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Comment le quantique change la face du monde

Le quantique, allié indispensable de la médecine moderne

Pierre Henriquet, docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
Le 3 octobre 2023 |
5 min. de lecture
Pierre Henriquet
Pierre Henriquet
docteur en physique nucléaire et chroniqueur chez Polytechnique Insights
En bref
  • C’est grâce à la physique quantique que fonctionne une large partie des traitements et des techniques d’imageries du monde médical moderne.
  • L’utilisation du laser, permis par la mécanique quantique, est autant utile en ophtalmologie qu’en dermatologie.
  • L’IRM ne pourrait pas être utilisé sans la physique quantique et la compréhension fine du comportement des noyaux d’atomes dans un champ électromagnétique.
  • C’est notamment grâce à la supraconductivité, manifestation d’un comportement purement quantique de la matière, que l’IRM a pu être mis au point.
  • Il est également possible de localiser les cellules cancéreuses grâce à la physique des particules lors d’un examen par TEP (Tomographie par Émission de Positons).

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur le quan­tique.
Décou­vrez-le ici.

La physique quan­tique, qui décrit le com­porte­ment d’atomes ou d’autres par­tic­ules plus petites encore, est la struc­ture de base qui per­met de déduire le com­porte­ment physique de la matière, non seule­ment à l’échelle micro­scopique, mais aus­si, en théorie, jusqu’à notre échelle. Après tout, ne sommes-nous pas un gros assem­blage (extrême­ment com­plexe, certes) d’atomes et de molécules qui obéis­sent toutes aux lois du monde de l’infiniment petit ?

Dans la réal­ité, il en va autrement. De la même manière qu’il n’est pas néces­saire de con­naître les sub­til­ités de la mécanique des flu­ides pour se vers­er un verre d’eau, il n’est pas néces­saire de com­pren­dre fine­ment l’interaction des 1028 atom­es de notre corps pour com­mencer à se soign­er. Car la physique quan­tique est très présente dans la médecine mod­erne : voyons com­ment l’infiniment petit nous aide à nous main­tenir en bonne san­té au quotidien.

Un scalpel fait de lumière

Cela peut sem­bler sur­prenant, mais l’un des out­ils les plus pré­cis à dis­po­si­tion de la médecine mod­erne est… la lumière. Ou plus exacte­ment un fais­ceau de lumière par­faite­ment cal­i­bré pour que tous les pho­tons aient la même énergie et que toutes les ondes lumineuses soient par­faite­ment cohérentes entre elles : le laser (de l’anglais Light Ampli­fi­ca­tion by Stim­u­lat­ed Emis­sion of Radi­a­tion).

Ce con­trôle extrême­ment fin de l’émission de lumière vient du fait que, d’après la mécanique quan­tique, les atom­es ont des niveaux d’énergie dis­crets (quan­tifiés) et qu’en faisant sauter les élec­trons d’une orbite pré­cise à une autre, on n’émet plus que des pho­tons par­faite­ment identiques.

Prédit par Albert Ein­stein en 1917 et mis au point en 1960, le laser a tout de suite trou­vé des appli­ca­tions médi­cales en oph­tal­molo­gie (Camp­bell, 1961) ou en der­ma­tolo­gie (Gold­man, 1963). Aujourd’hui, on l’utilise aus­si bien pour traiter les décolle­ments de rétine que pour coag­uler des plaies, détru­ire des petites tumeurs can­céreuses, découper/abraser une cornée de manière extrême­ment pré­cise ou, en chirurgie den­taire, pour traiter des patholo­gies liées aux gen­cives. Mais out­re ses appli­ca­tions en chirurgie, cette tech­nolo­gie per­met aus­si des traite­ments plus légers : efface­ment d’un tatouage, traite­ment anti-rides ou encore épi­la­tion laser.

Voir le corps grâce à la physique nucléaire

L’une des tech­niques d’imageries les plus répan­dues est l’IRM (Imagerie par Réso­nance Mag­né­tique nucléaire). Elle con­siste à observ­er le com­porte­ment de noy­aux des atom­es d’hydrogène plongés dans un champ mag­né­tique intense. Pourquoi l’hydrogène ? Parce qu’il est le com­posant prin­ci­pal de l’eau (H2O) qui occupe env­i­ron 60 % de la masse totale d’un être humain, et que rares sont les autres molécules biologiques qui ne con­ti­en­nent pas du tout d’hydrogène.

Le principe de l’IRM est le suiv­ant : le noy­au d’hydrogène est com­posé d’un unique pro­ton qui, pour cette appli­ca­tion, peut être con­sid­éré comme un minus­cule aimant. En sit­u­a­tion « naturelle », un corps humain ne pos­sède pas d’aimantation par­ti­c­ulière, et chaque noy­au d’hydrogène pointe dans une direc­tion aléatoire.

La pre­mière étape est de plonger le patient dans un champ mag­né­tique extrême­ment intense (env­i­ron 30 000 fois l’aimantation naturelle de la Terre) pour « ranger » tous les pro­tons dans le même sens, tous par­al­lèles les uns aux autres. On mod­i­fie alors cet équili­bre en émet­tant une onde radiofréquence (RF) et on écoute l’onde RF émise en retour par ces pro­tons lorsqu’ils revi­en­nent à leur état initial.

