Haut-parleurs : les nouveaux matériaux de l’acoustique
- Les haut-parleurs actuels utilisent un aimant couplé avec le mouvement d’une bobine en cuivre pour faire vibrer une membrane.
- Ces éléments lourds, volumineux et chers à produire pourraient être remplacés par une membrane élastomère diélectrique.
- Cette membrane permettrait d’alléger l’objet et de remplir trois critères essentiels : le rendement, l’équilibre spectral et la linéarité.
- Plusieurs contraintes empêchent encore la généralisation de cette nouvelle méthode, comme la fragilité de la membrane par exemple.
- Une fois ces obstacles surpassés, ce type de haut-parleurs, moins cher et plus léger, pourra être industrialisé à grande échelle.
Il existe aujourd’hui de nombreux modèles de haut-parleurs, produits sous différentes tailles. Ces modèles utilisent en général la méthode classique mise en place par Werner von Siemens, fondateur de Siemens, au XIXe siècle. Cette méthode consiste à coupler un aimant avec le mouvement d’une bobine de cuivre pour faire vibrer une membrane en forme de cône.
Ces deux premiers éléments sont déjà lourds, demandeurs de place, et chers à produire. Mais ils pourraient bien être remplacés, en plus de la membrane en forme de cône, par une simple membrane élastomère diélectrique, et quelques tours de magie scientifique.
L’élastomère, plus communément appelé caoutchouc, est une matière extrêmement flexible. La caractéristique diélectrique signifie que cette nouvelle membrane ne conduit que très peu le courant électrique. C’est en ajoutant une graisse conductrice (formant une électrode) sur chacune de ses faces qu’un signal électrique transmis fera réagir la matière flexible, provoquant les vibrations nécessaires à l’envoi d’ondes sonores.
Cette méthode pourrait permettre de créer une nouvelle génération de haut-parleurs. Corinne Rouby, enseignante-chercheuse en mécanique à l’ENSTA Paris (IP), a co-dirigé, avec Olivier Doaré, professeur en mécanique, la thèse d’Emil Garnell, visant à optimiser cette nouvelle technique23.
Améliorer les matériaux utilisés
« Pour produire un haut-parleur parfait, il faut respecter trois critères : le rendement, l’équilibre spectral et la linéarité,explique Olivier Doaré. L’objectif est d’émettre le plus d’énergie acoustique possible avec le moins d’énergie électrique possible (le rendement). Il faut également reproduire le plus fidèlement le signal électrique transmis sous forme d’onde acoustique (l’équilibre spectral). Et cela, quelle que soit la puissance du son souhaitée (la linéarité). »
Pour produire un haut-parleur parfait, il faut respecter trois critères : le rendement, l’équilibre spectral et la linéarité.
D’autant que le rôle des haut-parleurs n’est pas forcément d’émettre le son le plus fort, mais plutôt de rester fidèle au son qu’il renvoie. Le choix d’une membrane élastomère diélectrique pourrait non seulement alléger l’objet, mais encore produire un son tout aussi fidèle, en respectant quelques conditions. Le tout, au travers d’une production bien moins coûteuse.
« L’intérêt de la recherche pour les élastomères diélectriques a pris de l’ampleur depuis les années 20004, se remémore Corinne Rouby, mais les applications n’étaient pas directement liées aux haut-parleurs. » Pour autant, les caractéristiques de ce type de matière l’ont rapidement placé dans le domaine acoustique. « Les haut-parleurs classiques sont lourds et assez chers à produire. Ce qui est dû à l’utilisation d’aimants, qui ne sont pas nécessaires. », affirme-t-elle.
L’idée de la membrane en élastomère diélectrique pourrait donc remplacer et la bobine et l’aimant. Plus léger, ce nouveau modèle semble prometteur pour l’industrie des haut-parleurs, mais reste dans une phase encore expérimentale. « Cette thèse, bien que terminée, a encore vocation à enrichir la recherche, précise la chercheuse. La suite est entre les mains d’un chimiste en postdoctorat qui a pour objectif d’améliorer le couplage entre les différents matériaux. »
Des contraintes à dépasser
Ce type de haut-parleurs n’en est encore qu’à la phase expérimentale, et son industrialisation ne sera pas pour demain. Les résultats restent suffisamment prometteurs pour avoir le mérite d’être approfondis, mais révèlent cependant de nombreuses contraintes qui doivent encore être dépassées.
Tout d’abord, la membrane élastomère est souple, mais aussi très fragile. « Des tensions trop importantes peuvent engendrer un arc électrique et rendre la membrane inutilisable, explique Corinne Rouby. Notamment pour les basses fréquences qui demandent beaucoup d’énergie à transmettre, et qui induisent de plus grands mouvements fragilisant davantage la membrane. »
Pour ce nouveau type de haut-parleurs, les chercheurs ont travaillé sur la forme à donner aux électrodes (au travers de la graisse conductrice), afin de produire tout type de fréquences. « Chaque mode de vibration peut entraîner des résonances dans l’objet, explique la chercheuse. Il est donc nécessaire de les contrôler pour que le haut-parleur ne favorise pas certaines fréquences. »5 L’équilibre fréquentiel peut aussi être obtenu par un filtrage du signal électrique envoyé au haut-parleur6.
Une contrainte de taille a aussi été identifiée : « Au laboratoire, notre haut-parleur était accompagné d’un contrôleur de pression qui permettait de gérer les différentes fuites au sein de la cavité. Imaginer un tel mécanisme dans un salon n’est pas encore possible. », concède-t-elle. Bien que ce problème hermétique soit réel, il est une contrainte technique que Corinne Rouby ne considère pas comme infranchissable.
Une fois ces obstacles surpassés, ce type de haut-parleurs pourra être industrialisé massivement. Moins cher et plus léger, ses applications peuvent faire rêver. Olivier Doaré, co-directeur de cette thèse, travaille actuellement sur un système similaire pour les écouteurs. En utilisant des membranes, cette fois-ci, piézoélectriques, cette avancée scientifique pourrait se retrouver prochainement dans nos oreilles.