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AI concept using deep learning and cloud computing incorporating big data technology Modern machine learning with neural network and coding 3D rendered illustration
π Science et technologies

Informatique quantique et IA : moins compatibles que prévu ?

Flippo Vincentini
Filippo Vicentini
professeur assistant en intelligence artificielle et physique quantique à l'École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Il existe une croyance selon laquelle l’informatique quantique pourrait révolutionner l’intelligence artificielle et en particulier le « deep learning ».
  • Cependant, l’informatique quantique ne fera pas forcément progresser l’IA car elle rencontre des difficultés à traiter les informations des réseaux neuronaux et les données volumineuses.
  • Les ordinateurs quantiques sont notamment très lents et seuls des calculs très courts sont effectués sans pannes.
  • L’apprentissage automatique par l’IA est toutefois un outil essentiel pour apprendre à concevoir et à faire fonctionner les ordinateurs quantiques de nos jours.

Avec un cer­tain nom­bre d’en­tre­pris­es tech­nologiques promet­tant d’être en mesure de résoudre quelques petits prob­lèmes du monde réel au cours des prochaines années, il sem­blerait que le monde soit à la veille d’une réelle avancée de l’in­for­ma­tique quan­tique. L’ac­cès à ce type d’in­for­ma­tique quan­tique a donc sus­cité beau­coup d’e­spoir, car il pour­rait égale­ment trans­former l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle. Mais un con­sen­sus de plus en plus large sug­gère que cela ne soit pas encore à portée de main. 

Que peut-on dire des origines de la croyance selon laquelle l’informatique quantique pourrait révolutionner l’intelligence artificielle ?

Fil­ip­po Vicen­ti­ni. L’IA est un terme très vaste. Je me con­cen­tr­erai donc sur le « deep learn­ing » « (l’apprentissage pro­fond), qui est à l’o­rig­ine des nou­velles tech­nolo­gies telles que les mod­èles générat­ifs de texte, d’au­dio et de vidéo que nous voyons explos­er aujour­d’hui. L’idée que l’in­for­ma­tique quan­tique pour­rait stim­uler le développe­ment de l’IA s’est imposée vers 2018–19. Les pre­mières entre­pris­es pro­po­saient des ordi­na­teurs quan­tiques bruyants dotés de 1, 2, 3 ou 4 qubits. En rai­son de leurs lim­ites, ces machines ne pou­vaient être util­isées que pour effectuer des cal­culs plus impor­tants dans le monde réel, alors que c’est là que l’in­for­ma­tique quan­tique devrait vrai­ment briller. Au lieu de cela, elles ont été chargées d’exé­cuter de nom­breux sous-pro­grammes « quan­tiques » courts (com­muné­ment appelés cir­cuits quan­tiques), ali­men­tant en retour un algo­rithme d’op­ti­mi­sa­tion clas­sique. Cette approche est éton­nam­ment sim­i­laire à la manière dont les réseaux neu­ronaux sont for­més dans le cadre du deep learning.

À l’époque, on espérait qu’un « cir­cuit quan­tique » de taille raisonnable serait plus expres­sif – c’est-à-dire qu’il pour­rait présen­ter des solu­tions plus com­plex­es à un prob­lème avec moins de ressources qu’un réseau neu­ronal, grâce à des phénomènes quan­tiques tels que l’in­ter­férence et la super­po­si­tion. En résumé, cela sig­ni­fie que les cir­cuits quan­tiques pour­raient per­me­t­tre aux algo­rithmes d’ap­pren­dre à trou­ver des cor­réla­tions dans les don­nées de manière plus effi­cace. C’est ain­si qu’est né le domaine de l’ap­pren­tis­sage automa­tique quan­tique, et plusieurs chercheurs ont com­mencé à essay­er d’ap­porter des idées d’un côté comme de l’autre. L’excitation était grande à l’époque.

Plusieurs entreprises ont annoncé l’arrivée d’ordinateurs quantiques plus puissants dans les prochaines années. Cela signifie-t-il que nous devrions nous attendre à un bond en avant dans le domaine de l’IA ?

Pour faire court, je ne pense pas que l’in­for­ma­tique quan­tique fera pro­gress­er l’IA. Il devient de plus en plus évi­dent que les ordi­na­teurs quan­tiques seront très utiles pour les appli­ca­tions qui néces­si­tent des entrées et des sor­ties lim­itées, mais une puis­sance de traite­ment énorme. Par exem­ple, pour résoudre des prob­lèmes physiques com­plex­es liés à la supra­con­duc­tiv­ité ou pour simuler des molécules chim­iques. Toute­fois, pour tout ce qui con­cerne les don­nées volu­mineuses et les réseaux neu­ronaux, on s’ac­corde de plus en plus à penser que le jeu n’en vaut peut-être pas la chandelle.

Cette posi­tion a récem­ment été exposée dans un doc­u­ment rédigé1 par Torsten Hoe­fler, du Cen­tre Nation­al Suisse de Cal­cul, Thomas Hän­er, d’A­ma­zon, et Matthias Troy­er, de Microsoft. Je viens de ter­min­er l’ex­a­m­en des soumis­sions pour la con­férence QTML24 (Quan­tum Tech­niques in Machine Learn­ing) et le ton de la com­mu­nauté de l’ap­pren­tis­sage automa­tique quan­tique était à la baisse.

Comment cela se fait-il ?

