De la biométrie classique à la biométrie comportementale
L’identification d’une personne grâce à la biométrie n’est pas un fait récent. La police a commencé à utiliser les empreintes digitales pour identifier les criminels dès le début du XXème siècle – et elle continue de le faire, notamment parce que la biométrie est propre à chaque individu, même dans le cas des jumeaux. Cependant, l’utilisation moderne de l’identification biométrique doit beaucoup aux progrès réalisés dans le domaine de l’IA, et au gain de puissance de traitement informatique survenu au cours de la dernière décennie.
Les algorithmes utilisés sont aujourd’hui suffisamment puissants pour traiter les données biométriques à l’échelle nationale, voire internationale. L’Union européenne utilise ainsi actuellement un système d’archivage des empreintes digitales pour suivre les migrants à travers l’Europe 1. L’Inde a elle mis en place un système de collecte de données biométriques pour son recensement national 2 – une première pour un pays dont la population dépasse le milliard d’habitants.
Objectifs de sécurité
Si les données biométriques peuvent être (et sont) exploitées pour recueillir des données démographiques, elles restent principalement utilisées dans le domaine de la sécurité. Un bouleversement est survenu au niveau des logiciels de traitement des données biométriques (comme celui utilisé par l’Union européenne pour les migrants), avec la numérisation des empreintes digitales. Cependant, les numériser ne suffit pas : il faut également se doter de programmes capables de les exploiter, en effectuant des recherches dans la base de données, mais aussi en réalisant des comparaisons susceptibles de correspondre aux empreintes digitales présentes dans les archives.
Les GAFAM sont à l’origine de la démocratisation actuelle de la biométrie – avec la généralisation sur les smartphones des systèmes de déverrouillage par reconnaissance faciale ou par empreinte digitale. Ces systèmes d’identification représentent pour eux un marché à haut potentiel, et ce d’autant plus qu’ils sont les seules organisations à disposer des ressources nécessaires pour prendre en charge les énormes bases de données requises. Nos petits laboratoires ne peuvent pas s’occuper de ce point, et nous travaillons donc plutôt sur la fiabilité et la sécurité des systèmes, en laissant le côté opérationnel aux géants !
Mais il faut tout de même rappeler que les enjeux ne sont pas les mêmes pour les GAFAM que pour le secteur de la sécurité. Lors d’une enquête criminelle, les empreintes digitales peuvent jouer un rôle décisif dans l’inculpation d’une personne, et une condamnation pour meurtre se traduit en une peine de prison à vie. Dans le cas d’un pirate informatique s’introduisant dans un téléphone, le pire serait la perte de données sensibles. La fiabilité des systèmes de reconnaissance biométrique utilisés au quotidien est donc bien moins grande.
À Télécom SudParis, nous étudions un secteur très récent : celui de la biométrie comportementale. L’objectif est de mettre au point des dispositifs capables d’identifier une personne en fonction de sa façon de marcher, ou de taper sur son clavier d’ordinateur. Les implications concernent là aussi davantage la personnalisation de l’environnement que la sécurité : imaginez que votre maison soit équipée d’un système de détection capable de reconnaître votre démarche grâce à des capteurs placés sous la moquette, qui transmettraient automatiquement ces informations à un système chargé d’ajuster la température ou l’éclairage en fonction de vos préférences personnelles. Nous imaginons également la diffusion de cette technologie dans les établissements de soins de santé, afin d’améliorer le confort ou la sécurité des personnes handicapées ou âgées.
Authentification à double facteur
Le secteur des smartphones a également poussé la détection des empreintes digitales pour fournir aux banques en ligne un système d’authentification robuste. Puisque les données biométriques sont pour la plupart infalsifiables, elles sont beaucoup plus sûres pour les transactions bancaires qu’un mot de passe ou un code PIN, qui peuvent être volés ou découverts relativement facilement. En outre, une personne emporte avec elle ses informations biométriques partout où elle va.
Après le 11-Septembre, la sécurité biométrique a connu un véritable essor, parce que l’on pensait qu’il s’agissait d’une méthode d’identification infaillible ; mais en réalité, certaines données peuvent techniquement être usurpées. On peut voler des empreintes digitales à partir de traces sur une surface, ou reconstituer un visage grâce à des images trouvées en ligne. Mais dans ce cas, la victime est ciblée : il n’est pas encore possible d’imaginer une cyberattaque massive, impliquant la violation des données personnelles de milliers de personnes à la fois.
Un système de double authentification permet de contrer ce phénomène, et c’est pour cela que de nombreux systèmes utilisent à la fois les empreintes digitales et le code PIN. Mais il existe en réalité beaucoup d’autres façons de collecter des traits physiologiques : visage, iris, voix, mouvements des lèvres… Ils sont plus ou moins fiables, mais ce n’est pas forcément le facteur déterminant. C’est l’étape de l’acquisition des données qui peut être la plus complexe : par exemple, la détection de l’iris, qui est l’un de mes domaines d’expertise, ne peut se faire sans utiliser une caméra spéciale.
Le problème de l’acceptabilité
L’un des plus grands défis que nous rencontrons reste cependant d’arriver à rassurer les populations sur la sécurité de leurs données biométriques. La question des données personnelles n’est pas traitée de la même manière selon l’endroit où l’on se trouve dans le monde. En Chine, l’État conserve le dossier ADN de chaque citoyen dès la naissance. Les États-Unis sont également plus permissifs que l’Europe, alors qu’en France, et bien que l’idée d’une carte d’identité biométrique revienne sans cesse sur la table, la réticence des habitants empêche l’adoption du système.
Pour résoudre les problèmes d’acceptabilité, il serait utile d’expliquer comment fonctionne réellement la biométrie. Empreintes digitales et ADN ne fournissent pas du tout le même type d’information. Votre ADN peut être utilisé pour apprendre des choses sur vous (vos origines ou votre prédisposition à certaines maladies, par exemple), alors que votre empreinte digitale n’est qu’un facteur d’identification unique qui ne porte en lui-même aucune information spécifique sur vous.