Les premiers modèles de prévision météorologique ont vu le jour au début du XXe siècle1 avec l’idée que si l’on connaissait précisément l’état initial de l’atmosphère – c’est-à-dire les conditions de vent, d’humidité, de température et de pression, à un moment donné –, on pourrait alors, en utilisant les équations de la physique régissant l’évolution temporelle des variables atmosphériques, prédire son état futur. Pour qu’une prévision météorologique soit utile, il faut qu’elle ait un certain niveau de qualité et qu’elle soit disponible le plus rapidement possible : elle est donc toujours une sorte d’une course contre le temps. Par ailleurs, comme la prévision météorologique en un point donné dépend des conditions météorologiques observées ailleurs, les services météorologiques ont très vite mis en place des collaborations pour échanger en temps réel leurs données d’observation et comparer les performances de leurs modèles.
Des observations au sol et en altitude
Les premiers systèmes d’observation consistaient en des réseaux d’instruments mesurant les conditions atmosphériques in situ (à l’endroit exact du capteur) au niveau du sol, mais les météorologues se sont rapidement rendu compte qu’ils avaient également besoin d’observations en altitude. Ils ont donc développé les radiosondes – des ballons porteurs d’instruments de mesure (température, pression, humidité, vent), lancés plusieurs fois par jour et pouvant atteindre jusqu’à 20 km d’altitude. Certains ballons peuvent également être lancés depuis des bateaux.
Les technologies ont considérablement évolué et l’on assiste aujourd’hui à l’émergence de projets d’observation basés sur des drones, qui pourraient présenter un intérêt opérationnel pour aller échantillonner l’atmosphère en altitude, notamment au-dessus de la mer (où les conditions de déploiement sont moins contraintes), suivant des stratégies d’échantillonnage déterminées par les conditions météorologiques.
L’arrivée de la télédétection
À partir des années 1960–1970, la télédétection (mesure à distance de paramètres atmosphériques) a commencé à être introduite dans les réseaux d’observation. Le radar météorologique est un exemple de ces instruments de télédétection. Ces appareils émettent des ondes électromagnétiques qui se propagent et interagissent avec la pluie, la neige et la grêle, et peuvent ainsi être utilisés pour cartographier les précipitations sur des domaines de plusieurs centaines de kilomètres, voire plus lorsque les instruments sont mis en réseau. Aujourd’hui, environ 200 radars météorologiques sont en service en Europe. Le nombre est du même ordre aux États-Unis ou au Japon. Les données des radars météorologiques sont depuis de nombreuses années assimilées dans les modèles de prévision numérique du temps, avec une contribution très nette à la qualité des prévisions de précipitations2.
Un autre exemple d’instrument de télédétection est le lidar, qui est similaire au radar sauf que les ondes émises sont des ondes lumineuses. Ces ondes sont sensibles aux aérosols – c’est-à-dire aux petites particules de poussière en suspension dans l’atmosphère – ou bien aux gouttelettes des nuages. Les lidars permettent ainsi de mesurer à distance les propriétés de ces particules et font aujourd’hui partie des réseaux opérationnels mis en œuvre par les services météorologiques3.
Les observations par satellite
Une autre avancée majeure a bien sûr été l’émergence des observations par satellites, qui permettent d’observer de larges zones avec le même instrument. Les satellites se divisent en deux grandes familles. Les premiers sont les satellites géostationnaires, qui restent de manière permanente au-dessus d’un même point de l’équateur (à une altitude d’environ 36 000 km). Comme ils ne peuvent observer que la moitié du globe, une collaboration internationale reste nécessaire pour couvrir l’ensemble de la planète.
Les deuxièmes sont les satellites défilants, ou à orbite polaire, qui, comme leur nom l’indique, tournent continuellement autour de la Terre (à une altitude comprise entre 300 et 800 km), faisant le tour du globe en 100 minutes environ. Ces satellites assurent une observation à toutes les latitudes, notamment les pôles, avec la même résolution spatiale, contrairement aux satellites géostationnaires. Et comme ils sont environ dix fois plus proches de la Terre, ils offrent une meilleure résolution des nuages et des surfaces.
Une grande variété d’instruments fonctionnant dans différentes longueurs d’onde est embarquée sur ces satellites et permettent de mesurer les propriétés de l’atmosphère : nuages, précipitations, aérosols, vent, température, humidité.
Une nouvelle génération de satellites géostationnaires européens a été lancée.
Le nombre de satellites météorologiques a augmenté de façon spectaculaire ces dernières années et des programmes ambitieux, notamment en Europe, ont vu le jour. En décembre dernier, par exemple, une nouvelle génération de satellites géostationnaires européens a été lancée4, dans le cadre d’un programme de l’agence européenne pour les satellites météorologiques opérationnels.
Les observations opportunes
Enfin, il y a les observations dites opportunes, c’est-à-dire celles qui proviennent d’une infrastructure qui n’a pas été conçue à l’origine pour effectuer des mesures atmosphériques. Un premier exemple : les réseaux de téléphonie mobile. Ces réseaux utilisent des antennes (on en compte plusieurs milliers sur le territoire français) communiquant entre elles dans des longueurs d’onde micro-ondes sensibles aux précipitations. Les opérateurs se sont rapidement aperçus que le niveau de réception entre les antennes était réduit lorsqu’il y avait des cellules pluvieuses entre elles.
« Les opérateurs ont réagi à ce problème en dotant les systèmes d’une capacité d’augmentation des niveaux d’émission en cas d’atténuation constatée, mais pour les météorologues, la mesure de cette atténuation constatée était très intéressante car elle fournissant des informations sur l’intensité des précipitations survenant dans une zone donnée. », explique Pierre Tabary, Directeur adjoint des opérations à Météo France. Ces informations indirectes, correctement traitées, pourront enrichir les cartes de précipitations5. « Personne n’avait imaginé au départ que les réseaux de téléphonie mobile pourraient être utilisés de cette manière. »
Les satellites de positionnement – le système GPS aux États-Unis et Galileo en Europe – sont un autre exemple de mesure opportune. « Ces satellites dédiés au positionnement émettent constamment des signaux. L’idée ingénieuse a donc été de mettre en orbite d’autres satellites, beaucoup plus petits, captant de manière opportuniste ces signaux. Les signaux reçus sont légèrement réfractés sur leur trajet entre le satellite émetteur et le satellite récepteur lors de la traversée de l’atmosphère, de sorte qu’ils sont un peu ‘courbés’. Le niveau de cette courbure, mesurable par le satellite récepteur, fournit indirectement des informations précieuses sur les conditions thermodynamiques, telles que l’humidité, dans la stratosphère et la partie supérieure de la troposphère. »
Les chercheurs ont vérifié la pertinence de ce principe de mesure (appelé la radio-occultation) et il existe aujourd’hui plusieurs dizaines de satellites de réception de ce type en service dont les données sont utilisées par les modèles opérationnels de prévision du temps6. « Là encore, nous sommes en mesure d’effectuer des mesures à moindre coût : nous n’émettons pas nous-mêmes des ondes dans l’atmosphère, mais nous exploitons des ondes déjà émises par d’autres. »
Aujourd’hui environ 90 % des données introduites dans les modèles de prévision météorologique mondiale proviennent des satellites et cette tendance va se poursuivre. « Cela dit, les mesures au sol resteront toujours importantes – notamment pour calibrer les données satellitaires. », conclut Pierre Tabary.