Cet article a été publié en exclusivité dans notre magazine Le 3,14 sur le quantique.
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La physique quantique, qui décrit le comportement d’atomes ou d’autres particules plus petites encore, est la structure de base qui permet de déduire le comportement physique de la matière, non seulement à l’échelle microscopique, mais aussi, en théorie, jusqu’à notre échelle. Après tout, ne sommes-nous pas un gros assemblage (extrêmement complexe, certes) d’atomes et de molécules qui obéissent toutes aux lois du monde de l’infiniment petit ?
Dans la réalité, il en va autrement. De la même manière qu’il n’est pas nécessaire de connaître les subtilités de la mécanique des fluides pour se verser un verre d’eau, il n’est pas nécessaire de comprendre finement l’interaction des 1028 atomes de notre corps pour commencer à se soigner. Car la physique quantique est très présente dans la médecine moderne : voyons comment l’infiniment petit nous aide à nous maintenir en bonne santé au quotidien.
Un scalpel fait de lumière
Cela peut sembler surprenant, mais l’un des outils les plus précis à disposition de la médecine moderne est… la lumière. Ou plus exactement un faisceau de lumière parfaitement calibré pour que tous les photons aient la même énergie et que toutes les ondes lumineuses soient parfaitement cohérentes entre elles : le laser (de l’anglais Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation).
Ce contrôle extrêmement fin de l’émission de lumière vient du fait que, d’après la mécanique quantique, les atomes ont des niveaux d’énergie discrets (quantifiés) et qu’en faisant sauter les électrons d’une orbite précise à une autre, on n’émet plus que des photons parfaitement identiques.
Prédit par Albert Einstein en 1917 et mis au point en 1960, le laser a tout de suite trouvé des applications médicales en ophtalmologie (Campbell, 1961) ou en dermatologie (Goldman, 1963). Aujourd’hui, on l’utilise aussi bien pour traiter les décollements de rétine que pour coaguler des plaies, détruire des petites tumeurs cancéreuses, découper/abraser une cornée de manière extrêmement précise ou, en chirurgie dentaire, pour traiter des pathologies liées aux gencives. Mais outre ses applications en chirurgie, cette technologie permet aussi des traitements plus légers : effacement d’un tatouage, traitement anti-rides ou encore épilation laser.
Voir le corps grâce à la physique nucléaire
L’une des techniques d’imageries les plus répandues est l’IRM (Imagerie par Résonance Magnétique nucléaire). Elle consiste à observer le comportement de noyaux des atomes d’hydrogène plongés dans un champ magnétique intense. Pourquoi l’hydrogène ? Parce qu’il est le composant principal de l’eau (H2O) qui occupe environ 60 % de la masse totale d’un être humain, et que rares sont les autres molécules biologiques qui ne contiennent pas du tout d’hydrogène.
Le principe de l’IRM est le suivant : le noyau d’hydrogène est composé d’un unique proton qui, pour cette application, peut être considéré comme un minuscule aimant. En situation « naturelle », un corps humain ne possède pas d’aimantation particulière, et chaque noyau d’hydrogène pointe dans une direction aléatoire.
La première étape est de plonger le patient dans un champ magnétique extrêmement intense (environ 30 000 fois l’aimantation naturelle de la Terre) pour « ranger » tous les protons dans le même sens, tous parallèles les uns aux autres. On modifie alors cet équilibre en émettant une onde radiofréquence (RF) et on écoute l’onde RF émise en retour par ces protons lorsqu’ils reviennent à leur état initial.
Selon la nature du milieu, ces protons ne retourneront pas à leur état initial à la même vitesse. On peut ainsi reconstruire une image 3D du corps en différenciant chaque tissu. Sans la physique quantique et la compréhension fine du comportement des noyaux d’atomes dans un champ électromagnétique, cette technique d’imagerie de pointe non invasive ne pourrait pas être utilisée.
La matière dans tous ses états
Même les états les plus exotiques de la matière, sur lesquels des recherches fondamentales sont encore menées aujourd’hui dans tous les laboratoires de recherche du monde, sont essentiels en imagerie médicale.
On l’a dit plus haut, l’IRM nécessite, pour fonctionner, de plonger le patient dans un champ magnétique extrêmement intense. Plus ce champ est élevé, plus le signal émis lors du retour à l’équilibre de l’aimantation est fort, et meilleure sera la qualité de l’image.
Le problème, c’est que ces champs magnétiques sont si intenses que si l’on utilisait un simple électro-aimant classique pour les générer, la quantité de chaleur provoquée par l’intense courant électrique nécessaire les ferait fondre en quelques instants.
Pour pallier ce problème, on utilise des aimants dits « supraconducteurs », qui ont la propriété d’avoir une résistance électrique rigoureusement nulle. Avec de tels aimants, pas d’échauffement électrique. On peut potentiellement y faire parcourir des courants électriques aussi intenses qu’on le souhaite et aussi longtemps qu’on le veut (sans dissipation du courant, même lorsque l’alimentation est coupée).
La supraconductivité est l’une des rares manifestations à notre échelle d’un comportement purement quantique de la matière.
Cette supraconductivité est l’une des rares manifestations à notre échelle d’un comportement purement quantique de la matière. Les électrons s’y comportent comme un seul et même superfluide et s’écoulent sans aucune résistance.
On utilise aussi ces éléments supraconducteurs en magnétoencéphalographie pour enregistrer, en temps réel et de manière non invasive, l’activité électrique du cerveau.
L’antimatière à la rescousse
Comment savoir où se situent les zones cancéreuses dans le corps humain et comment elles évoluent avec le temps ? Pour cela, on utilise l’hyperactivité des cellules cancéreuses. En effet, une cellule cancéreuse se divise en permanence, de manière anarchique, et dépense donc beaucoup d’énergie. Son carburant : le sucre.
C’est pour cette raison que lors d’un examen par TEP (Tomographie par Émission de Positons), on fait avaler au sujet du sucre dont on a légèrement changé la composition. On a attaché à chaque molécule de sucre un atome radioactif (du Fluor 18 par exemple) qui a la propriété, lorsqu’il se désintègre, d’émettre une particule d’antimatière : un antiélectron (aussi appelé positon).
Le sucre va s’accumuler dans les endroits qui consomment beaucoup d’énergie (les zones tumorales), et émettre des antiélectrons qui, lorsqu’ils seront au contact des électrons « classiques » de la matière environnante, vont s’annihiler et produire des photons gamma qui traversent le corps et sont détectés à l’extérieur. En reconstruisant la trajectoire de ces rayons gamma, on retrouve l’endroit où ces réactions matière-antimatière ont eu lieu, et donc la position des tumeurs cancéreuses.
En retrouvant l’endroit où des réactions matière-antimatière ont eu lieu, on retrouve la position des tumeurs cancéreuses.
Ingénieux et, une fois de plus, impossible à réaliser sans comprendre la physique des particules à la base de cette technique d’imagerie médicale.
La physique quantique fait partie intégrante de notre vie quotidienne, et en tant que telle elle a aussi investi le domaine de la médecine, sans laquelle une large partie des traitements et des techniques d’imageries modernes ne pourraient pas fonctionner. Loin d’être confinée aux laboratoires de recherche, la physique quantique, la physique des particules et la physique nucléaire sauvent chaque jour un grand nombre de vies.