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Impression 3D : des avantages écologiques inattendus

KNUDSEN Mette
Mette Præst Knudsen
professeure de Gestion de l'Innovation au sein de la chaire "Technology for Change" (IP Paris) et directrice de recherche du Centre de gestion intégrative de l'innovation à l'Université du Danemark du Sud
VAARST ANDERSEN Kristina
Kristina Vaarst Andersen
professeure associée en Gestion intégrative de l'Innovation à l'Université du Danemark du Sud
Thierry Rayna
Thierry Rayna
chercheur au laboratoire CNRS i³-CRG* et professeur de l’École polytechnique (IP Paris)
En bref
  • Les entreprises danoises sont soucieuses de la durabilité écologique, mais ne pensent généralement pas à améliorer l’économie circulaire de leurs produits.
  • L’impression 3D, initialement prévue pour les tâches de développement de produits, présente en fait des avantages inattendus en termes de durabilité.
  • Cette technologie peut tout d’abord améliorer l’utilisation des matériaux par les entreprises et permettre de réduire les déchets.
  • Avec l’impression 3D, les entreprises peuvent aussi passer de l’idée au produit beaucoup plus rapidement et avec moins d’émissions de CO2 dues à la logistique.
  • Enfin, cette technologie peut soutenir les efforts des entreprises afin de minimiser leur impact environnemental grâce à des voies économiques plus circulaires.

De toutes les tech­nolo­gies émer­gentes, l’im­pres­sion 3D (ou fab­ri­ca­tion addi­tive) fig­u­rait cer­taine­ment en tête de liste par­mi celles dont on prédi­s­ait qu’elles allaient « chang­er le monde ». Pour­tant, près de 40 ans après sa con­cep­tion et 10 ans après l’en­goue­ment pour l’im­pres­sion 3D, il est dif­fi­cile de trou­ver des sit­u­a­tions où l’im­pres­sion 3D a eu un vrai impact rad­i­cal, à part dans quelques nich­es spé­ci­fiques comme les pro­thès­es et l’in­dus­trie aérospa­tiale

Par­mi les avan­tages qu’on prévoy­ait pour l’im­pres­sion 3D fig­u­rait son impact posi­tif sur la dura­bil­ité, en offrant pré­ten­du­ment une « fab­ri­ca­tion sans déchets ». La promesse : seule la quan­tité de matéri­au néces­saire à la pro­duc­tion sera réelle­ment util­isée.  Ain­si, les pro­duits peu­vent être fab­riqués à la demande, en ne trans­portant que les matières pre­mières, etc. Pour­tant, jusqu’à présent, cette promesse a égale­ment eu du mal à se con­cré­tis­er. Mais il y a peut-être de la lumière au bout du tun­nel. Comme l’indique l’é­tude présen­tée dans cet arti­cle, l’im­pres­sion 3D a été mise en œuvre dans l’in­dus­trie et il sem­blerait qu’elle y soit un moteur de dura­bil­ité, notam­ment en tant que fac­teur d’é­conomie circulaire. 

Thier­ry Ray­na, Chaire Tech4Change

Depuis 2018, l’Université du Dane­mark du Sud car­togra­phie l’utilisation de l’impression 3D par les entre­pris­es de pro­duc­tion danois­es, en col­lab­o­ra­tion avec le Dan­ish Addi­tive Man­u­fac­tur­ing Hub. Leur dernier rap­port de 20221, fondé sur des entre­tiens et des don­nées d’enquête de l’automne 2021, analyse le lien entre l’utilisation de la tech­nolo­gie d’impression 3D et l’approche des entre­pris­es en matière de dura­bil­ité écologique. Tous les sites de pro­duc­tion des entre­pris­es d’industrie man­u­fac­turière comp­tant plus de 10 employés ont été invités à participer.

Dans l’ensemble, les entre­pris­es danois­es ont générale­ment déclaré qu’elles accor­daient une grande impor­tance à la dura­bil­ité écologique. Comme il existe de mul­ti­ples sources de dura­bil­ité et de moyens de l’améliorer, une enquête plus détail­lée met en évi­dence cer­taines ten­dances intéres­santes. Tout d’abord, la dura­bil­ité a générale­ment été asso­ciée à la réduc­tion de la con­som­ma­tion d’eau et d’énergie dans les entre­pris­es indus­trielles, mais on assiste égale­ment à un nou­v­el intérêt mar­qué pour la réduc­tion des déchets matériels au cours de la pro­duc­tion — un peu plus de la moitié des entre­pris­es se con­cen­trent sur l’optimisation de la manière dont elles utilisent leurs produits. 

Cepen­dant, une atten­tion beau­coup moins grande est accordée à l’amélioration de l’économie cir­cu­laire des pro­duits. Ain­si, près de la moitié des entre­pris­es ont déclaré ne pas ou très peu se con­cen­tr­er sur la pro­lon­ga­tion de la durée de vie de leurs pro­duits en pro­posant des pièces de rechange, des ser­vices de répa­ra­tion ou la « reprise » des pro­duits en fin de vie. En out­re, de nom­breuses entre­pris­es ne se con­cen­trent pas, ou très peu, sur l’optimisation de la durée de vie des pro­duits et sur le recy­clage en général.

