Biocomputing : les promesses de l’ordinateur biologique
- Les ordinateurs biologiques (ou minicerveaux) sont des cultures 3D de tissus cérébraux et de neurones mimant la structure et les fonctions principales de notre cerveau.
- Cette technologie permettra de reproduire les performances computationnelles des meilleurs ordinateurs avec la sobriété énergétique du cerveau humain.
- A l’avenir, ces ordinateurs biologiques pourraient devenir des outils précieux pour la recherche fondamentale et l’étude de maladies typiquement humaines.
- Le développement de l’intelligence organoïde est permis par trois ruptures technologiques : l’électrophysiologie, l’intelligence artificielle et les organoïdes cérébraux.
Les progrès des neurosciences ouvrent la voie à la construction d’ordinateurs biologiques, faits à partir de neurones et de tissus cérébraux. Cette invention sera à la fois une rupture pour l’informatique et un outil pour la recherche fondamentale et l’étude des maladies humaines.
On les appelle parfois minicerveaux. Ces organoïdes cérébraux sont, en réalité, des cultures de tissus cérébraux en trois dimensions. Ils pourraient conduire à la prochaine révolution de l’informatique : la naissance de l’intelligence organoïde (IO).
Pour rappel, et contrairement à ce que son nom suggère, l’intelligence artificielle (IA) ne mime pas l’intelligence humaine. Elle fonctionne même de manière complètement différente. Il suffit de la regarder jouer aux échecs : elle sacrifie bien plus de pièces qu’aucun joueur humain1. Autre différence : sa consommation d’énergie. Ainsi, le record de capacité du superordinateur Frontier, hébergé aux Etats-Unis au sein du Laboratoire national d’Oak Ridge, affiche en juin 2022 une capacité de 1,1 exaflop (c’est-à-dire qu’il réalise jusqu’à 1,1 1018 opérations par seconde), une performance équivalente au cerveau humain. Toutefois, ce dernier opère avec 20 Watts tandis que le superordinateur américain exige 10MW…
Trois ruptures
L’intelligence organoïde (IO) promet, en revanche, de rapprocher les deux systèmes, en reproduisant les performances computationnelles des meilleurs ordinateurs et la sobriété énergétique d’un cerveau humain. Cette technologie se construit au carrefour de trois ruptures technologiques : l’électrophysiologie, l’intelligence artificielle et les organoïdes cérébraux.
L’électrophysiologie est indispensable pour communiquer avec les organoïdes cérébraux. Le défi est de trouver un système non-invasif qui rendra compte des multiples signaux électrochimiques présents chaque seconde dans la petite masse de tissus en culture. Pour cela, des chercheurs d’universités américaines proposent d’utiliser des électrodes en forme de cage2 ; une première solution de communication directe avec l’organoïde en culture.
Le développement de l’ordinateur biologique n’est qu’à ses balbutiements.
La question des électrodes est aussi importante pour le développement du tissu cérébral. Sans signaux, les organoïdes cérébraux ne se construisent pas en trois dimensions et demeurent inopérants. Les tissus nerveux doivent travailler pour fonctionner et les mécanismes cérébraux requièrent davantage qu’un simple signal électrochimique. La mémoire implique une réorganisation des réseaux de neurones et l’intervention d’autres cellules cérébrales, comme celles qui constituent la microglie, le système immunitaire spécifique du cerveau. Pour se développer, l’intelligence organoïde doit intégrer tous ces paramètres.
La deuxième rupture technologique qui rend possible l’IO est l’IA. Elle est indispensable pour explorer ce que ces systèmes biologiques pourront faire. Les cultures de tissus cérébraux produisent un très grand volume de données, à la fois spatialisées et structurées dans le temps. Les interpréter constitue un défi que les récents progrès de l’algorithmique pourront relever.
La dernière technologie sur laquelle repose le développement de l’IO, qui doit encore faire ses preuves, est celle qui permettra aux organoïdes cérébraux de changer d’échelle. Actuellement, les plus grosses cultures de tissus cérébraux mesurent quelques millimètres et contiennent, au maximum, 15 000 neurones. Les faire grossir implique de les protéger contre le manque d’oxygène, auquel les neurones sont très sensibles. Pour cela, il faut réussir à les perfuser, à s’assurer que chaque cellule est connectée à un accès en oxygène et en nutriments, comme le réseau sanguin l’assure in vivo. La microfluidique semble capable de constituer cette perfusion, mais cette technologie n’a pas encore été transposée aux organoïdes cérébraux. Ce transfert technologique permettra de passer d’une culture de la taille d’un cerveau de mouche à une autre comparable à celui d’une souris.
Des applications fondamentales
Ces systèmes vont-ils remplacer nos ordinateurs ? Pas dans un avenir proche. En 2019, une équipe japonaise a su faire communiquer deux organoïdes cérébraux3. Difficile de prédire la suite, beaucoup d’équipes travaillent sur le sujet, les développements peuvent être inattendus.
On espère néanmoins que les premiers systèmes d’IO seront des outils pour la recherche en neuroscience. Les ordinateurs biologiques pourraient aider à expliquer comment un cerveau arrive à traiter des informations incomplètes par exemple.
Ils pourraient également contribuer à élucider les mécanismes de la démence, du syndrome d’Asperger ou d’autres conditions cérébrales typiquement humaines. Il est actuellement très difficile d’avoir des modèles de laboratoires acceptables pour ces situations. L’éthique par exemple interdit – bien entendu – d’étudier l’effet d’une molécule qui perturbe la mémoire sur des humains… Les organoïdes cérébraux constituent une alternative pour ces recherches.
L’IO pose aussi par elle-même des questions éthiques : quels systèmes pourraient risquer de ressentir de la douleur ? Quels protocoles permettront d’évaluer l’intelligence d’une culture ? Ces problématiques doivent être anticipées et les spécialistes de l’IO se sont engagés à les intégrer aux développements des aspects techniques en signant la convention de Baltimore en 20224. Le développement de l’ordinateur biologique n’est qu’à ses balbutiements.