Invisibilité : nous ne sommes plus très loin du but
- Dans leur quête de l’invisibilité, des chercheurs ont développé les métamatériaux.
- Ce sont des objets aux multiples détails microscopiques capables de dévier une onde de sa trajectoire, l’empêchant ainsi de se refléter sur un objet ciblé.
- Le concept d’invisibilité s’applique à n’importe quel type d’onde, rendre un objet invisible vis-à-vis d’une onde permettrait de le protéger de ses différents effets.
- Cela permet à ce concept de nombreuses applications concrètes : rendre un sous-marin invisible au sonar, protéger les ports des vagues de mer, développer une ville anti-séismes et, pourquoi pas, permettre à une personne de devenir invisible.
Théoriquement, si un objet ne réfléchit pas une onde, alors il est invisible vis-à-vis de celle-ci. Et cela avec n’importe quels types d’ondes, qu’elles soient électromagnétiques — comme la lumière visible, par exemple — acoustiques ou encore sismiques. Cependant, dans la pratique, de nombreux défis techniques demeurent, ce qui nous empêche encore d’atteindre l’invisibilité.
Dans leur quête de l’invisibilité, à défaut de la magie du monde d’Harry Potter, des chercheurs ont usé de leurs connaissances en physique pour développer les métamatériaux. Ce sont des structures dont les multiples détails sont façonnés sur mesure par l’utilisateur, à une échelle microscopique. La multitude de ces détails a pour effet d’emprisonner une onde cible passant au travers, pour la faire, soit résonner jusqu’à ce qu’elle épuise toute son énergie, soit dévier pour éviter qu’elle réfléchisse sur l’objet ciblé, le rendant ainsi invisible. Kim Pham, enseignant-chercheur de l’Unité de mécanique de l’ENSTA Paris travaille sur ce sujet, qui ouvre la voie à des applications diverses.
#1 Les ondes acoustiques :
Devenir invisible au sonar
Grâce aux baleines et leur technique de chasse, la nature nous a mis sur une piste intéressante. Pour chasser, ce cétacé géant libère un mur de bulles à l’intérieur duquel, il se met à crier. Ce mur de bulles permet aux ondes acoustiques de résonner en son sein, et de sonner tout être vivant piégé dedans. Alors que si l’on reste à l’extérieur, le cri ne sera pas perceptible. Ce principe est expliqué par la résonance de Minnaert, et l’effet du contraste de masse volumique entre l’air et l’eau. Une bulle microscopique peut faire résonner une longueur d’onde cent fois plus grande qu’elle-même. L’intérêt est également dans la multitude de ces bulles, rendant ce mur assez similaire aux métamatériaux. Ce qui valide donc la possibilité de contrôler les ondes acoustiques par le concept d’invisibilité.
Les Allemands, durant la Seconde Guerre mondiale, avaient déjà développé une technique de défense assez similaire pour leurs sous-marins en tapissant leur surface externe de tuiles anéchoïques. Kim Pham travaille, par exemple, sur ces tuiles afin de mieux en comprendre la logique mathématique et d’en améliorer les effets. Composées de multiples cavités, elles permettent au sous-marin d’être indétectable aux ondes envoyées par les sonars, à condition que ces cavités soient ajustées à la bonne fréquence.
#2 Les ondulations maritimes :
Protéger les ports des vagues
Une autre application utile est la protection des ports des mouvements ondulatoires de la mer, notamment de la houle. L’objectif : calmer la surface maritime du port. Cette technique existe déjà, par l’utilisation de gros blocs de béton, mais ne répond plus aux attentes écologiques actuelles. Pour y remédier, Kim Pham et son équipe proposent une ceinture de résonnance flottante1, qui entourera le port à protéger. Elle est composée, pour le moment, de plaques de plexiglas, l’important étant que celles-ci soient étanches. Ce prototype se limite cependant aux expériences en laboratoire, le choix du matériau n’est donc pas encore déterminant. L’idée restant d’aller à terme vers des structures flottantes, légères et résistantes. À l’intérieur de cette ceinture se trouve une petite cavité qui laissera passer les ondes de cette houle. Une fois les ondes emprisonnées dans la ceinture, elles résonneront en son sein jusqu’à leur épuisement.