Les imprimantes 3D dans l’industrie

L’impression 3D est une tech­nolo­gie addi­tive qui utilise un dessin 3D (fichi­er STL) comme mod­èle. La plu­part des procédés utilisent des matéri­aux liq­uides, des poudres ou des solides qui sont appliqués couche par couche pour pro­duire un objet. En fonc­tion de l’équipement util­isé, l’objet peut être fab­riqué en plas­tique, en métal, en céramique, en com­pos­ite ou même en béton (actuelle­ment en développe­ment dans des entre­pris­es telles que Cre­ate SDU2). Les entre­pris­es utilisent générale­ment les tech­nolo­gies d’impression 3D pour le développe­ment de pro­duits, pour imprimer des objets qui sou­ti­en­nent la pro­duc­tion, comme des out­ils, ou pour pro­duire des par­ties de pro­duits finis ou des pièces de rechange. L’accès et l’engagement des entre­pris­es dans la tech­nolo­gie d’impression 3D sont en par­tie déter­minés par leur pro­priété de la tech­nolo­gie — les entre­pris­es pos­sè­dent ou louent des équipements d’impression pour les avoir en interne, ou elles peu­vent les externaliser.

Des avantages inattendus

En 2018 et 2019, un quart des entre­pris­es man­u­fac­turières danois­es ont déclaré utilis­er la tech­nolo­gie d’impression 3D, tan­dis que cette part était passée à un tiers en 2021. L’impression 3D est prin­ci­pale­ment util­isée pour les tâch­es de développe­ment de pro­duits. Elle facilite à la fois la con­cep­tion de nou­veaux pro­duits et accélère le proces­sus, car le site peut imprimer et tester des pro­to­types selon les besoins. Par­mi ces entre­pris­es, 80 % déclar­ent pos­séder ou louer l’équipement — ce qui sig­ni­fie qu’il est physique­ment présent au sein de l’entreprise. Les 20 % restants achè­tent des ser­vices d’impression 3D à des sous-trai­tants. Par exem­ple, Boe­ing dis­pose désor­mais d’une divi­sion chargée de l’impression 3D de pièces indus­trielles pour les sous-marins, les héli­cop­tères et les avions.

Les entre­pris­es décrivent la tran­si­tion d’un proces­sus lent vers un proces­sus plus rapi­de. Aupar­a­vant, elles devaient envoy­er des spé­ci­fi­ca­tions à des sous-trai­tants basés à l’étranger et atten­dre plusieurs semaines pour recevoir les pro­to­types, procédé qui pou­vait deman­der plusieurs aller-retours. Avec la tech­nolo­gie d’impression 3D, les entre­pris­es peu­vent pass­er de l’idée au pro­duit beau­coup plus rapi­de­ment, avec moins d’émissions de CO2 dues à la logis­tique, et moins de déchets.

Par­mi celles-ci, une entre­prise locale, Jyd­sk Emblem Fab­rik, pro­duit des médailles et des emblèmes pour toute une série de clients privés et publics, dont l’armée danoise. Au cours des dix dernières années, l’entreprise a tra­vail­lé stratégique­ment pour rap­a­tri­er sa pro­duc­tion au Dane­mark afin de réduire les coûts et le temps con­sacré à la logis­tique, tout en per­me­t­tant à l’entreprise d’assurer une qual­ité et une flex­i­bil­ité élevées, tout en main­tenant un délai court entre la con­cep­tion et la pro­duc­tion. La tech­nolo­gie d’impression 3D a per­mis ce proces­sus, et facilite à la fois une pro­duc­tion plus respectueuse de l’environnement et une réduc­tion des émis­sions de CO2 dues à la logis­tique. Par­mi les autres exem­ples, citons Jør­gensen Engi­neer­ing, un inté­gra­teur en robo­t­ique, qui applique de plus en plus l’impression 3D. L’entreprise a util­isé l’impression 3D pour la pre­mière fois en 2016, elle pos­sède désor­mais la tech­nolo­gie FDM et l’utilise pour tester et imprimer des pro­to­types, tan­dis qu’elle fait appel à des sous-trai­tants pour l’impression 3D des équipements de production.

Graphique 1 : Moti­va­tions des entre­pris­es con­cer­nant l’utilisation de l’impression 3D pour le développe­ment durable et la tran­si­tion écologique (fig­ure 9.13).

Les entre­pris­es qui utilisent les tech­nolo­gies d’impression 3D déclar­ent s’engager dans des ini­tia­tives visant à accroître la dura­bil­ité de leurs activ­ités plus sou­vent que les entre­pris­es qui n’utilisent pas l’impression 3D. En par­ti­c­uli­er, elles se con­cen­trent plus sou­vent sur les aspects liés à l’économie cir­cu­laire. C’est sur­prenant, étant don­né que la plu­part des entre­pris­es déclar­ent qu’elles n’ont pas ini­tiale­ment adop­té la tech­nolo­gie d’impression 3D dans l’intention d’accroître la dura­bil­ité de leurs activ­ités. Et, bien qu’il y ait un large con­sen­sus sur le fait que l’impression 3D n’est pas une « tech­nolo­gie durable », les entre­pris­es rap­por­tent des effets inat­ten­dus sur la dura­bil­ité en rela­tion avec leur mise en œuvre de la technologie.

