Depuis quand les drones sont-ils massivement utilisés ?
Ce sont les Etats-Unis, au début des années 2000, qui ont commencé à utiliser des drones pour éliminer des cibles terroristes dans les zones tribales au Pakistan et en Afghanistan. A l’époque, c’était de grosses machines. Ils ressemblaient à des avions de combat, volaient haut et ils ne pouvaient pas être opérés par des civils ou des terroristes. Mais cette époque est définitivement révolue.
De nos jours, les drones ne sont plus réservés aux armées ?
Effectivement, leur usage s’est banalisé également pour des applications civiles, ce qui est très intéressant. Par exemple, les agriculteurs peuvent recourir à de petits drones, peu coûteux (à partir de 600 euros), pour épandre des engrais de façon bien plus raisonnée. Le souci ? Ce sont ces mêmes drones qui vont être achetés par des narcotrafiquants ou des groupes terroristes et être détournés de leur usage. Les cartels mexicains par exemple se procurent des drones agricoles et remplacent les pulvérisateurs de désherbants par le même poids en grenades, à savoir 10 à 20 kg. Il est, aujourd’hui, presqu’aussi simple de fabriquer son drone en kit que de monter un meuble Ikéa ! Vous pouvez aussi l’adapter à vos besoins particuliers avec une batterie qui dure plus ou moins longtemps, une caméra d’une résolution plus ou moins fine, une distance de contrôle variable. Bref, il y en a pour tous les usages et pour tous les prix…
Les drones sont-ils plus ou moins adaptés à certains conflits ?
On les retrouve désormais dans tous les conflits, mais ils sont particulièrement intéressants pour certaines configurations. Dans le cadre de la guerre contre le Hamas, les Israéliens peuvent les utiliser pour accéder à l’intérieur des tunnels. S’ils devaient uniquement envoyer des hommes à ces endroits, les pertes humaines seraient extrêmement lourdes.
Est-il très difficile de se défendre d’une attaque de drones, si oui pourquoi ?
Oui. En fait, les drones sont très faciles d’utilisation et peu coûteux pour attaquer. Le souci ? Il est très compliqué, voire même, dans certaines configurations, impossible de s’en défendre. Pour des attaques « simples » impliquant un nombre limité de drones, il existe, bien sûr, des systèmes de détection d’intrusion d’un drone dans un espace protégé (aéroport, stades, etc.), puis de brouillage de son système de navigation, ou de destruction de l’appareil. Mais, certaines attaques dites « en essaim », qui consistent à envoyer plusieurs dizaines –voire plusieurs centaines – de drones dans de multiples directions, sont quasiment imparables. Au-delà de trente drones, il devient compliqué de se défendre.
Travaillez-vous justement sur l’amélioration de la défense ?
Oui, je suis responsable du comité scientifique de la première fédération européenne des drones de Sécurité DRONES4SEC, lancée en 2021. Nous travaillons sur la modélisation de la lutte anti-drone. Par exemple, dans une configuration d’attaque par essaim, nous essayons de calculer combien de drones doivent démarrer en même temps, à quelle vitesse, selon quelles trajectoires et pour neutraliser un maximum de vecteurs hostiles. Une plateforme technologique va être développée à cette fin.
Par ailleurs, au niveau européen, nous travaillons avec la société PARROT (leader européen des drones sur un label « drone de confiance »), qui garantirait aux acheteurs de drones que leurs données de vol et leur données personnelles ne seront pas exfiltrées à chaque utilisation. En effet, il y a avec certains fabricants de drones, notamment chinois, de gros problèmes de respect des données personnelles. Le principal fabricant chinois de drones, leader mondial du secteur, est d’ailleurs désormais interdit de vente aux forces de sécurité en Amérique du Nord pour cette raison.
Les grandes puissances ne sont plus seules à fabriquer des drones, n’est-ce pas ?
En effet, la Turquie, l’Inde, l’Iran, Israël, tous ces pays sont très actifs dans la production de drones civils et militaires. Si l’arme nucléaire reste réservée à un club très fermé de quelques grandes puissances, les drones sont en passe de devenir « l’arme des pauvres ». Des drones à voilure fixe, porteurs de 2 à 3 kilos d’explosifs, sont utilisés comme drones kamikazes contre toutes sortes de cibles de haute valeur : blindés, chars, pièces d’artillerie, camions de ravitaillement, systèmes radars et communication. Il s’agit de munitions rôdeuses qui constituent une petite révolution dans « l’art de la guerre ». De très faibles coûts de production, multipliables presque à l’infini, ces munitions permettent de détruire des cibles de haut niveau tactique chez l’adversaire, souvent très coûteuses. Le ratio de destruction (c’est-à-dire le coût de la munition rôdeuse versus le coût de la cible) favorise nettement l’attaquant et oblige l’attaqué à déployer des moyens de protection sophistiqués et coûteux.
Existe-t-il une très grande variété de drones ?
Oui. Un drone aérien dédié au renseignement pourra rester en vol 24 heures, sans pilote à bord, en remplissant sa mission de collecte de données. D’autres sont destinés au combat ou au guidage de l’artillerie. Les micro-drones quadcoptères (avec quatre hélices) sont utilisés par les armées russe et ukrainienne pour « nettoyer » une tranchée en larguant des grenades à la verticale des combattants ciblés, avec une précision centimétrique. Ces drones sont souvent des drones commerciaux industriels transformés en lance-grenade, via un système rudimentaire porteur de charges.
Certains peuvent agir en mode totalement automatique, assurer seuls une mission sur une cible et revenir. D’autres engins doivent toujours être sous le contrôle d’un télépilote, à une distance plus ou moins importante. Surtout, il existe des drones pour tous les milieux : l’air, mais aussi la terre, la mer, et même des robots sous-marins ! Les Turcs ont récemment fait une démonstration de trois vedettes drones évoluant en surface sur l’eau, peints en bleu pour ne pas être repérables. Ils ont ainsi réussi à couper en deux la coque d’un navire cargo en mer ! Il s’agissait d’un essai, mais cela vous donne une idée de la puissance de ces engins…
Quel est le plus petit drone ?
Le « Black Hornet » est un micro-drone de reconnaissance, ressemblant à un hélicoptère mais il ne mesure que 10 cm et pèse 30 g. Les Américains le vendent 40 000 euros, mais les Chinois viennent d’en mettre une version inspiréesur le marché à 130 dollars ! Pour ce prix, il ne pèse que 20 g de plus que l’original, est à peine plus grand, et offre presque les mêmes performances… La baisse des prix des drones et robots civils va produire une forte dissémination dans tous les domaines d’activités.
Qu’en est-il des usages civils ?
Ils sont de plus en plus nombreux. Lors du dernier tremblement de terre au Maroc, des drones ont été envoyés à l’intérieur des immeubles qui tenaient encore debout pour repérer les fissures, et identifier lesquels pouvaient être sauvés ou pas. Après les tempêtes en France, certains couvreurs ont utilisé des drones pour repérer sur les toits les tuiles manquantes, et intervenir directement là où c’était nécessaire.