Mythes et réalités de l’hypersensibilité
- Selon les études, l’hypersensibilité concernerait 15 à 30 % de la population.
- Le modèle de la « sensibilité du traitement sensoriel » d'Aron et Aron caractérise ce trouble par une facilité d'excitation, un seuil sensoriel bas et une sensibilité esthétique.
- Les effets de l'hypersensibilité peuvent varier selon les individus, leurs expériences passées, leur capacité à gérer leurs émotions ou encore le contexte.
- L'augmentation supposée des cas serait le résultat d’une meilleure reconnaissance du phénomène et d’une évolution des attitudes envers les émotions.
- L’hypersensibilité n'est ni une maladie ni un défaut, mais plutôt un trait de personnalité à comprendre et à apprivoiser pour en faire une force.
Les hypersensibles sont les personnes qui pleurent tout le temps – FAUX
L’hypersensibilité est un phénomène qui suscite un grand intérêt de nos jours et fait l’objet de nombreux raccourcis ou clichés. Il s’agit en réalité d’une notion complexe, sur laquelle portent de nombreuses et solides études scientifiques. Elles reposent sur plusieurs modèles explicatifs de l’hypersensibilité et sur les définitions qui en découlent. Parmi les plus utilisés figure le modèle de la « sensibilité du traitement sensoriel » d’Aron et Aron (1997). Selon celui-ci, les personnes hypersensibles se caractérisent par une tendance à être plus sensibles aux stimuli internes et environnementaux. Ils expriment également une plus grande réactivité émotionnelle, tant sur le versant négatif que positif.
En d’autres termes, la forte émotivité ne représente qu’une petite partie de l’hypersensibilité. Cette dernière serait plutôt constituée de trois facettes :
- Une facilité d’excitation : une tendance à réagir intensément aux stimuli internes et externes
- Un seuil sensoriel bas : une sensibilité accrue aux stimuli (internes et externes) subtils
- Une sensibilité esthétique : une grande réceptivité aux manifestations esthétiques et aux réactions qu’elles provoquent
Nos travaux nous ont toutefois conduits à envisager une quatrième composante : l’évitement des nuisances, c’est-à-dire une tendance à contrôler ces dernières, afin de s’en protéger.
L’hypersensibilité peut générer des effets positifs comme négatifs – VRAI
Dans les médias, l’hypersensibilité est tantôt dépeinte comme un handicap, tantôt comme un « super-pouvoir ». En réalité, même si ses effets semblent le plus souvent négatifs, ses conséquences sur l’individu sont variables.
Le modèle d’Aron et Aron propose une classification en deux catégories. D’un côté, les personnes ayant eu une enfance heureuse, qui seraient moins introverties, émotives et sujettes à la dépression que la deuxième catégorie et pour qui l’hypersensibilité apparaîtrait peu problématique. De l’autre, celles ayant connu une enfance difficile présenteraient une plus grande tendance à développer de l’anxiété, notamment sociale.
Par ailleurs, nos travaux pourraient nous conduire à proposer une autre classification, sans contredire la précédente, toujours en deux profils. Le premier serait le plus fréquent, l’hypersensible « vulnérable », pour qui l’hypersensibilité constituerait un facteur de fragilisation sur le plan émotionnel. En revanche, pour le second profil, l’hypersensible « esthète », elle pourrait jouer un rôle de protection dans certaines situations, être ressourçante psychologiquement.
Il y a autant d’hypersensibilités que d’hypersensibles – VRAI
Ces classifications ne signifient pas que les individus appartiennent à des catégories figées. En fait, l’hypersensibilité possède une part d’inné, avec des prédispositions génétiques et neurobiologiques, mais elle nécessiterait aussi un contexte d’activation, c’est-à-dire un environnement qui va venir réveiller ce potentiel. Or, chaque individu réagira différemment à une situation donnée. Et une même personne peut réagir différemment à un même événement, selon le moment et le contexte. Ainsi, le rapport de chacun à l’hypersensibilité dépend d’une multitude de facteurs.
De plus, il serait préférable de parler de « haute sensibilité », comme en anglais ou en espagnol, plutôt que d’« hypersensibilité ». Cela traduit davantage le continuum de la sensibilité dans lequel s’inscrit chaque individu.
