Monter sur le podium peut être une question de centièmes de secondes. Pour maximiser les chances de rapporter des médailles, tous les facteurs doivent être optimisés. Les recherches de Rémi Carmigniani et de son équipe portent sur les sports nautiques dits « à rames » : natation, aviron, canoë et kayak. Dans ces disciplines, les athlètes utilisent une rame pour se déplacer à l’interface eau/air – en natation, cette rame correspond à la main et l’avant-bras.
Cet article a été publié en exclusivité dans notre magazine Le 3,14 sur la science et le sport.
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Relation vitesse-cadence : les sports « à rames »
Pour faire varier leur vitesse moyenne, les nageurs jouent principalement sur la vitesse d’exécution d’un mouvement périodique avec leurs bras – appelé cadence. Plus la cadence est élevée, plus la vitesse moyenne est élevée. Pour étudier cette relation en natation, un test est effectué dans un bassin : un 10 × 25 m progressif avec un départ toutes les trois minutes. La cadence et la vitesse sont mesurées à chaque passage. En natation, la vitesse évolue comme la racine de la cadence à des vitesses élevées1.
L’objectif : améliorer la compréhension2 de l’évolution de la vitesse en fonction de la cadence et la mettre en relation avec la puissance délivrée au niveau des bras pour avancer. Pour l’instant, des mesures macroscopiques (c’est-à-dire la vitesse moyenne, la cadence moyenne et la force totale en nage dite attachée) ont été effectuées, mais elles seront suivies de mesures des forces dynamiques au niveau des mains à l’aide de jauges de contrainte et de la cinétique du mouvement avec des mesures inertielles. Un modèle général permettant d’expliquer les différents régimes observés sera ensuite proposé. Ce projet est soutenu par la Fondation EDF.
Pendant les phases dites actives, le corps du nageur est soumis à des forces de résistance supplémentaires qui augmentent généralement la résistance dans l’eau3. Par exemple, lors d’une ondulation, en raison de la déformation de son corps, le nageur doit lutter – en plus de la résistance passive de son corps non déformé – contre une force supplémentaire qui est également quadratique avec la vitesse et dépend de la forme de l’ondulation. En natation, contrairement à d’autres sports « à rames », le nageur est à la fois la coque et la rame.
Une classification et une quantification des différentes formes de résistances actives pour les sports à rames sont en cours.
Un suivi intégral des nageurs
Ce projet a débuté en 2018 dans le cadre de l’ANR NePTUNE (ANR-19-STHP-0004). Les particularités de la natation sont l’absence de matériel (pas de coque de bateau ou de rame, juste le corps de l’athlète) et la présence de l’interface eau/air rendant complexe l’utilisation d’équipements. Cet équipement peut comprendre des centrales inertielles (petits boîtiers étanches de la taille d’une pièce de 2 € contenant des gyroscopes et accéléromètres qui sont fixés directement sur le nageur) et des capteurs de forces. Ils peuvent perturber la course du nageur et même avoir des conséquences sur leurs sensations…
L’un des principaux sujets abordés est l’étude du départ du nageur, et l’optimisation de sa trajectoire.
Pour seconder ces instruments, le bassin de l’INSEP a été équipé de vingt caméras (qui filment à une fréquence de 50 Hz). Dix sont placées en surface tous les cinq mètres et dix sous l’eau. Les données captées par ces caméras sont utilisées par des programmes d’apprentissage automatique pour suivre les nageurs. Les mesures de force permettent d’expliquer les observations par la physique et de trouver des paramètres permettant de caractériser la position du nageur ainsi que sa vitesse et son accélération.
L’un des principaux sujets abordés est l’étude du départ du nageur, et l’optimisation de sa trajectoire. Le départ peut être assez compliqué à optimiser : le nageur part hors de l’eau sur le plot, puis perce la surface à une grande vitesse par rapport à sa vitesse de nage, s’enfonce sous l’eau d’environ un mètre avant de refaire surface, et le tout sur un temps caractéristique de cinq secondes et une distance horizontale de 15 mètres.
Pour la première partie, il faut essayer de comprendre le meilleur angle de décollage que le nageur doit avoir en sortie du plot. La trajectoire aérienne qui suit jusqu’à ce que le nageur entre dans l’eau est moins intéressante du point de vue de la physique, car elle peut être décrite par les équations classiques de la chute libre (la friction de l’air est négligeable). Ce qui est important dans cette phase est l’orientation que le nageur va réussir à donner à son corps pour entrer dans l’eau en tournant autour de son centre de masse.