Amélioration de la durabilité

Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, l’impression 3D peut amélior­er l’utilisation des matéri­aux par les entre­pris­es et réduire les déchets. La réduc­tion des déchets peut être obtenue directe­ment par l’utilisation de moins de matéri­aux, car l’impression 3D est une tech­nolo­gie addi­tive couche par couche qui per­met de créer des con­cep­tions entière­ment nou­velles en util­isant moins de matéri­aux. Deux­ième­ment, l’impression 3D peut réduire les émis­sions de CO2 liées à la logis­tique, car les entre­pris­es évi­tent les proces­sus fas­ti­dieux liés à la fab­ri­ca­tion de pro­to­types et d’outils de pro­duc­tion dans des zones géo­graphiques à faible coût, ou le trans­port de pièces détachées vers des sites éloignés. Troisième­ment, l’impression 3D peut soutenir les efforts des entre­pris­es pour min­imiser leur impact négatif sur l’environnement grâce à des voies économiques plus cir­cu­laires où la durée de vie des pro­duits est pro­longée par des ser­vices, des pièces de rechange, des exten­sions et des mis­es à niveau ; et où les pro­duits sont conçus pour être démon­tés et recy­clés en fin de vie. Dans un avenir pas trop loin­tain, de nom­breuses entre­pris­es espèrent pou­voir réu­tilis­er les matéri­aux des pro­duits en fin de vie pour créer de nou­veaux com­posants, voire des pro­duits entiers.

Si l’on com­pare les moti­va­tions qui ont poussé les entre­pris­es à adopter l’impression 3D (c’est-à-dire ce qu’elles espéraient en retir­er) avec les effets que l’impression 3D a sur leur activ­ité, les entre­pris­es con­sta­tent que les effets sur le développe­ment durable sont plus impor­tants que ce qu’elles avaient prévu avant d’adopter la tech­nolo­gie d’impression 3D. Après avoir iden­ti­fié les sources pos­si­bles, nous avons com­paré dans le rap­port les motifs ini­ti­aux avec les effets obtenus afin d’identifier les avan­tages poten­tiels à saisir. Ce que nous avons remar­qué, c’est que les effets sur la dura­bil­ité peu­vent être plus impor­tants que prévu. 10—15 % des entre­pris­es ont des effets posi­tifs sur la dura­bil­ité en ce qui con­cerne le développe­ment de pro­duits plus faciles à recy­cler, la réduc­tion du nom­bre de com­posants dans le pro­duit final et la réduc­tion de la con­som­ma­tion de matéri­aux et des déchets. Cela peut être con­sid­éré comme une ouver­ture pour une util­i­sa­tion future accrue de la technologie.

Graphique 2 : Com­para­i­son de la moti­va­tion et de l’effet de l’utilisation de la tech­nolo­gie d’impression 3D (Rap­port, fig­ure 6.64).

Les prin­ci­pales con­clu­sions de l’étude sont qu’une part crois­sante des entre­pris­es qui met­tent en œuvre l’impression 3D non seule­ment facili­tent et accélèrent l’innovation, mais parvi­en­nent égale­ment à dévelop­per des pro­duits et des formes de pro­duc­tion plus durables sur le plan envi­ron­nemen­tal. Bien que l’impression 3D ne soit pas en soi une tech­nolo­gie durable, elle peut pro­mou­voir des proces­sus com­mer­ci­aux durables. L’amélioration de la dura­bil­ité peut être à la fois le résul­tat d’une stratégie con­sciente et un effet sec­ondaire de la mise en œuvre de nou­velles tech­nolo­gies telles que l’impression 3D. Il est impor­tant que les entre­pris­es pren­nent con­science de la manière dont l’impression 3D peut con­tribuer à leur dura­bil­ité écologique, qu’elles met­tent en œuvre l’impression 3D pour réduire les coûts, accélér­er l’innovation ou pour amélior­er la dura­bil­ité de leur activité.

James Bowers
1https://​am​-hub​.dk/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​2​/​0​2​/​S​D​U​-​R​a​p​p​o​r​t​_​f​i​n​a​l​_​v​e​r​s​i​o​n​_​2​4​0​2​2​2.pdf
2https://​www​.cre​ate​-sdu​.com/
3https://​am​-hub​.dk/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​2​/​0​2​/​S​D​U​-​R​a​p​p​o​r​t​_​f​i​n​a​l​_​v​e​r​s​i​o​n​_​2​4​0​2​2​2.pdf
4https://​am​-hub​.dk/​w​p​-​c​o​n​t​e​n​t​/​u​p​l​o​a​d​s​/​2​0​2​2​/​0​2​/​S​D​U​-​R​a​p​p​o​r​t​_​f​i​n​a​l​_​v​e​r​s​i​o​n​_​2​4​0​2​2​2.pdf

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