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Andrew Steele
π Santé et biotech

Trois moyens pour inverser les horloges du vieillissement

Andrew Steele
Andrew Steele
docteur en physique à l'Université d'Oxford, auteur et chroniqueur chez Polytechnique Insights
En bref
  • Les scientifiques comprennent mieux que jamais la biologie fondamentale concernant le vieillissement. Le plus excitant dans ces recherches serait de savoir comment nous pouvons ralentir ou même inverser les changements biologiques liés à l’âge.
  • L'étude de la télomérase est un aspect majeur de la recherche sur le vieillissement. Une idée selon laquelle on peut allonger les télomères pour ramener les cellules à une forme plus jeune.
  • Une autre théorie consiste à éliminer les cellules "sénescentes" (responsables du vieillissement) afin de pouvoir vivre plus longtemps et en meilleure santé.
  • Enfin, une solution pourrait être la reprogrammation cellulaire, qui consiste à prendre n'importe quelle cellule de notre corps et à la convertir en "cellule pluripotente" pour remplacer les cellules endommagées.

Pour beau­coup d’en­tre nous, le proces­sus de vieil­lisse­ment est un fait. Le risque de mourir pour un être humain aug­mente de 10 % chaque année en rai­son du tic-tac inces­sant de l’hor­loge biologique. La vieil­lesse aug­mente le risque de mal­adies liées à l’âge : le can­cer et la démence, la fragilité physique, la perte de la vue, l’ouïe ou la mémoire, et bien plus encore.

Toute­fois, ce proces­sus n’est peut-être pas aus­si inéluctable que nous l’imag­i­nons. Les sci­en­tifiques com­pren­nent mieux que jamais aujourd’hui les proces­sus fon­da­men­taux qui nous font vieil­lir1 et, ce qui est plus pas­sion­nant, com­ment nous pou­vons ralen­tir ou même invers­er les change­ments biologiques liés au vieillissement.

Voici trois idées à suiv­re qui pour­raient un jour faire reculer votre hor­loge biologique.

1. Télomérase : revitaliser notre ADN

L’un des domaines de recherche le plus con­nu sur le vieil­lisse­ment est l’é­tude des « télomères » : des capu­chons pro­tecteurs qui garan­tis­sent l’in­tégrité des extrémités de notre ADN. Cepen­dant, de nom­breuses cel­lules de notre corps se divisent en per­ma­nence : des tis­sus tels que la peau, le sang et la paroi de nos intestins doivent être con­stam­ment rem­placés parce qu’ils s’usent, et les nou­velles cel­lules fraîche­ment divisées rem­pla­cent les cel­lules anci­ennes. Mal­heureuse­ment, la divi­sion cel­lu­laire a un coût pour nos télomères : ils rac­cour­cis­sent chaque fois qu’une cel­lule se divise.

Plus vous vivez longtemps, plus vos cel­lules se seront divisées et plus vos télomères seront courts en moyenne. La mesure de la longueur des télomères n’est pas seule­ment un moyen de déter­min­er votre âge, les télomères sem­blent égale­ment jouer un rôle causal dans le vieil­lisse­ment. Des télomères plus courts aug­mentent le risque de mal­adies liées à l’âge, et des études menées sur des jumeaux iden­tiques ont mon­tré que celui qui avait des télomères plus courts risquait de mourir plus tôt2.

Dans les années 1990, les sci­en­tifiques se sont donc ent­hou­si­as­més pour la télomérase : une enzyme capa­ble d’al­longer les télomères et, peut-être, de raje­u­nir les cel­lules par la même occa­sion. Mal­heureuse­ment, sa répu­ta­tion d’« enzyme de l’im­mor­tal­ité » n’a pas fait long feu : des expéri­ences sur des souris ont mon­tré que la télomérase don­nait effec­tive­ment à leurs cel­lules la capac­ité de se divis­er beau­coup plus sou­vent, mais au prix d’une aug­men­ta­tion mas­sive­ment du risque de la mal­adie mortelle dont la divi­sion cel­lu­laire exces­sive est le modus operan­di : le can­cer3.

Heureuse­ment, tous les chercheurs n’ont pas aban­don­né la télomérase comme thérapie poten­tielle. Au cours des dix à quinze dernières années, cer­tains ont mon­tré qu’elle pou­vait pro­longer la vie des souris si elle était asso­ciée à des mesures visant à réduire le risque de can­cer, ou si elle était util­isée de manière inter­mit­tente plutôt que con­tin­ue, comme c’é­tait le cas dans les pre­mières expériences.

La prochaine étape : essay­er cer­taines de ces idées chez l’homme4.

