Cet article a été publié en exclusivité dans notre magazine Le 3,14 sur la science et le sport.
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Les Jeux Olympiques de 2024 arrivent à grands pas et il n’y a pas que la ville de Paris qui se prépare… la science s’y met aussi ! Chez Inria Rennes, nous menons des recherches avec l’équipe olympique de boxe et son entraîneur : dans le cadre du projet REVEA1, nous cherchons à déterminer comment la réalité virtuelle peut aider l’équipe à travailler sur certaines « sous-compétences » à améliorer comme la vitesse, la coordination motrice et la musculation, pour n’en citer que quelques-unes. Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, notre système de réalité virtuelle ne vise pas à reproduire un match ou une compétition réelle, mais plutôt à identifier une sous-compétence spécifique et à l’améliorer dans une situation de combat ciblée. Dans le cas de la boxe, la sous-compétence que nous cherchons à entrainer est la capacité à anticiper les attaques de l’adversaire.
Sans réalité virtuelle, deux boxeurs doivent combattre face à face, l’un d’entre eux étant invité à reproduire des attaques-type, afin d’analyser le comportement de l’opposant. Il est cependant très difficile de contrôler et de reproduire fidèlement les situations d’un essai à l’autre. Cette approche limite aussi inévitablement le temps d’entraînement car un tel exercice est physiquement exigeant – de vrais coups de poing sont échangés et encaissés. Dans la réalité virtuelle, ce type d’entraînement peut être réalisé avec notre avatar et un adversaire virtuel sans risque de se blesser. Il offre aussi une gamme de stimuli qui va au-delà de la réalité : nous pouvons jouer sur les perceptions visuelles et auditives ou encore affronter un adversaire aux capacités extraordinaires afin de repousser les limites de l’entrainement traditionnel.
Une carte du comportement des sportifs
À cette fin, notre équipe a développé un simulateur en réalité virtuelle, qui utilise les mesures tridimensionnelles des mouvements de boxeurs professionnels obtenues à l’aide de dispositifs de capture de mouvements (via la plateforme Immermove installée au laboratoire M2S). Ces données, qui comprennent, par exemple, de légers mouvements anticipatoires de la frappe, comme un mouvement de hanche, sont ensuite transposées sur des humains virtuels dont les morphologies peuvent être différentes. Le boxeur peut alors visualiser son adversaire représenté par son avatar et affiché dans un casque de réalité virtuelle. En tant que chercheurs, nous observons alors les réactions du boxeur à différents types de frappes, et s’il est sensible à ces légers mouvements anticipatoires perçus sur l’adversaire. Ces observations peuvent être quantifiées, par exemple, par des taux de réussite ou des temps de réaction, afin de créer une sorte de cartographie de la performance anticipatoire du boxeur.
Le programme d’entrainement comprend la préparation physique, la préparation mentale, la préparation technique… et des séances en réalité virtuelle !
En plus de son application à la boxe, nous avons utilisé notre approche pour accompagner l’entrainement des gardiens de but du Stade Rennais Football Club. Notre système de réalité virtuelle les a entraînés à ne pas se focaliser sur le joueur qui a le ballon, mais à mieux gérer l’information disponible en vision périphérique. En effet, si l’attaquant fait une passe à la dernière seconde à quelqu’un de l’autre côté du but, les gardiens ne découvriront la situation que trop tard et n’auront peut-être pas le temps de réagir.
Une recherche appliquée
Notre recherche est très appliquée : notre objectif est de servir les équipes olympiques afin qu’elles soient prêtes pour « Paris 2024 ». En effet, réfléchir à la manière d’inclure ces technologies dans le quotidien des athlètes est une des exigences du monde sportif. Nous nous sommes ainsi posé les questions suivantes : quelle longueur d’entraînement doit-on effectuer avec ce type de technologie ? À quel moment de la journée et à quel moment dans le programme d’entrainement ? Quelle devrait être la durée d’une séance-type ? Avec qui devrions-nous nous entraîner – les espoirs olympiques ou tous les athlètes – et à quelle fréquence ? Notre démarche s’inscrit dans un programme d’entrainement plus vaste, décidé par l’entraîneur, qui comprend de la préparation physique, de la préparation mentale, de la préparation technique… en plus de ces séances en réalité virtuelle.
Nous avons mis notre système à la disposition du centre d’entraînement de l’équipe olympique et des scientifiques de l’INSEP travaillant avec la Fédération Française de Boxe. De ce fait, nous continuons de le développer et de le rendre plus efficace grâce aux retours que nous font athlètes et entraîneurs. Par exemple, dans notre première version, l’adversaire faisait trop de mouvements répétitifs, ce qui nuisait au réalisme de la situation. Il y a aussi la question de l’amélioration de l’équipement utilisé pour l’entrainement en réalité virtuelle. Les casques immersifs doivent-ils être grand angle ou non ? Des capteurs sur les mains sont-ils suffisants ou faut-il prévoir des capteurs sur l’ensemble du corps ?
Traduire les données
Nous disposons d’une plateforme logicielle qui se fonde sur un outil commercial appelé Unity, traditionnellement employé pour l’élaboration des jeux vidéo. Elle charge un environnement tridimensionnel – dans notre cas, un ring de boxe – ainsi que des humains virtuels et leurs mouvements. Nous écrivons un scénario dans lequel les mouvements des humains virtuels sont stockés dans des « librairies de mouvements » que nous rejouons. Il y a ensuite des algorithmes qui sont liés au contrôle de mouvement des avatars. Tous ces éléments nous fournissent l’ensemble des métriques nous permettant de mesurer les temps de réaction et les capacités d’anticipation des boxeurs.
Nous avons également commencé à travailler sur l’intelligence artificielle, les réseaux neuronaux et l’apprentissage profond par renforcement pour améliorer le comportement des opposants virtuels. Cette partie de la technologie n’est pas encore mûre, mais les premiers résultats montrent qu’il est possible de reproduire des comportements d’interactions complexes entre deux boxeurs, avec très peu d’observations de combats réels. En poussant cette approche à ses limites, nous pourrions envisager de simuler la gestuelle et la stratégie d’un boxeur en particulier à partir de quelques séquences vidéo de ses combats précédents.
Propos recueillis par Isabelle Dumé
Pour aller plus loin :
- http://kinovis.inria.fr/
- https://www.inria.fr/fr/decouvrez-la-plate-forme-d-experimentation-immerstar
- http://m2slab.com/
- https://team.inria.fr/mimetic/
- https://hal.inria.fr/hal-03656204v1
- https://hal.inria.fr/hal-03440562v1
- https://hal.inria.fr/inria-00536605v1
- https://sciences2024.polytechnique.fr/forces