Les dirigeables nous réservent-ils encore de belles surprises ?
- Les dirigeables pourraient faire leur grand retour, car ils présentent des avantages indéniables par rapport à d’autres moyens de transport.
- Mais du fait de leur légèreté, ils sont soumis aux aléas et aux intempéries : il faut donc développer des moyens de prédiction et de commande plus précis.
- Simulation numérique, conception de matériaux plus résistants et outils de prédiction du vent permettent d’améliorer les nouveaux dirigeables.
- Ils ne remplaceront pas les transports aériens à grande échelle, mais peuvent être utiles pour le tourisme ou le déplacement interrégional.
- Plusieurs entreprises, comme Flying Whales ou Thalès, s’intéressent de plus en plus aux nouveaux dirigeables.
Les dirigeables sont souvent perçus comme une technologie d’une autre époque. Arrivé sur le marché vers la fin du XIXe siècle, ce nouveau moyen de transport était une révolution mondiale : à bord de ces énormes ballons, il était en effet possible de traverser l’Atlantique en moins de 60 heures, et d’aller au-delà des 130 km/h.
Cependant, cette technologie n’a pas connu une belle fin. La catastrophe du Hindenburg en 1937 – ce colosse, à peine plus petit que la tour Eiffel, enflammé dans le ciel du New Jersey – est encore aujourd’hui synonyme de traumatisme. Pourtant, les dirigeables présentent des avantages indéniables, et cet accident ne les a jamais remis en cause.
Olivier Doaré, professeur en mécanique des fluides, a dirigé la thèse de Robin Le Mestre visant à modéliser les effets des fluides externes et internes sur le comportement dynamique des dirigeables en vol1. Une recherche allant donc dans le sens d’un potentiel renouveau des dirigeables, car Olivier Doaré le maintient : « Depuis cette catastrophe, il y a eu un siècle de progrès technologiques. »
Une dépendance au vent
Le Hindenburg était gonflé à l’hydrogène, autrement dit, un gaz hautement inflammable. Le choix des Allemands d’utiliser ce gaz ne résulte pas d’un manque de connaissances de leur part : l’hélium — bien moins inflammable — était déjà recommandé à l’époque, mais bien plus rare à trouver. Le manque d’approvisionnement était dû au contexte géopolitique de l’époque : les États-Unis, qui avaient le quasi-monopole du marché de l’hélium, voulaient garder leur avance sur cette technologie.
« De nos jours, la très grande majorité des projets de dirigeables sont gonflés à l’hélium pour des raisons de sécurité, précise Olivier Doaré, même si à force de portance égale, cela nécessite un volume de gaz plus important qu’avec de l’hydrogène. » Mais l’idée d’un dirigeable gonflé à l’hydrogène n’est pas totalement abandonnée pour autant : « Dans le cas d’une propulsion électrique assurée par une pile à combustible, l’hydrogène pourrait être simultanément le gaz porteur et le combustible. », suggère Robin Le Mestre.
Ces deux gaz sont utilisés car ils sont plus légers que l’air : « Le dirigeable se sustente par lui-même grâce à la poussée d’Archimède, explique Robin Le Mestre, il ne nécessite donc presque aucune énergie pour être maintenu en vol. » Cela constitue un avantage considérable, surtout dans le contexte écologique actuel, mais implique des contraintes à prendre en compte. « Du fait de sa légèreté, l’engin sera hautement soumis aux aléas et aux intempéries, admet Robin Le Mestre. Beaucoup d’incidents trouvent leur origine ici ».
Pour marquer le retour des dirigeables, il faudra donc maîtriser ces contraintes météorologiques d’ores et déjà identifiées. « C’est tout l’intérêt de ma thèse, fait valoir le docteur. Pour aller à l’encontre de l’action du vent, il faut avoir des moyens de prédiction et de commande de contrôle bien plus précis. »
Le potentiel de cette thèse a également attiré l’attention du centre français de recherche aérospatiale, l’ONERA. Jean-Sébastien Schotté, chargé de recherche au sein de cet office, a donc aidé au développement de ces outils de prédiction. Selon lui, « une meilleure modélisation des couplages entre la structure déformable du dirigeable et l’écoulement des gaz qui l’entourent permettra d’améliorer les simulations de comportement en vol de l’engin, par exemple face à des rafales de vent, et cela pourra aider à la conception et au dimensionnement des futurs projets de dirigeables ».
