Cet article a été publié en exclusivité dans notre magazine Le 3,14 sur le quantique.
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La physique quantique est l’ensemble des lois physiques qui régissent le comportement du monde au niveau des électrons, des atomes, des molécules et des cristaux. Les lois de la mécanique newtonienne que nous connaissons à notre échelle ne sont plus valables à l’échelle du nanomètre (un milliardième de mètre), qui correspond à la taille d’un atome. La physique quantique a commencé à se développer dans le premier quart du 20e siècle avec Planck et Einstein, et à partir de 1925 les grands physiciens Heisenberg, Schrödinger et Dirac ont mis au point un formalisme mathématique qui est utilisé depuis lors.
La physique quantique est indispensable, par exemple, pour expliquer pourquoi la matière est stable. Depuis la fin du 19e siècle, on sait que la matière est constituée de charges positives et négatives et que ces charges positives et négatives s’attirent. La matière devrait donc s’effondrer sur elle-même. Il n’en est rien grâce au comportement quantique de l’électron, qui n’est pas seulement une particule, mais aussi une onde. Lorsque vous essayez de confiner un électron, vous êtes obligé de considérer une longueur d’onde de plus en plus petite et donc une énergie de plus en plus grande. Cette énergie n’étant pas disponible, l’électron ne peut être confiné dans une dimension inférieure à la taille de l’atome. La physique quantique permet également de comprendre la liaison chimique entre atomes.
Son formalisme permet aussi de décrire le courant électrique dans les matériaux au niveau microscopique, ce qui a permis aux physiciens d’inventer et fabriquer des transistors et des circuits intégrés, à la base des ordinateurs. Il permet également de comprendre comment les photons (particules de lumière) sont absorbés ou émis par la matière, ce qui a été essentiel pour inventer le laser.
Quid les ordinateurs quantiques ?
Le concept d’ordinateur quantique est apparu au cours des deux dernières décennies environ et a été déclenché par plusieurs percées expérimentales réalisées à partir des années 1970 : la première est que nous avons appris à observer et à contrôler des objets microscopiques individuels. Auparavant, nous ne pouvions manipuler que de grands ensembles de particules. Aujourd’hui, nous pouvons piéger un électron, un atome et l’observer et le contrôler. Nous pouvons aussi émettre un photon unique et l’utiliser.
La deuxième série d’avancées est liée à l’intrication quantique, décrite pour la première fois dans l’article d’Einstein, Podolsky et Rosen de 1935 et qui n’est concevable que dans le cadre de la physique quantique.
L’intrication se produit lorsque deux particules ayant interagi dans le passé puis séparées dans l’espace, forment un tout quantique inséparable qui contient plus d’informations que celle contenue dans la somme des informations de chaque particule. C’est cette propriété qui ouvre la porte à l’informatique quantique : en effet, si au lieu d’avoir seulement deux bits quantiques intriqués dans lesquels encoder l’information quantique, vous en avez trois, quatre, cinq, 10 ou 100, la quantité supplémentaire d’information, par rapport à une mémoire classique, contenue dans ces particules est gigantesque, car elle croît de manière exponentielle.
La décohérence est un obstacle majeur
Aujourd’hui cependant, nous sommes encore loin d’un ordinateur quantique parfait, car les bits quantiques (qubits) dont nous disposons ne sont pas stables et subissent ce que l’on appelle la « décohérence » lorsqu’ils interagissent avec leur environnement. Cela signifie qu’au bout d’un certain temps ils se comportent comme des objets classiques et perdent l’information quantique qu’ils contiennent. La décohérence est un obstacle à la réalisation d’un ordinateur quantique et va demander un gros effort technologique. Mais rien n’interdit que l’on puisse surmonter la difficulté plus vite que prévu. Par exemple, nous pourrions trouver un sous-espace des états quantiques protégé de la décohérence. Si tel était le cas, nous pourrions voir un ordinateur quantique de mon vivant.
Je suis convaincu que tôt ou tard, un ordinateur quantique idéal fonctionnant parfaitement existera, car d’après mon expérience, lorsque quelque chose qui semble faisable n’est pas interdit par les lois fondamentales de la physique, les ingénieurs parviennent à trouver un moyen de le réaliser. Cependant, il faut être réaliste, je serais étonné que cela arrive dans un avenir proche.
Un futur réseau quantique et la téléportation
Un internet quantique, ou si l’on veut être plus précis, un réseau quantique, utiliserait deux ou plusieurs ordinateurs quantiques communiquant entre eux en envoyant des informations quantiques directement à partir de l’état quantique, sans passer par un état classique intermédiaire. Cela permettra de transmettre une très grande quantité d’informations. On peut le mettre en œuvre par un processus connu sous le nom de téléportation quantique, qui a déjà été démontré pour des particules individuelles et de petits ensembles de particules, mais sur des distances n’excédant pas quelques dizaines de kilomètres.
Si le problème de la décohérence n’est pas résolu à court terme, une catégorie d’ordinateurs quantiques « dégradés » apparaîtra probablement en premier. Ces machines de taille intermédiaire seront beaucoup plus efficaces qu’un ordinateur classique pour certaines tâches, comme les problèmes d’optimisation (le fameux problème du voyageur de commerce, par exemple, ou l’optimisation des réseaux électriques).
La deuxième révolution quantique
On parle souvent aujourd’hui de « quantum 2.0 », mais je préfère parler de « la deuxième révolution quantique », car c’est une révolution radicale. La première révolution quantique était d’abord conceptuelle et scientifique, la mise en œuvre d’un nouveau formalisme mathématique pour décrire la dualité onde-particule. Elle a conduit à une bien meilleure compréhension du monde physique, et à des applications qui ont bouleversé la société. La seconde révolution est basée sur deux concepts nouveaux : notre capacité à isoler et à contrôler des objets quantiques individuels ; et la possibilité d’intriquer ces objets et d’exploiter cette intrication dans des applications réelles.
Ces technologies quantiques nouvelles bouleverseront-elles notre société comme l’ont fait le transistor et le laser ? Il est trop tôt pour le dire, mais je pense qu’il est important que les entreprises investissent dans ces technologies, car si elles apportent réellement les avancées révolutionnaires que nous attendons, ceux qui n’auront pas investi seront hors-jeu. Il sera important de disposer en interne d’experts en physique quantique capables d’exploiter rapidement ces avancées. Aujourd’hui, nous manquons de personnes ayant des compétences en physique quantique, et je pense que les entrepreneurs doivent s’associer aux universités pour mieux faire face à ce problème.
À Paris-Saclay, par exemple, nous avons un programme appelé ARTeQ, auquel l’École Polytechnique s’est associée. Un certain nombre d’industriels le soutiennent financièrement. ARTeQ permet à des étudiants en sciences, mais pas forcément en sciences quantiques, d’acquérir une bonne base en culture quantique afin de pouvoir appliquer les connaissances acquises dans leur futur métier.
Nous avons besoin de chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens quantiques. Mon message est donc : investissez dans la recherche, la technologie et la formation.