN est un matériau biodégradable. Pour autant, les ordinateurs à ADN ne remplaceront pas les puces en silicium. Il ne faut pas s’attendre à avoir des téléphones à ADN. Car pour lire une information dans l’ADN, avec les techniques actuelles de séquençage, il faut extraire le matériel génétique et donc détruire la puce ou cellule qui le contenait. Pour l’encoder, il faut faire appel à la biologie de synthèse, qui est longue, encore coûteuse et qui peine à générer de longs fragments. Beaucoup de recherches sont nécessaires pour améliorer ces processus.
VRAI – Ces ordinateurs à ADN nous aideront à percer le secret de la vie.
Dans tous les cas, la recherche qu’il faut mener pour les imaginer sera très instructive sur le fonctionnement du vivant. En ce sens, même si cette technologie n’aboutit jamais, elle nous fera progresser dans la compréhension de la vie. Au même titre que la machine à vapeur a permis de maîtriser les lois de la thermodynamique, les ordinateurs à ADN aideront à comprendre la thermodynamique du vivant.
VRAI & INCERTAIN – Cette technologie nous aidera à communiquer avec les autres formes de vie.
Programmer une cellule, c’est une façon de parler à une forme de vie. En produisant des transformations héritables dans ces ordinateurs à ADN, nous communiquerons avec le vivant sur plusieurs générations. L’ADN est un langage universel entre les espèces sur la Terre. En ce sens, lire l’ADN d’une espèce disparue, n’est-ce pas une forme de communication, même unidirectionnelle ? Mais le langage du vivant n’est pas comme une langue humaine. N’espérons pas faire des blagues à des arbres ou discuter avec un mammouth laineux comme on parle à son chien.
INCERTAIN – Avec cette technologie, nous allons dépasser la biologie, créer une supra biologie et une transhumanité.
Elle en a le potentiel ; oui. Mais est-ce acceptable ? Ce n’est pas parce qu’on a le pouvoir de faire quelque chose qu’il faut le faire. La finalité est un enjeu de bioéthique, qu’il ne faut pas laisser de côté alors qu’on développe cette technologie.
Cette question est d’autant plus importante que la plupart des ordinateurs à ADN ne seront pas visibles. Ce seront des cellules, semblables à celles qui composent notre corps. Seuls les spécialistes reconnaîtront la présence des ordinateurs à ADN.