L’hypersensibilité est un défaut – FAUX
Dans le modèle d’Aron et Aron, l’hypersensibilité constitue un trait de tempérament, c’est-à-dire une différence individuelle stable, apparaissant dès la naissance, s’appuyant sur des considérations génétiques et neurobiologiques. Ce n’est pas un désavantage, uniquement un fonctionnement particulier avec lequel il faut savoir composer. D’autant que selon les études, il concernerait de 15 à 30 % de la population mondiale.
À vrai dire, il n’est même pas nécessaire de détecter l’hypersensibilité, tant qu’elle n’occasionne pas d’inconfort chez l’individu. Si c’est le cas, alors il existe des outils validés scientifiquement, à l’image de l’échelle d’Aron et Aron, sous la forme d’un questionnaire disponible en plusieurs langues.
Néanmoins, la question ne doit jamais se résumer à « Suis-je hypersensible ? » Il s’agit plutôt de privilégier une approche globale, d’identifier les difficultés psychologiques et relationnelles que rencontre la personne dans sa vie, et de voir en quoi l’hypersensibilité peut y jouer un rôle ou non.
L’hypersensibilité concerne principalement les femmes – FAUX
Aucune étude scientifique ne permet d’affirmer que les femmes seraient plus hypersensibles que les hommes. Les proportions sont généralement semblables entre les deux genres.
En revanche, il y aurait davantage d’introvertis chez les hypersensibles. Mais il ne s’agirait pas non plus d’une spécificité, puisque cela concernerait environ 30 % d’extravertis.
Il y a plus d’hypersensibles qu’avant – INCERTAIN
Il est impossible de comparer le nombre d’hypersensibles selon les époques, tout simplement parce que le concept demeure assez récent. Dès lors, comment estimer la proportion d’individus concernés à une période où l’hypersensibilité n’était pas encore définie ? Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas jadis d’hypersensibles, mais ils n’étaient pas reconnus comme tels.
Cette supposée augmentation peut toutefois s’expliquer par la médiatisation récente du terme. Ainsi, de nombreuses personnes peuvent se reconnaître dans des descriptions approximatives et se qualifier d’hypersensibles. Mais combien d’entre elles confirment cette intuition via un test valide ? Difficile de le savoir.
Néanmoins, peut-être assistons-nous aussi à une tendance générationnelle. Les principes éducatifs s’étant renouvelés, la considération et la gestion des émotions pourraient avoir évolué, favorisant ainsi l’hypersensibilité. Mais aucune étude, à notre connaissance, ne vient confirmer cela.
Le cerveau des hypersensibles est différent de celui du reste de la population – FAUX
Le cerveau d’une personne hypersensible est le même que celui de tout autre individu. Sa structure, notamment son système nerveux central, n’affiche aucune différence notable.
En revanche, il fonctionne différemment : il ne réagit pas de la même manière selon les situations, certaines zones cérébrales sont plus activées que d’autres… Pour faire un parallèle, la plupart des gens ont deux bras. S’ils sont identiques structurellement, chaque individu ne les utilise pas de la même façon, volontairement ou non.
L’hypersensibilité est une maladie, qui peut se soigner – FAUX
L’hypersensibilité n’est ni une maladie ni un trouble. Par conséquent, elle ne se « diagnostique » pas et il est encore moins question de la « soigner » ou de la « guérir ». D’ailleurs, elle ne figure pas dans le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), qui recense les troubles mentaux et psychiatriques.
Elle peut toutefois, dans certains cas, entraîner des désordres émotionnels. Dans un premier temps, l’idée est de prendre conscience de cette spécificité et de mieux comprendre son propre fonctionnement. Ensuite, il s’agit de trouver les clés pour mieux vivre avec, par exemple via une psychothérapie. Le but : faire de son hypersensibilité une ressource plutôt qu’une contrainte.
Cependant, il faut garder à l’esprit qu’il n’existe aujourd’hui pas de méthode universelle, validée scientifiquement, qui permettrait de transformer l’hypersensibilité en atout. Mais c’est l’une de nos perspectives de recherche à visée applicative.