Selon la nature du milieu, ces pro­tons ne retourneront pas à leur état ini­tial à la même vitesse. On peut ain­si recon­stru­ire une image 3D du corps en dif­féren­ciant chaque tis­su. Sans la physique quan­tique et la com­préhen­sion fine du com­porte­ment des noy­aux d’atomes dans un champ élec­tro­mag­né­tique, cette tech­nique d’imagerie de pointe non inva­sive ne pour­rait pas être utilisée.

La matière dans tous ses états

Même les états les plus exo­tiques de la matière, sur lesquels des recherch­es fon­da­men­tales sont encore menées aujourd’hui dans tous les lab­o­ra­toires de recherche du monde, sont essen­tiels en imagerie médicale.

On l’a dit plus haut, l’IRM néces­site, pour fonc­tion­ner, de plonger le patient dans un champ mag­né­tique extrême­ment intense. Plus ce champ est élevé, plus le sig­nal émis lors du retour à l’équilibre de l’aimantation est fort, et meilleure sera la qual­ité de l’image.
Le prob­lème, c’est que ces champs mag­né­tiques sont si intens­es que si l’on util­i­sait un sim­ple élec­tro-aimant clas­sique pour les génér­er, la quan­tité de chaleur provo­quée par l’intense courant élec­trique néces­saire les ferait fon­dre en quelques instants.

Pour pal­li­er ce prob­lème, on utilise des aimants dits « supra­con­duc­teurs », qui ont la pro­priété d’avoir une résis­tance élec­trique rigoureuse­ment nulle. Avec de tels aimants, pas d’échauffement élec­trique. On peut poten­tielle­ment y faire par­courir des courants élec­triques aus­si intens­es qu’on le souhaite et aus­si longtemps qu’on le veut (sans dis­si­pa­tion du courant, même lorsque l’alimentation est coupée).

La supra­con­duc­tiv­ité est l’une des rares man­i­fes­ta­tions à notre échelle d’un com­porte­ment pure­ment quan­tique de la matière.

Cette supra­con­duc­tiv­ité est l’une des rares man­i­fes­ta­tions à notre échelle d’un com­porte­ment pure­ment quan­tique de la matière. Les élec­trons s’y com­por­tent comme un seul et même super­flu­ide et s’écoulent sans aucune résistance. 

crédit : Elekta

On utilise aus­si ces élé­ments supra­con­duc­teurs en mag­né­toencéphalo­gra­phie pour enreg­istr­er, en temps réel et de manière non inva­sive, l’activité élec­trique du cerveau.

L’antimatière à la rescousse

Com­ment savoir où se situent les zones can­céreuses dans le corps humain et com­ment elles évolu­ent avec le temps ? Pour cela, on utilise l’hyperactivité des cel­lules can­céreuses. En effet, une cel­lule can­céreuse se divise en per­ma­nence, de manière anar­chique, et dépense donc beau­coup d’énergie. Son car­bu­rant : le sucre.

C’est pour cette rai­son que lors d’un exa­m­en par TEP (Tomo­gra­phie par Émis­sion de Posi­tons), on fait avaler au sujet du sucre dont on a légère­ment changé la com­po­si­tion. On a attaché à chaque molécule de sucre un atome radioac­t­if (du Flu­or 18 par exem­ple) qui a la pro­priété, lorsqu’il se dés­in­tè­gre, d’émettre une par­tic­ule d’antimatière : un antiélec­tron (aus­si appelé positon).

Le sucre va s’accumuler dans les endroits qui con­som­ment beau­coup d’énergie (les zones tumorales), et émet­tre des antiélec­trons qui, lorsqu’ils seront au con­tact des élec­trons « clas­siques » de la matière envi­ron­nante, vont s’annihiler et pro­duire des pho­tons gam­ma qui tra­versent le corps et sont détec­tés à l’extérieur. En recon­stru­isant la tra­jec­toire de ces rayons gam­ma, on retrou­ve l’endroit où ces réac­tions matière-anti­matière ont eu lieu, et donc la posi­tion des tumeurs cancéreuses.

En retrou­vant l’endroit où des réac­tions matière-anti­matière ont eu lieu, on retrou­ve la posi­tion des tumeurs cancéreuses.

Ingénieux et, une fois de plus, impos­si­ble à réalis­er sans com­pren­dre la physique des par­tic­ules à la base de cette tech­nique d’imagerie médicale.

La physique quan­tique fait par­tie inté­grante de notre vie quo­ti­di­enne, et en tant que telle elle a aus­si investi le domaine de la médecine, sans laque­lle une large par­tie des traite­ments et des tech­niques d’imageries mod­ernes ne pour­raient pas fonc­tion­ner. Loin d’être con­finée aux lab­o­ra­toires de recherche, la physique quan­tique, la physique des par­tic­ules et la physique nucléaire sauvent chaque jour un grand nom­bre de vies.

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