Des lasers ultra-puissants pour traiter les déchets nucléaires
Il est bien connu que certains produits de la fission nucléaire sont extrêmement radioactifs. Le traitement des déchets issus de la fission est donc l’un des défis d’un nucléaire civil plus soutenable. Parmi eux se trouve le plutonium (le plus connu) et d’autres actinides mineurs – neptunium, américium et curium – dont on retrouve environ 800 grammes par tonne de combustible irradié.
Aujourd’hui, ces déchets doivent être stockés de manière sécurisée pendant extrêmement longtemps car leur demi-vie (le temps passé pour que la radioactivité soit divisée par deux) est très longue. Celle du plutonium-239, par exemple, est d’environ 24 000 ans.
À côté des solutions de stockage sécurisé, on cherche aujourd’hui à « transmuter » ces déchets afin de mieux les maîtriser. Appliqués au plutonium et aux autres actinides mineurs, qui sont aujourd’hui les déchets les plus dangereux, des lasers dits « amplifiés » seraient en théorie suffisamment puissants pour produire une nouvelle fission.
Le résultat : transformer les déchets issus de la fission nucléaire en sous-produits de masse atomique plus faible et de demi-vie beaucoup plus réduite. Ou, au contraire, ajouter des particules et obtenir ainsi un isotope moins radioactif, avec une demi-vie très longue à une seule année.
La demie vie du plutonium-239 est de 24 000 ans, on cherche aujourd’hui à « transmuter » ces déchets afin de mieux les maîtriser.
Lasers : amplifier la puissance
Pour cela, notre espoir se trouve dans l’amplification à dérive de fréquence ou « chirped pulsed amplification » (CPA). Cette technique permet de pousser la logique de cette lumière extrême qu’est le laser jusqu’à des niveaux de puissance longtemps jugés inaccessibles, de l’ordre du petawatt (PW) – équivalent à 1015 watts. Pour donner un ordre de grandeur, 1PW est environ 50 fois la puissance du réseau électrique mondial, et la puissance totale reçue par la Terre de la part du Soleil représente 174PW.
L’amplification à dérive de fréquence consiste à allonger l’impulsion ultracourte du laser en étalant ses différentes composantes spectrales, avant de l’amplifier. L’impulsion est ensuite recomprimée sur une durée très brève, mais de façon si puissante qu’elle permet de produire des particules (électrons et protons) – c’est-à-dire de les détacher de la matière – avant de les accélérer par des techniques conventionnelles.
En pratique, les lasers eux-mêmes sont opérationnels – ce qui n’est pas rien, car l’un des enjeux posés par une telle puissance est que l’émetteur ne soit pas détruit par le rayonnement. Nous savons aussi détacher des particules. Toute la question est désormais de faire la preuve de l’efficacité : c’est-à-dire de les produire de façon compacte, massive, abondante, et sans consommer trop d’énergie au passage. C’est toute la question du passage au niveau industriel. Le projet XCAN est précisément dédié à cette mise en pratique.
Une solution pour contourner l’uranium
Un laser « boosté » par la CPA est capable de provoquer une fission. Il pourrait donc servir d’alternative au bombardement par neutrons utilisé dans les centrales actuelles. C’est une piste que nous explorons, et qui pourrait se révéler décisive pour développer la filière thorium.
Le thorium est un métal lourd, bien plus abondant que l’uranium. Les produits de sa fission sont par ailleurs moins dangereux, et leur durée de demi-vie n’est que de quelques centaines d’années. Cette fission ne produit pas de plutonium, ce qui fait du thorium un bon candidat à une filière nucléaire « purement » civile, sans danger au regard de la prolifération des armes nucléaires.
Le problème, c’est que cette fission n’est pas facile à réaliser. Par rapport à l’uranium, il y a une étape supplémentaire. Il faut amener le thorium à un niveau subcritique, puis utiliser une source extérieure de neutrons pour l’amener à criticité et provoquer la fission. Les lasers pourraient jouer un rôle-clé dans cet « amont » de la fission, notamment parce qu’ils permettent un excellent niveau de contrôle. On peut alimenter constamment le système en lumière, un peu comme avec un robinet.
Nombre de physiciens, dont je suis, sont convaincus du potentiel de la filière thorium. Au plan scientifique, tout a été démontré. Techniquement, il y a encore de nombreux problèmes à résoudre, notamment du côté de l’énergie nécessaire pour conduire à la fission. Mais les lasers peuvent être une partie de la solution.