De plus en plus d’ex­perts recon­nais­sent que les ordi­na­teurs quan­tiques res­teront prob­a­ble­ment très lents lorsqu’il s’a­gi­ra d’en­tr­er et de sor­tir des don­nées. Pour vous don­ner une idée, nous pen­sons qu’un ordi­na­teur quan­tique qui pour­rait exis­ter dans cinq ans – si nous sommes opti­mistes – aura la même vitesse de lec­ture et d’écri­t­ure qu’un ordi­na­teur moyen de 1999–2000.

Les ordi­na­teurs clas­siques et quan­tiques sont tous deux bruyants. Par exem­ple, un bit ou un qubit peut, à un moment don­né, pass­er aléa­toire­ment à 1. Alors que nous pou­vons traiter effi­cace­ment ce prob­lème dans les ordi­na­teurs clas­siques, nous ne dis­posons pas de cette tech­nolo­gie dans les ordi­na­teurs quan­tiques. Nous esti­mons qu’il fau­dra encore au moins 15 ans pour met­tre au point des ordi­na­teurs quan­tiques totale­ment tolérants aux pannes. Cela sig­ni­fie que nous ne pou­vons effectuer que des cal­culs très « courts ». 

Par ailleurs, les résul­tats d’un ordi­na­teur quan­tique sont prob­a­bilistes, ce qui pose des prob­lèmes sup­plé­men­taires. Les ordi­na­teurs clas­siques don­nent un résul­tat déter­min­iste : faites deux fois la même sim­u­la­tion et vous obtien­drez la même réponse. Mais chaque fois que vous exé­cutez un algo­rithme quan­tique, le résul­tat sera dif­férent. Le résul­tat doit être extrait de la dis­tri­b­u­tion des sor­ties (com­bi­en de fois vous voyez des 0 et des 1). Pour recon­stru­ire la dis­tri­b­u­tion avec pré­ci­sion, il faut répéter le cal­cul un très grand nom­bre de fois, ce qui aug­mente alors les frais. C’est une autre rai­son pour laque­lle cer­tains algo­rithmes sem­blaient très puis­sants il y a quelques années, mais il a finale­ment été démon­tré qu’ils ne présen­taient pas d’a­van­tage sys­té­ma­tique par rap­port aux algo­rithmes clas­siques que nous pou­vons déjà exé­cuter sur des ordi­na­teurs normaux.

Cela signifie-t-il que l’IA et l’informatique quantique seront des cousins éloignés, avec peu de chevauchements ?

Pas du tout. En fait, mes col­lègues et moi-même avons récem­ment lancé une péti­tion2 pour deman­der un finance­ment au niveau de l’U­nion européenne pour l’ap­pren­tis­sage automa­tique et les sci­ences quan­tiques. L’ap­pren­tis­sage automa­tique devient rapi­de­ment un out­il essen­tiel pour appren­dre à con­cevoir et à faire fonc­tion­ner les ordi­na­teurs quan­tiques de nos jours. Par exem­ple, chaque appareil est légère­ment dif­férent. Les tech­niques d’ap­pren­tis­sage par ren­force­ment peu­vent analyser votre machine et ses car­ac­téris­tiques par­ti­c­ulières afin d’adapter les algo­rithmes à cet appareil. Une entre­prise appelée Q‑CTRL3 a effec­tué un tra­vail de pio­nnier dans ce domaine. L’IA quan­tique de Google4 et Braket d’A­ma­zon5 sont deux d’autres lead­ers qui exploitent égale­ment ces idées.

L’IA pour­rait égale­ment être très com­plé­men­taire de l’in­for­ma­tique quan­tique. Prenons l’ex­em­ple d’Azure Quan­tum Ele­ments de Microsoft, qui a util­isé une com­bi­nai­son de Microsoft Azure HPC (High Per­for­mance Com­put­ing) et des fil­tres de pré­dic­tion des pro­priétés de l’IA pour réduire une sélec­tion de 32 mil­lions de can­di­dats à un matéri­au de bat­terie recharge­able plus effi­cace, à seule­ment 18 can­di­dats. Ceux-ci ont été soumis à des algo­rithmes puis­sants, bien étab­lis et à forte inten­sité de traite­ment mais qui sont assez lim­ités parce qu’ils con­som­ment beau­coup d’én­ergie et ne peu­vent donc pas fonc­tion­ner avec des molécules très com­pliquées. C’est exacte­ment là que l’in­for­ma­tique quan­tique pour­rait inter­venir, dans un avenir proche. 

Je pense que l’IA et l’in­for­ma­tique quan­tique seront des com­posants dif­férents dans une pile d’outils – com­plé­men­taires mais non com­pat­i­bles. Nous voulons con­tin­uer à pouss­er ces direc­tions et bien d’autres encore en créant une équipe com­mune appelée « PhiQus » entre l’É­cole Poly­tech­nique (IP Paris) et Inria avec Marc-Olivi­er Renou et Titouan Carette.


Propos recueillis par Marianne Guenot
1https://​cacm​.acm​.org/​r​e​s​e​a​r​c​h​/​d​i​s​e​n​t​a​n​g​l​i​n​g​-​h​y​p​e​-​f​r​o​m​-​p​r​a​c​t​i​c​a​l​i​t​y​-​o​n​-​r​e​a​l​i​s​t​i​c​a​l​l​y​-​a​c​h​i​e​v​i​n​g​-​q​u​a​n​t​u​m​-​a​d​v​a​n​tage/
2https://www.openpetition.eu/petition/online/support-the-machine-learning-in-quantum-science-manifesto‑2
3https://q‑ctrl.com
4https://​quan​tu​mai​.google
5https://​aws​.ama​zon​.com/​f​r​/​b​r​aket/

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