Accueil / Chroniques / « Workload » : la subtile harmonie entre préparation et performance
Athletic woman resting after a hard training in the mountains at
π Santé et biotech

« Workload » : la subtile harmonie entre préparation et performance

Jacques Prioux
Jacques Prioux
professeur en Sciences du sport à l'ENS Rennes
En bref
  • Dans l’idée d’optimiser la performance sportive, le concept de charge de travail a fait son apparition.
  • Le but : trouver un équilibre entre l’amélioration de la performance sportive et la préservation de l’intégrité physique du sportif, en s’intéressant à la charge de travail interne et externe.
  • De nombreux outils technologiques permettent de mesurer précisément cette charge de travail externe (la mesure objective du travail effectué pendant l’effort par le sportif).
  • Ces données récoltées à l’entraînement ou à la compétition ne servent que si l’on établit le lien entre la charge de travail, les performances et les potentielles blessures.
  • Or, chaque organisme réagit différemment à un même protocole, la difficulté reste donc de modéliser cette relation dose-réponse et de proposer des outils aux entraîneurs.

Lors d’une com­péti­tion, le plus impor­tant sem­ble être la final­ité : le résul­tat pro­duit face au pub­lic. Seule­ment, attein­dre ce résul­tat exige une cer­taine pré­pa­ra­tion. De plus en plus, les recherch­es se mul­ti­plient pour mieux com­pren­dre le corps d’un sportif et les proces­sus de pré­pa­ra­tion à éla­bor­er. Aujourd’hui, dans le monde du sport de haut niveau, chaque mou­ve­ment est scruté et chaque vic­toire est le résul­tat d’un tra­vail acharné et d’une pré­pa­ra­tion méticuleuse.

Cet arti­cle a été pub­lié en exclu­siv­ité dans notre mag­a­zine Le 3,14 sur la sci­ence et le sport.
Décou­vrez-le ici.

Un con­cept est ain­si apparu : le work­load (la charge de tra­vail) [ndlr : ou train­ingload/charge d’entraînement]. « Il y a, depuis quelques années, une aug­men­ta­tion expo­nen­tielle du nom­bre de pub­li­ca­tions sci­en­tifiques sur ce con­cept », explique Jacques Pri­oux, pro­fesseur des uni­ver­sités à l’École nor­male supérieure de Rennes. C’est là que la véri­ta­ble bataille se déroule, dans la ges­tion minu­tieuse de cette charge de tra­vail — un équili­bre déli­cat à trou­ver entre l’amélioration de la per­for­mance sportive et la préser­va­tion de l’intégrité physique du sportif. 

« Il existe deux types de charge de tra­vail : l’externe et l’interne, développe-t-il. Glob­ale­ment, la charge de tra­vail externe est le plus sou­vent quan­tifiée à l’aide de cap­teurs (GPS, LPS…). Elle cor­re­spond à la mesure objec­tive du tra­vail effec­tué par l’athlète pen­dant l’entraînement ou la com­péti­tion. La charge de tra­vail interne cor­re­spond à la réponse indi­vidu­elle de l’organisme face aux exi­gences imposées par la charge externe. Elle peut, par exem­ple, être quan­tifiée en util­isant dif­férents paramètres phys­i­ologiques et/ou biologiques. » Pour que le sportif soit dans la meilleure forme physique pos­si­ble, il est impor­tant d’étudier la rela­tion entre la charge de tra­vail externe et celle qui est spé­ci­fique au sportif, la charge de tra­vail interne.

Le monitoring

Pour observ­er et com­pren­dre la charge de tra­vail externe, les chercheurs ont besoin d’analyser l’activité des sportifs en con­di­tions d’entraînement et de com­péti­tion. « La tech­nolo­gie joue un rôle très impor­tant, avoue le pro­fesseur. C’est elle, et l’ensemble des out­ils qu’elle nous offre, qui nous per­met le mon­i­tor­ing. » Ain­si dif­férents cap­teurs, comme le GPS (glob­al posi­tion­ing sys­tem) pour les sports Out­door (Foot­ball, Rug­by…) ou le LPS (local posi­tion­ing sys­tem) pour les sports Indoor (Hand­ball, Vol­ley­ball…), per­me­t­tent une analyse extrême­ment pré­cise de l’activité des sportifs. Quelle dis­tance par­cou­rue ? À quelle vitesse ? Com­bi­en d’accélérations ? De décéléra­tions ? Et cetera. « Plus nous sommes proches du haut niveau, plus ces infor­ma­tions devi­en­nent cru­ciales, insiste-t-il. J’encadre actuelle­ment une thèse au cours de laque­lle nous tra­vail­lons sur des don­nées issues des joueuses du Brest-Bre­tagne Hand­ball, i.e., le plus haut niveau européen féminin. Elles sont toutes équipées de cen­trale iner­tielle (autre cap­teur disponible) à l’entraînement. »

