Ricardo Arévalo et ses collègues ont mis au point un prototype d’instrument miniaturisé qui pourrait détecter et identifier des molécules organiques complexes susceptibles d’indiquer la présence de vie sur d’autres planètes et lunes de notre Système solaire. Leur instrument « Orbitrap-spectrométrie de masse par désorption laser » n’a qu’une fraction de la taille et du poids de ses prédécesseurs, et pourrait être utilisé lors de futures missions d’exploration spatiale telles que le programme Artemis de la NASA et l’Enceladus Orbilander.
La recherche de la vie ailleurs dans notre Système solaire est un sujet fondamental d’étude. Plusieurs missions sont prévues pour les décennies à venir : par exemple pour explorer des corps planétaires tels qu’Encelade (une lune de Saturne), et Europa (un satellite de Jupiter). Ces lunes possèdent d’importants réservoirs d’eau souterrains qui pourraient potentiellement abriter des formes de vie. Pour les missions ciblant ces corps planétaires, il ne sera pas seulement important de pouvoir détecter des molécules organiques simples, mais aussi de reconnaître une variété de biomarqueurs, tels que des protéines et des biostructures complexes. Ceux-ci peuvent être produits par différents types de micro-organismes.
Combiner le laser et le spectromètre
Les spectromètres de masse miniaturisés destinés à l’exploration planétaire ne datent pas d’hier et remontent aux années 1970, avec la mission Apollo 15. Dans le contexte de la détection de la vie et de l’astrobiologie, ces instruments ont été utilisés pour détecter et identifier des substances organiques volatiles provenant de sous la surface de Mars, dans les panaches d’Encelade et dans l’atmosphère de Titan. Toutefois, à ce jour, aucun spectromètre de masse déployé n’a encore analysé les molécules organiques complexes non volatiles telles que les peptides et les protéines.
Les molécules plus grandes et plus complexes sont susceptibles d’avoir été créées par des systèmes vivants.
La spectrométrie de masse par désorption laser (LDMS) pourrait trouver toute sa place ici. Cette technique utilise un faisceau laser ultraviolet focalisé pour désorber et ioniser les molécules organiques, et permet la détermination de leur composition chimique sur la base de leur rapport masse/charge. L’avantage de cette technique ? La lumière laser peut être focalisée sur un petit point de la surface de l’échantillon, ce qui permet de caractériser avec précision les grains, les particules de poussière et d’autres structures à l’échelle du micron, et des « cartes chimiques » peuvent être recueillies en balayant le faisceau laser à travers la surface de l’échantillon. La LDMS minimise également le contact entre l’instrument et l’échantillon, réduisant ainsi le risque de contamination de l’échantillon – un problème non-négligeable en astrobiologie.
Le nouvel instrument de Ricardo Arévalo et de ses collègues combine la LDMS avec un analyseur Orbitrap, un spectromètre de masse inventé dans les années 1990 par un membre de l’équipe, Alexander Makarov (qui travaille aujourd’hui chez Thermo Fisher Scientific en Allemagne). Pendant le fonctionnement de l’instrument, les ions désorbés de l’échantillon sont dirigés vers cet analyseur, qui les piège ensuite dans des orbites autour d’une électrode. Les mouvements des ions peuvent être suivis et ces informations analysées pour déterminer la masse des ions. Ces données de masse peuvent ensuite être utilisées pour identifier les formules moléculaires des composants organiques de l’échantillon.
Détecter des molécules organiques plus complexes
« Notre instrument intègre un système de laser UV pulsé qui ‘zappe’ efficacement les matériaux et un analyseur qui sépare les espèces chimiques provenant de l’échantillon en fonction de leurs masses respectives. », explique Ricardo Arévalo. Ensemble, ces deux sous-systèmes permettent la détection et, plus important encore, l’identification sans ambiguïté de molécules organiques plus grandes et plus complexes, qui sont plus susceptibles d’être d’origine biologique. « Il est important de pouvoir détecter des molécules plus grandes, explique-t-il, car les composés organiques plus petits comme les acides aminés, par exemple, sont des signatures plus équivoques de formes de vie. »
« Les acides aminés peuvent être produits de manière abiotique, ce qui signifie qu’ils ne sont pas nécessairement une preuve de vie. », détaille Ricardo Arévalo. « Les météorites, dont beaucoup sont remplies de ces molécules, peuvent s’écraser sur la surface d’une planète ou d’une lune et y apporter des substances organiques avec elles. Nous savons maintenant que les molécules plus grandes et plus complexes, comme les protéines, sont plus susceptibles d’avoir été créées par des systèmes vivants ou d’y être associées. »
Le nouvel instrument combine la LDMS et l’Orbitrap, deux technologies bien établies, de manière à minimiser la masse, le volume et la consommation d’énergie. En effet, l’instrument pèse moins de 8 kg (contre environ 180 kg pour les équivalents en laboratoire) et ne mesure que quelques centimètres. Il possède cependant la même capacité de résolution de masse ultra-élevée que les systèmes commerciaux plus grands et peut détecter les biosignatures de molécules à des concentrations que l’on peut attendre dans le sous-sol d’Europa et d’Encelade.
Pour une amélioration de l’astrobiologie
Ricardo Arévalo espère envoyer l’appareil dans l’espace au cours des prochaines années et le déployer sur une cible planétaire. Il considère le prototype comme un « précurseur » pour d’autres instruments futurs basés sur la LDMS et l’Orbitrap et pense qu’il a le potentiel d’améliorer de manière significative la façon dont la géochimie ou l’astrobiologie d’une surface planétaire est étudiée.
« Notre instrument permet d’accéder à un large éventail de signatures physiques et chimiques reflétant la vie, notamment des stratifications représentant des communautés microbiennes fossilisées ; des minéraux produits par des composés biologiques ; des composés organiques tels que des protéines, des nucléotides [composants de l’ADN] et des lipides [constituants des membranes cellulaires].
Notre instrument permet d’accéder à un large éventail de signatures physiques et chimiques reflétant la vie.
« La réalisation de cet analyseur de masse à laser témoigne de la maturité de l’instrument et montre que la technologie est prête à explorer les environnements planétaires extraterrestres. Il est suffisamment petit, peu gourmand en énergie et robuste pour être déployé dans des environnements tels que ceux d’Encelade et d’Europa et y rechercher des signes de vie extraterrestre. Son développement a nécessité des années de collaboration internationale avec nos partenaires du Laboratoire de Physique et Chimie de l’Environnement et de l’Espace à Orléans, en France, et Thermo Fisher Scientific en Allemagne, et je suis particulièrement fier du nombre de chercheurs en début de carrière qui ont contribué à cette étude de manière aussi centrale. »
La prochaine étape pour son équipe est de comprendre comment le nouvel instrument peut compléter les capacités d’autres instruments de pointe, tels que ceux qui fonctionnent actuellement à la surface de Mars. « Cela nous aidera à concevoir la suite de charges utiles la plus complète et la plus convaincante pour les futures missions d’astrobiologie. » atteste Ricardo Arévalo.
Isabelle Dumé
Références:
https://www.nature.com/articles/s41550-022–01866‑x
https://www.liebertpub.com/doi/10.1089/ast.2022.0138