Vient ensuite l’entrée dans l’eau : quel est le meilleur angle et quelle doit être l’orientation du corps ? Une fois que le nageur est sous l’eau, il s’éloigne de la surface et nous revenons à une situation plus simple physiquement parlant : les effets de l’interface eau/air deviennent négligeables. La question se pose alors de savoir quel est le meilleur moment pour commencer à se propulser.
Souvenez-vous : en se propulsant, le nageur génère des résistances supplémentaires ! Les vitesses dans cette phase étant élevées (près de 4 m/s) ; il ne faut pas déclencher ses ondulations trop tôt au risque de se pénaliser d’une plus grosse résistance et finalement de freiner plus fort en cherchant pourtant à accélérer. Mais attention, attendre trop longtemps peut également être pénalisant : on risque de s’enfoncer davantage et de devoir parcourir une plus grande distance pour remonter à la surface.
En général, en crawl, les nageurs déclenchent des ondulations lorsqu’ils atteignent le point le plus bas à l’apex de leur trajectoire. Ils ont ainsi une vitesse verticale nulle. La situation est différente en dos crawlé : ils commencent dès la phase de descente, car ils partent avec des vitesses beaucoup plus faibles.
Comment le nageur gère-t-il sa trajectoire ?
L’objectif final de ce projet, le travail de thèse de Charlie Prétot, qui est membre de l’équipe de Rémi Carmigniani, est d’aider les nageurs à optimiser leur trajectoire sur les 15 premiers mètres (la longueur sur laquelle les nageurs sont autorisés à être sous l’eau en compétition) au départ et aux virages. Faut-il sortir un peu avant les 15 mètres ? Maxime Grousset, vice-champion du monde du 100 m nage libre aux derniers Championnats du Monde, qui est suivi depuis environ un an dans le cadre de ce projet, a montré que son meilleur départ se produit lorsqu’il sort de l’eau entre 11 à 12 m. Ce projet vise à l’aider également à améliorer la trajectoire de ses virages. Depuis le début du projet, plus de 300 départs et virages ont été analysés sur une vingtaine de nageurs.
Depuis le début du projet, plus de 300 départs et virages ont été analysés sur une vingtaine de nageurs.
Pour les observations vidéo, le nageur est suivi à l’aide de plusieurs marqueurs sur le squelette : tête, mains, épaules, sternum, coudes, poignets, genoux et chevilles. Un réseau de neurones a été élaboré pour traquer automatiquement les départs, les virages et la nage sur les 15 premiers mètres.
Nager dans la Seine
Dans la perspective des épreuves de natation eau libre qui se dérouleront dans la Seine en 2024, plusieurs projets se focalisent sur cette discipline. Une analyse de l’interaction des nageurs dans un canal de 80 m de long à Chatou est en cours. L’objectif de ce projet est de comprendre, sur des modèles réduits, comment, en fonction de la position des nageurs, les sillages qu’ils créent influencent les autres nageurs à proximité. Comme en cyclisme, dans ce genre de courses, les nageurs peuvent profiter de l’aspiration des concurrents pour s’économiser ou même perturber un autre nageur. Ce travail est réalisé par Baptiste Bolon, ingénieur de recherche dans l’équipe de Rémi Carmigniani.
Un autre projet vise également à fournir des informations aux nageurs de l’Équipe de France d’eau libre sur les conditions de courses attendues : vitesse de l’écoulement dans la Seine et température de l’eau. Pour la vitesse, c’est la première fois qu’une course Olympique se déroule dans un fleuve depuis la réintroduction des courses en eau libre à Beijing en 2008. Pour la température, cela a un effet sur l’équipement (combinaison en néoprène ou en tissu) et sur la période d’affûtage deux semaines avant la course. Ce travail est réalisé avec Marion Cocusse, élève de l’École des Ponts et est soutenu par la Fondation EDF.
SCIENCES2024
Ce travail s’effectue dans le cadre du projet national SCIENCES2024 qui est un projet collectif en sciences fondamentales (mécanique, physique, mathématiques) dédié à la résolution de problèmes identifiés auprès de sportifs pour les accompagner dans leur quête de médailles aux Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Il est co-encadré par deux grandes écoles, l’École polytechnique (IP Paris) et l’École des Ponts et mené avec les Fédérations françaises d’aviron (FFA) et de natation (FFN). Ces projets sont liés à deux Projets Prioritaires de Recherche (PPR) pour les sports de très haut niveau : ANR-19-THPCA2024 et NePTUNE (ANR-19-STHP-0004).