L’innovation se trouve donc dans l’aspect de légèreté du mécanisme, mais également dans sa facilité à l’installer et à le déplacer. De tels concepts pourront être utilisés à grande échelle, et, pourquoi pas, protéger d’ondes maritimes plus violentes tels que les tsunamis.
#3 Les ondes sismiques :
Rediriger les tremblements dans le sol
Le concept d’invisibilité est également applicable aux ondes sismiques. Les deux grands types d’ondes sismiques sont les ondes de surface et les ondes de volumes. Le premier type, les ondes de surface, se propage à la surface de la Terre et peut causer de sérieux dégâts. Le second, ondes de volume, se propage dans un espace sous-terrain, son impact à la surface est donc limité, car plus éloigné de celle-ci. L’équipe de Kim Pham a découvert que, si de nombreuses conditions sont respectées, les arbres d’une forêt peuvent agir sur des ondes de surface (dites de Love) en les transformant en ondes de volume, et donc en les envoyant vers le sol pour en réduire les dégâts2. Cela utilise les mêmes principes que ceux des métamatériaux, c’est la multitude des arbres de la forêt qui permet un contrôle et une déviation de l’onde. On parle ainsi de métaforêts, dont la condition primaire pour fonctionner est la diminution progressive de la hauteur de chaque arbre rencontré sur le chemin de l’onde de surface.
Plus cette onde traverse la forêt, plus elle sera redirigée vers le sol, au point de plonger dans les profondeurs terrestres, et donc de devenir une onde de volume. Ce type de découverte nous permet d’imaginer énormément d’applications utiles, notamment l’élaboration des villes du futur, respectant les principes de ces métaforêts3 dans leur construction d’immeubles. Ainsi, une ville anti-séisme pourrait voir le jour, et ressembler au prototype de la cape d’invisibilité de Sébastien Guenneau, chercheur à l’Institut Fresnel (CNRS)4.
#4 Les rayons lumineux :
Rendre un objet invisible
La lumière visible étant composée d’ondes électromagnétiques, ce concept pourrait, théoriquement, rendre invisible à l’œil nu n’importe quel objet. On perçoit un objet visible par les réflexions de lumière qu’il projette. C’est par ailleurs la raison pour laquelle nous ne voyons rien dans le noir. Si l’on parvient à dévier les ondes lumineuses, et donc à les empêcher de se refléter sur l’objet en question, alors il sera invisible. En partant de ce principe, le chercheur John Pendry a réussi à développer un prototype de cape d’invisibilité (cette fois-ci visuelle)5, ce qui lui a valu la médaille Isaac Newton de l’Institute of Physics du Royaume-Uni en 2013.
Cependant le spectre de ces ondes visibles est compris entre 380 et 780 nanomètres (nm). Le défi technique repose donc autant dans l’échelle microscopique de la cavité du métamatériau utilisé à cet effet, qui doit être plus petite que l’onde visée, à savoir quelques centaines de nanomètres, que dans la diversité des couleurs, chacune ayant une longueur d’onde spécifique — allant, par exemple, de 780 à 622 nm pour le rouge et de 455 à 390 nm pour le violet. Or un objet réel est rarement monochrome, pour le rendre invisible, un métamatériau aux cavités diverses, spécifique à la longueur d’onde de chacune des couleurs ciblées, devrait être conçu.
Cela retarde la conception de ce type d’objet, ne signifiant pas pour autant une infaisabilité. Ce phénomène a par ailleurs été modélisé par des logiciels, et certains prototypes ont déjà vu le jour. Rendre invisible un objet est donc loin d’être irréalisable !
Propos recueillis par Pablo Andres
Swell by an Array of Helmholtz Resonators. Crystals 2021, 11, 520. DOI: https://doi.org/10.3390/cryst11050520↑