Ain­si, il est pos­si­ble de com­pren­dre pré­cisé­ment le tra­vail effec­tué par un sportif en con­di­tion d’entraînement. Ce qui per­met une pro­gram­ma­tion bien plus opti­male. « Il serait tout autant intéres­sant d’obtenir ces mêmes don­nées en con­di­tion de com­péti­tion, admet Jacques Pri­oux. Seule­ment, le coût des investisse­ments pour équiper les stades, les gym­nas­es et les joueurs de ces tech­nolo­gies est très élevé. » Ces don­nées, bien qu’importantes, restent sans valeur si elles ne sont pas mis­es en rela­tion avec l’impact de cette charge de tra­vail sur le sportif en ques­tion. « La charge de tra­vail n’a d’intérêts que si nous étu­dions les rela­tions qu’elle noue avec les per­for­mances, mais aus­si avec les poten­tielles blessures », main­tient le professeur.

Individualiser l’entraînement

Il est bien con­nu que chaque organ­isme est dif­férent. Pour une même charge de tra­vail, le ressen­ti peut ne pas être le même. Et chaque organ­isme ne demande pas le même tra­vail de pré­pa­ra­tion pour opti­miser les per­for­mances tout en lim­i­tant les blessures. C’est en cela que l’analyse de la charge de tra­vail interne mon­tre son impor­tance, et de nom­breux out­ils sont à la dis­po­si­tion des chercheurs pour la quan­ti­fi­er. « À la fin d’un entraîne­ment col­lec­tif de hand­ball, ­nous deman­dons, par exem­ple, aux joueuses d’évaluer le niveau de dif­fi­culté de la séance sur une échelle de 1 à 10, relate le pro­fesseur. Si une joueuse note la séance à 5, alors qu’une autre la note à 10, nous avons déjà un élé­ment de com­para­i­son impor­tant : l’état de forme des deux joueuses n’est prob­a­ble­ment pas le même. »

Dans cet exem­ple, pour une charge de tra­vail externe con­sid­érée comme sim­i­laire, le ressen­ti dif­fère entre les deux joueuses. Cette don­née peut ensuite être cou­plée à d’autres don­nées phys­i­ologiques, comme la con­som­ma­tion d’oxygène, la fréquence car­diaque ou la con­cen­tra­tion d’acide lac­tique, pour objec­tiv­er l’effort fourni durant l’entraînement.  

Relation entre la dose et la réponse

Ici, la dose cor­re­spond à la charge de tra­vail et la réponse cor­re­spond à la per­for­mance ou aux blessures. Théorique­ment, si la charge de tra­vail pro­posée à l’entraînement est trop faible, le niveau de forme de l’athlète sera prob­a­ble­ment inférieur à celui obtenu pour une charge de tra­vail plus élevée. Pour autant, une charge de tra­vail trop élevée peut provo­quer des effets négat­ifs, en ter­mes de fatigue par exem­ple, sur l’organisme du sportif. La dif­fi­culté est donc d’identifier puis d’utiliser la charge de tra­vail adéquate. « Si vous pro­posez une charge de tra­vail trop élevée à l’entraînement, le niveau de fatigue induit le sera égale­ment, développe Jacques Pri­oux. Le risque est alors de ne pas amélior­er votre niveau ini­tial de per­for­mance et de con­tracter une blessure. Si la charge de tra­vail pro­posée à l’entraînement est adéquate, le niveau de fatigue induit per­me­t­tra une récupéra­tion opti­male, favorisant une amélio­ra­tion de votre niveau ini­tial de per­for­mance et réduisant le risque de blessure. »  

Cette rela­tion dose-réponse fait l’objet de nom­breuses recherch­es sci­en­tifiques util­isant notam­ment l’intelligence arti­fi­cielle. L’objectif de ces travaux sci­en­tifiques est de mod­élis­er cette rela­tion dose-réponse et de pro­pos­er des out­ils aux entraîneurs pour les aider à plan­i­fi­er et à indi­vid­u­alis­er les entraîne­ments qu’ils pro­posent à leurs ath­lètes. « Il reste cepen­dant énor­mé­ment de pro­grès à faire dans ce domaine, mais l’objectif sem­ble de plus en plus réal­is­able », con­clut le pro­fesseur.

Pablo Andres

Le monde expliqué par la science. Une fois par semaine, dans votre boîte mail.

Recevoir la newsletter