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Des algorithmes pour guider les taxis volants d’Uber

Claudia d'Ambrosio
Claudia D'Ambrosio
Chargée de recherche CNRS au sein du Laboratoire d'informatique de l'École polytechnique (LIX*)

La flotte d’avions élec­triques d’Uber devrait pren­dre son envol d’ici 2023 dans les villes de Dal­las, Los Ange­les et Mel­bourne. UberAir, le ser­vice d’« avi­a­tion à la demande » du géant numérique de la mobil­ité, basé sur des véhicules à décol­lage et atter­ris­sage élec­tron­ique ver­ti­cal (eVTOL), promet de révo­lu­tion­ner le trans­port en zone urbaine en moins de trois ans.

A la place de taxis longue dis­tance, Uber pro­posera aux pas­sagers un trans­port par avion élec­trique à faibles émis­sions de CO2. Même si ces véhicules devraient coûter vingt fois plus cher que des voitures nor­males, Uber affirme que les eVTOL per­me­t­tront de réduire le coût des tra­jets quo­ti­di­ens sur le long terme, notam­ment parce qu’ils pour­ront être partagés.

S’il y a des raisons de penser que le pro­jet est une chimère, sa con­créti­sa­tion est en réal­ité bien plus proche qu’on ne le pense, même si quelques prob­lèmes demeurent. Par­mi les défis qu’il reste à relever, citons la recherche de bat­ter­ies à la fois assez puis­santes et assez légères, la for­ma­tion de pilotes et l’ob­ten­tion des cer­ti­fi­ca­tions et autori­sa­tions néces­saires. Mais ce sont là des obsta­cles tech­nologiques et règle­men­taires qu’Uber espère sur­mon­ter assez tôt. La grande ques­tion, cepen­dant, reste de savoir com­ment anticiper les besoins en infra­struc­tures, et de dévelop­per des out­ils de ges­tion du traf­ic aérien urbain capa­bles de soutenir un tel sys­tème. Pour cela, Uber s’est asso­cié à l’In­sti­tut Poly­tech­nique de Paris en 2019 en créant une chaire de recherche uni­ver­si­taire inter­na­tionale sur la « mobil­ité urbaine inté­grée », dont je suis tit­u­laire. Notre objec­tif est d’an­ticiper les besoins des infra­struc­tures urbaines autour d’eV­TOL, en aidant Uber à mieux com­pren­dre com­ment le sys­tème peut s’intégrer aux zones urbaines. 

S’il y a des raisons de penser que le pro­jet est une chimère, sa con­créti­sa­tion est en réal­ité bien plus proche qu’on ne le pense.

Imaginer les besoins de demain

Dans le cen­tre-ville de Los Ange­les, par exem­ple, il existe déjà au moins 40 héli­ports, pour la plu­part privés. Pour­raient-ils être la solu­tion ? Si oui, quels seraient les besoins en énergie ? Dans le cadre de nos recherch­es, nous con­cevons des algo­rithmes qui pour­raient aider Uber à explor­er les dif­férentes options afin que l’en­tre­prise puisse pren­dre des déci­sions stratégiques con­certées. C’est ce que font les algo­rithmes de recherche opéra­tionnelle : aider les gens à pren­dre des « déci­sions optimales ». 

On peut de fait imag­in­er une analo­gie avec Google Maps. Le logi­ciel utilise un algo­rithme pour cal­culer l’it­inéraire le plus rapi­de entre deux points tout en prenant en compte des infor­ma­tions en temps réel, comme le traf­ic ou les travaux routiers. Le prob­lème que le pro­gramme résout, c’est la recherche du « chemin le plus rapi­de ». En ter­mes sim­ples, il décom­pose le tra­jet en seg­ments plus petits, qu’il analyse en se deman­dant lequel est le plus rapi­de. Dans le cadre de mes travaux, je conçois des algo­rithmes sim­i­laires, basés sur les dif­férents scé­nar­ios possibles. 

Au bilan, cette flotte d’avions eVTOL apportera avec elle tout un ensem­ble de con­traintes inédites. Le monde sera prob­a­ble­ment dif­férent en 2023 ! 

Réagir face à l’imprévu

Ces algo­rithmes per­me­t­tent d’é­tudi­er l’impact des déci­sions pris­es dans ce monde futur. Quels sont les fac­teurs à pren­dre en compte ? De quelles infra­struc­tures aura-t-on besoin ?  Quelle sera la con­som­ma­tion élec­trique des eVTOL et com­ment gér­era-t-on la puis­sance néces­saire pour les alimenter ?

Il existe aus­si un autre enjeu de taille. Dans un pre­mier temps, les eVTOL auront des pilotes et seront sur­veil­lés par des tours de con­trôle ; mais l’ob­jec­tif final est de les ren­dre autonomes. Le but de mes recherch­es est aus­si de com­pren­dre com­ment les appareils aériens pour­ront répon­dre à des événe­ments imprévus. Si un véhicule d’ur­gence doit pren­dre son envol, par exem­ple, la tra­jec­toire des eVTOL devra rapi­de­ment être mod­i­fiée en conséquence.

Nous devons égale­ment être suff­isam­ment sou­ples pour nous adapter à des besoins fluc­tu­ants. La pandémie n’est qu’un exem­ple des défis que le pro­jet devra relever. Si l’on con­sid­ère les trans­ports ter­restres, par exem­ple, Uber­Pool – le ser­vice qui per­met aux pas­sagers de partager leurs tra­jets – est actuelle­ment indisponible, à cause du risque d’in­fec­tion. Et même si la sit­u­a­tion évoluera prob­a­ble­ment d’i­ci 2023, les habi­tudes risquent, elles, de demeur­er. À Paris, le nom­bre de cyclistes a ain­si aug­men­té d’en­v­i­ron 60 % après le con­fine­ment, et nous devons en tenir compte dans nos sim­u­la­tions. La muta­tion des modes de vie est une piste intéres­sante à explorer.

Auteurs

Claudia d'Ambrosio

Claudia D'Ambrosio

Chargée de recherche CNRS au sein du Laboratoire d'informatique de l'École polytechnique (LIX*)

Claudia D'Ambrosio travaille sur les problèmes théoriques et pratiques de recherche opérationnelle. Au Laboratoire d'informatique de l'École polytechnique (*LIX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris), elle étudie les outils mathématiques et algorithmiques pour la prise à la décision. Elle est directrice de recherche au CNRS, responsable de la chaire avec Uber « Integrated urban mobility » et professeure chargée de cours à l’École polytechnique.

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