Les origamis et kirigamis au service de la science
- L’origami, art du pliage, et le kirigami, art du découpage, possèdent des techniques de confection qui peuvent être utiles à certains champs scientifiques.
- On trouve des exemples de ces techniques dans la nature, comme pour la feuille d’arbre ou les ailes d’un insecte.
- Ces techniques permettent notamment d’apporter de la flexibilité à un objet ou d’en modifier la structure.
- De cette façon, les objets perdent en résistance mais s’adaptent plus facilement à différents environnements.
- Il reste encore à savoir comment contrôler la déformation de l’objet flexible pour qu’il soit pleinement efficace.
Avez-vous déjà essayé de faire tenir une feuille A4 debout ? Flexible comme elle est, vous auriez beau faire tous les efforts du monde qu’elle ne cessera de s’affaler sur elle-même. Alors qu’il suffit de plier cette même feuille sur la longueur pour qu’elle gagne une nouvelle propriété : plus rigide, cette fois-ci elle tient sur la table ! La matière de la feuille ne change pourtant pas, seul un aspect différent de sa structure s’est ajouté. Comment expliquer ce changement de propriétés ?
Ces arts japonais pourraient presque faire gagner aux objets flexibles le qualificatif “d’objets intelligents.”
Ce phénomène est observable dans la nature, sous diverses formes — comme certaines feuilles d’arbre, qui ont un pliage spécifique pour leur déploiement hors du bourgeon et qui renforce, par la même occasion, leur structure. L’origami, art du pliage, et le kirigami, art du découpage, fonctionnent de manière assez similaire. Sophie Ramananarivo, chercheuse au Laboratoire d’hydrodynamique (LadHyX1), travaille actuellement sur ces arts, et les apports qu’ils auront dans la science.
Du vivant à la robotique
Les principaux atouts des origamis et des kirigamis ? Permettre des changements de formes complexes et d’apporter une flexibilité contrôlable. Or, la déformation d’un objet flexible peut être exploitée pour remplir une fonction ou améliorer les performances d’un système. « Un de mes précédents travaux consistait à observer pour comprendre l’utilité de la flexibilité des ailes de certains insectes, précise Sophie Ramananarivo. En fait, cette caractéristique était une manière passive d’améliorer la performances de vol de ces ailes2. » Au lieu d’avoir des muscles qui permettraient un battement plus fort, la flexibilité de leurs ailes donnent une amplitude plus grande au battement, tout en facilitant leur déploiement. Une autre étude s’est intéressée aux plis qui composaient les ailes de certains insectes3. « Il serait intéressant d’observer le rôle de ces plis dans les performances de vols, admet la chercheuse. C’est une chose que j’aimerais étudier dans le futur. »
Dans ce phénomène, ce n’est pas la matière de l’aile qui lui donne cette propriété, mais les plis qui la composent. Cette structure est reproductible sur une feuille de papier, à l’aide des origamis. « Les origamis et les kirigamis sont utilisés comme des métamatériaux, explique-t-elle. Les propriétés de l’objet ne proviennent pas de sa matière, mais de la structure que nous lui donnons. »
Rapidement, ces techniques ont intéressé le domaine de la « soft robotique45 ». « Auparavant, dans la robotique, nous avions tendance à privilégier des composants rigides, détaille la chercheuse, pour que chacune des pièces du robot devant bouger les unes par rapport aux autres soit robuste. Alors qu’il y a un véritable intérêt à faire des composants plus flexibles : ce champ de recherche le permet. » À l’image d’un tentacule de poulpe qui, bien plus souple que le bras d’un robot traditionnel, a une plus grande liberté de mouvement. Pour autant, il faut prendre en compte l’inconvénient que représente la faiblesse de son tentacule, qui l’empêche de porter des charges trop lourdes.
Un objet low-cost
Les techniques propres à ces arts japonais sont des sujets de recherche en pleine expansion, « d’autant que c’est une manière “low-cost” de faire des matériaux aux propriétés très impressionnantes », insiste Sophie Ramananarivo. L’objectif est donc de confectionner un objet pouvant remplir une fonction « de manière passive ». Un exemple assez probant concernant ce type de fonctionnement passif est celui d’une valve pouvant s’ouvrir selon l’intensité du débit d’eau qu’elle rencontre.
Cette valve est conçue avec les techniques de pliages propres aux origamis. Ces pliages donnent plus de flexibilité à la valve : si le débit de l’eau atteint une certaine vitesse – elle-même paramétrée selon nos attentes – elle s’ouvrira pour laisser l’écoulement se faire sans avoir besoin de l’actionner à distance. Le processus est donc passif. « Être capable de remplir une fonction passivement, avec un objet flexible, permet de limiter les processus à mettre en place si la fonction en question était active, fait valoir la chercheuse. Plus besoin d’installer un opérateur qui mesure le débit pour finalement actionner la valve au moment opportun. »
Avantage non négligeable, un objet flexible a tendance à s’adapter facilement à son environnement, que celui-ci soit stable ou soumis à des conditions changeantes. « C’est comme la fable du Chêne et du Roseau, le dernier étant suffisamment flexible pour faire face au vent, développe-t-elle. Ce phénomène s’observe également avec les algues des fonds marins, qui peuvent accompagner le courant de la mer sans être déracinées. » Seulement, pour concevoir un tel objet, il faut savoir contrôler la manière dont il se déformera. « Les origamis et les kirigamis permettent justement cela : contrôler de manière assez complexe la déformation, conclut Sophie Ramananarivo. C’est pourquoi cette technique concentre tant d’intérêts de recherche. »
Une myriade d’applications
Ces arts japonais permettent donc la confection d’objets flexibles à moindre coût, plus résistants selon les conditions d’applications, et dont le fonctionnement passif pourrait presque leur faire gagner le qualificatif « d’objets intelligents ». Grâce à tous ces avantages, les origamis et les kirigamis trouvent de nombreuses applications, et cela, dans bien des domaines.
D’ailleurs, ce type de technique se retrouve déjà dans la vie quotidienne, comme dans un carton de livraison par exemple. Composé de trois couches, une d’entre elles est en carton ondulé — en forme de vaguelettes. C’est une technique de l’origami de façon à amortir les chocs lors du transport. De même pour les bobinots crêpés, faits également en carton, qui utilisent la technique du kirigami pour protéger ce qu’ils entourent.
Ces atouts peuvent aussi permettre des innovations technologiques. Ils donnent la possibilité, par exemple, aux panneaux solaires d’un satellite7 de se déployer et de s’orienter seul selon l’heure de la journée, lui donnant à tout moment un positionnement idéal par rapport au soleil. Une fois le contrôle de la déformation de l’objet acquis, des chercheurs ont également pu confectionner une sorte de bouclier visant à protéger un drone : le rotarigami8.