Batteries quantiques : il est possible de repenser le stockage de l’énergie
- Les batteries quantiques pourraient permettre d’accélérer le temps de charge, voire même de récolter l’énergie de la lumière.
- Contrairement aux batteries électrochimiques qui stockent les ions et les électrons, une batterie quantique stocke l’énergie des photons.
- Les batteries quantiques se chargent plus rapidement à mesure que leur taille augmente grâce à des effets quantiques comme l’intrication et la superabsorption.
- Elles ne pourront pas alimenter des véhicules électriques, mais pourraient améliorer l’efficacité des cellules solaires et être utilisées pour de petits appareils électroniques.
- À terme, l’enjeu est de faire évoluer ces batteries, car ces dispositifs pourraient servir de véritables petites sources d’énergie hors réseau.
Une batterie est un dispositif qui stocke de l’énergie : une batterie quantique ne fait pas exception, sauf qu’il s’agit d’un système mécanique quantique qui stocke l’énergie des photons plutôt que des électrons et des ions, comme c’est le cas pour les batteries électrochimiques conventionnelles. Contrairement aux batteries normales, les batteries quantiques se chargent plus rapidement à mesure que leur taille augmente grâce à des effets quantiques tels que l’intrication et la superabsorption – une propriété qui pourrait s’avérer utile pour fabriquer des dispositifs de collecte de lumière plus efficaces, comme les cellules solaires.
Plusieurs équipes de recherche dans le monde travaillent sur le concept de la batterie quantique, qui a été formellement proposé pour la première fois il y a tout juste 10 ans par Robert Alicki de l’université de Gdańsk en Pologne et Mark Fannes de la KU Leuven en Belgique. Ces dispositifs tirent parti des particules quantiques, qui peuvent se trouver simultanément dans une superposition de plusieurs états, contrairement aux particules classiques qui ont des propriétés définies. Les particules quantiques peuvent également avoir un effet sur d’autres particules isolées, l’état de l’une influençant instantanément l’état des autres, quelle que soit la distance qui les sépare. Ce phénomène, connu sous le nom d’« intrication », permet à une batterie quantique de se recharger plus rapidement, car plus le nombre de particules intriquées est élevé, plus ces particules passent collectivement et rapidement d’un état de basse énergie à un état de haute énergie1.
Les batteries quantiques pourraient être exploitées pour améliorer l’efficacité des cellules solaires.
L’année dernière, James Quach et ses collègues de l’université d’Adélaïde en Australie, et d’autres, ont démontré que ce concept fonctionne même si toutes les particules quantiques des systèmes ne pouvaient pas être complètement intriquées. Basée sur une version simplifiée d’un modèle créé par une équipe de l’Institut italien de technologie de Gênes2, leur batterie comprend des molécules d’un colorant organique semi-conducteur, connu sous le nom de Lumogen F Orange, qui sont toutes identiques et possèdent un état de basse énergie et un état de haute énergie. Lorsqu’elle est exposée à une lumière d’une certaine longueur d’onde, une molécule dans l’état de basse énergie peut absorber un photon et passer à l’état excité.
Un réflecteur de Bragg distribué
James Quach et ses collègues ont placé les molécules entre deux miroirs très réfléchissants, de la taille d’un micron, dans un dispositif connu sous le nom de réflecteur de Bragg distribué (qui consiste en plusieurs couches alternées de matériaux diélectriques). Ils ont ensuite chargé ces molécules avec de la lumière laser. Pour s’assurer que les molécules absorbent efficacement les photons, ils les ont suspendues dans une matrice de polymère inerte.
Les chercheurs ont ainsi observé que la vitesse à laquelle la cavité miroir absorbait la lumière – c’est-à-dire la vitesse à laquelle le système se chargeait – dépassait de loin ce qui serait possible si chaque molécule absorbait la lumière individuellement sans aucune intrication3. Cet effet est connu sous le nom de « superabsorption » et se produit grâce au fait que toutes les molécules agissent collectivement par superposition quantique. Ils ont également constaté que le temps de charge diminuait à mesure qu’ils augmentaient la taille de la microcavité, et donc le nombre de molécules.
Avec un milliard de molécules supplémentaires, une batterie quantique fournirait assez d’énergie pour éclairer une diode électroluminescente.
Comme tout autre système quantique, la batterie devra être isolée de son environnement avant de pouvoir être mise à l’échelle. Cela est dû à un phénomène appelé « décohérence », qui est la transition à partir de laquelle un système quantique commence à se comporter comme un système classique. À court ou moyen terme, il est donc peu probable que les batteries quantiques puissent alimenter des objets de grande taille comme des véhicules électriques. « Elles pourraient toutefois être exploitées pour améliorer l’efficacité des cellules solaires en améliorant la capture de l’énergie de faible luminosité dans les matériaux photovoltaïques », explique James Quach. Dans ce contexte, une petite quantité de décohérence peut en fait être bénéfique pour le stockage de la charge, car elle empêcherait les effets quantiques qui déchargent rapidement la batterie.
« Cependant, nous avons encore beaucoup de travail à faire avant de pouvoir exploiter la superabsorption de manière fiable en dehors du laboratoire. », admet-il. « Par exemple, les cellules solaires et les caméras actuelles peuvent stocker l’énergie provenant d’une large gamme de longueurs d’onde, alors que notre batterie quantique ne peut absorber la lumière qu’à une longueur d’onde spécifique. Nous sommes cependant convaincus que nous pouvons faire évoluer le système et produire des dispositifs facilement intégrables dans les technologies existantes. »
De nombreux défis restent à relever
Si, en principe, les batteries quantiques pourraient contribuer à la transition énergétique, de nombreux défis restent à relever. L’un d’entre eux consiste à trouver un moyen de maintenir le bon niveau d’énergie qu’elles peuvent stocker et de le libérer de manière simple et fiable.
Autre point, et pas des moindres : la cavité moléculaire mise au point par James Quach et ses collègues ne stocke que des photons de lumière. Pour convertir cette lumière en électricité utilisable, ils doivent incorporer une couche conductrice dans laquelle les électrons des molécules chargées peuvent être transférés. De nombreuses autres molécules devront également être ajoutées dans le système. Avec un milliard de molécules supplémentaires, par exemple, une batterie quantique pourrait être en mesure de fournir suffisamment d’énergie pour éclairer une diode électroluminescente. Ces dispositifs pourraient également être utilisés dans de petits appareils électroniques comme des montres, des téléphones, des tablettes ou des ordinateurs portables – en fait, tout produit qui a besoin de l’énergie stockée.
À terme, les chercheurs souhaitent évidemment faire évoluer leurs batteries. L’enjeu est de taille, car ces dispositifs pourraient servir de petites sources d’énergie hors réseau et alimenter les appareils de l’internet des objets (Internet of Things). Ils seraient similaires aux panneaux solaires et aux batteries actuels, mais comme les fonctions de charge et de stockage sont logées dans un seul système, ils seraient plus simples à intégrer et à utiliser.
« L’objectif est de produire de tels dispositifs d’ici trois à cinq ans » précise James Quach.