Une meilleure prédiction
À ces progrès dans le domaine de la simulation numérique s’ajoutent également d’autres progrès réalisés dans la conception des matériaux : « Les matériaux utilisés aujourd’hui sont plus résistants, plus étanches, tout en étant plus légers. », certifie Jean-Sébastien Schotté. « De plus, des outils de prédiction du vent existent et sont très efficaces. », rappelle Olivier Doaré. La technologie LiDAR, par exemple, ces lasers de prédiction du vent, aujourd’hui utiles à l’optimisation du contrôle du parc éolien, pourraient aussi être utiles aux dirigeables. « Seulement, pour prédire la trajectoire réelle d’un dirigeable, et donc s’assurer de sa sûreté, une multitude de facteurs environnementaux doit être prise en compte, concède le professeur. Si bien qu’il est difficile, avec les moyens actuels, de simuler parfaitement le comportement de l’engin sur un ordinateur. »
En mécanique des fluides, les équations de Navier-Stokes sont fondamentales. Elles permettent de représenter les mouvements les plus complexes des fluides — et donc beau nombre de ces facteurs environnementaux —, mais restent bien trop lourdes à traiter pour être utilisées dans des simulations complètes de comportement en vol de grandes structures souples, comme les dirigeables. « La première étape était donc de simplifier les équations de Navier-Stokes pour n’en retenir que les éléments essentiels, détaille Robin Le Mestre. En postulant des hypothèses sur chaque interaction à étudier, nous avons pu formuler des équations simplifiées, mais, malgré tout, réalistes, afin de pouvoir modéliser le système, et son fonctionnement, au travers d’un ensemble d’opérateurs mathématiques, qui eux peuvent être numérisés. »
Avec cette simplification, les chercheurs ont pu proposer une simulation réaliste accessible par des calculs rapides. À terme, les ingénieurs espèrent pouvoir adapter les commandes de l’engin en situation réelle. « Un avion a une telle puissance, de par son poids et ses moteurs, que si le pilote veut aller à gauche, il prend les commandes et, peu importe le vent et son comportement, il ira à gauche, indique Olivier Doaré. Un dirigeable subira beaucoup l’effet du vent, et ses moteurs pourront ne pas être suffisants. Il y a un plus grand intérêt à combiner nos connaissances des effets du vent avec celles des commandes de l’engin. »
Les travaux de recherche en cours, dont la thèse de Robin Le Mestre fait partie, visent donc à aider les industriels à optimiser leur conception des dirigeables, en leur permettant par exemple de développer des outils de prédictions de commandes en temps réel à partir des données du vent.
Une utilisation spécifique
La taille, aussi impressionnante qu’elle soit, reste un inconvénient au potentiel d’utilisation des dirigeables. Les modèles de type blimp sont des ballons gonflés avec un minimum de structure. Ce type de modèle tire son avantage non pas dans l’aspect sécuritaire, mais dans celui de sa charge utile. Seulement, en comparaison avec l’avion, pour une même quantité de passagers, ou de marchandises, le volume nécessaire devra être bien plus important. « D’un point vu personnel, admet Olivier Doaré, je ne pense pas que le dirigeable de demain remplacera l’avion. Déjà par le poids de l’industrie aéronautique, mais aussi par cet inconvénient de la taille des structures. »
Le dirigeable de demain ne remplacera pas l’avion.
Effectivement, un aéroport demande un espace assez conséquent pour accueillir les avions. Pour une flotte de dirigeables, l’espace nécessaire serait « démentiel ». Le transport de passagers ne pourra se faire qu’à petite échelle, et pourrait être bénéfique à quelques situations : « D’un point vu touristique, le dirigeable peut offrir des services similaires à une balade en montgolfière, précise Robin Le Mestre. Concernant le transport, il y a un intérêt grandissant pour les déplacements interrégionaux, ou vers des zones dénuées d’aéroport, comme beaucoup d’îles. »
Les aérostats : la grande famille des dirigeables
Les dirigeables sont des engins faisant partie de la famille des aérostats. Dans cette grande famille sont compris les montgolfières et les ballons captifs. Ces deux engins utilisent une technologie similaire à celle des dirigeables, et les résultats de cette thèse peuvent également s’y appliquer.
Les ballons captifs, par exemple, sont utilisés pour des missions d’observation. Ils permettent une surveillance de zone à buts militaires, écologiques, topographiques, ou simplement de contrôle de pêche. Ils sont également utiles à des fins de communications. Qui plus est, une fois dégonflés, leur légèreté permet un transport et un déploiement rapide dans des zones sensibles.
Maîtriser le comportement de l’engin face à des intempéries, tout en pouvant prédire ces dernières, leur donnerait l’avantage d’une très grande stabilité dans les airs. Cette caractéristique, conjuguée à la faible quantité d’énergie nécessaire pour les maintenir en vol, les rend très utiles, même face à leurs concurrents, les drones.
Cette technologie n’a donc pas pour objectif de remplacer les transports aériens de passagers à grande échelle, mais ces avantages nombreux lui accordent une utilité dans bien d’autres domaines. « Les dirigeables peuvent tout de même transporter plusieurs dizaines de tonnes, précise-t-il. Ils seront utiles pour des secteurs spécifiques, en particulier ceux pour lesquels la contrainte de temps n’est que peu importante. »
L’entreprise Flying Whales s’est par exemple intéressée à cette thèse. « L’entreprise souhaite développer un prototype de dirigeable d’ici quelques années, pour le transport de charge dans des zones inaccessibles, comme les forêts en zones montagneuses, ajoute Robin Le Mestre. Transporter du bois dans une forêt inaccessible en camion à bord de ce type d’engin sera plus efficace qu’en hélicoptère, pour lequel l’espace de stockage est plus faible, et le trajet plus coûteux. »
L’entreprise Thalès, en partenariat avec l’ONERA, a par ailleurs lancé le projet « Stratobus »2, un dirigeable conçu pour effectuer des vols dans la stratosphère. Ce dirigeable remplira des missions complémentaires à celles des satellites, dans une fonction de surveillance, de communication, mais aussi de défense. Force est de constater que bon nombre de projets fleurissent actuellement un peu partout dans l’industrie : il n’en est donc pas encore fini des dirigeables !