2. Traitements sénolytiques : tuer les cellules âgées

En prenant de l’âge, cer­taines de nos cel­lules devi­en­nent « sénes­centes » – le terme sci­en­tifique pour désign­er le vieil­lisse­ment – et, ce faisant, elles peu­vent accélér­er le vieil­lisse­ment du reste de notre organ­isme. Nous savons main­tenant que les cel­lules sénes­centes ne sont pas seule­ment des témoins neu­tres du proces­sus de vieil­lisse­ment, ou l’équiv­a­lent cel­lu­laire des bou­gies sur un gâteau d’an­niver­saire, mais qu’elles émet­tent un cock­tail tox­ique de molécules qui peu­vent aug­menter le risque de mal­adie car­diaque, de can­cer, de déclin cog­ni­tif, et bien plus encore.

La bonne nou­velle : il ne doit pas for­cé­ment en être ain­si. Les sci­en­tifiques ont imag­iné un cer­tain nom­bre de moyens dif­férents pour tuer ces cel­lules, tout en lais­sant sauves les autres cel­lules du corps. L’idée la plus avancée : celle des médica­ments « sénoly­tiques », dont les pre­miers ont été décou­verts en 20155. Plusieurs font déjà l’ob­jet d’es­sais clin­iques chez l’homme.

Une étude de 20186 a mon­tré que les sénoly­tiques ont eu plusieurs effets sur des vieilles souris : les ani­maux ont vécu plus longtemps – un bon début -, mais ils ont égale­ment vécu plus jeunes, avec moins de risques de mal­adie, moins de fragilité physique (con­statée par leurs per­for­mances « sportives » sur de minus­cules appareils de gym­nas­tique), une meilleure cog­ni­tion et même une meilleure qual­ité de four­rure ! Ces résul­tats sug­gèrent que les cel­lules sénes­centes ne sont pas seule­ment respon­s­ables d’un seul aspect du vieil­lisse­ment, mais qu’elles ont des effets sur plusieurs voire les facettes de celui-ci. Cela sig­ni­fie que l’élimination de ces cel­lules pour­rait avoir des effets préven­tifs éten­dus sur de nom­breuses mal­adies différentes.

Plus d’une ving­taine d’en­tre­pris­es cherchent à ce jour à com­mer­cialis­er des traite­ments sénoly­tiques7, qu’il s’agisse de médica­ments, de pro­duits chim­iques appelés pep­tides, ou d’en­cour­ager notre sys­tème immu­ni­taire à élim­in­er ces cel­lules aber­rantes. Cette diver­sité de traite­ments sig­ni­fie que nous dis­posons d’un large éven­tail d’op­tions au cas où cer­taines approches ne fonc­tion­neraient pas – et que les sénoly­tiques con­stituent une option promet­teuse en tant que pre­mier véri­ta­ble traite­ment anti-âge.

3. Reprogrammation cellulaire : faire reculer l’horloge biologique

La repro­gram­ma­tion cel­lu­laire peut sem­bler relever de la sci­ence-fic­tion, mais elle est prob­a­ble­ment l’idée la plus séduisante dans le domaine du vieil­lisse­ment à l’heure actuelle. Mais en savons-nous suff­isam­ment pour pass­er des résul­tats obtenus en lab­o­ra­toire à une tech­nolo­gie médi­cale util­is­able dans le monde réel ?

La tech­nique a été décou­verte au milieu des années 20008, lorsque le sci­en­tifique japon­ais Shinya Yamana­ka a essayé de com­pren­dre ce qui per­met aux cel­lules embry­on­naires de se trans­former en n’im­porte quel type de cel­lule du corps. Il a décou­vert qu’une com­bi­nai­son de seule­ment qua­tre gènes, con­nus aujour­d’hui sous le nom de « fac­teurs de Yamana­ka », suff­i­sait à faire pass­er n’im­porte quelle cel­lule du corps à l’état « pluripo­tent », pour qu’elle puisse se trans­former en n’im­porte quel type de cel­lule adulte. Je pour­rais pren­dre une cel­lule de peau de votre bras, utilis­er ces gènes pour la trans­former en une cel­lule souche pluripo­tente, puis « dif­férenci­er » cette cel­lule souche en n’im­porte quel type de cellule.

Yamana­ka a reçu le prix Nobel en 2012 pour cette décou­verte, et c’est alors que nous avons réal­isé à quel point ce proces­sus d’in­duc­tion de la pluripo­tence fait reculer l’hor­loge des cel­lules. Non seule­ment il remonte l’hor­loge du développe­ment, en ramenant la cel­lule à un état pluripo­tent, mais il sem­ble égale­ment réduire l’âge biologique des cel­lules, les ren­dant plus jeunes et plus saines de dif­férentes manières.

Trans­former toutes nos cel­lules en cel­lules souch­es serait une idée ter­ri­ble – j’aime que mes cel­lules cérébrales soient des cel­lules cérébrales -, mais la bonne nou­velle, est que si l’on active les fac­teurs de Yamana­ka de manière inter­mit­tente plutôt que con­tin­ue, une cel­lule peut raje­u­nir de quelques années sans se trans­former en un autre type de cel­lule9. Il a été démon­tré qu’en procé­dant de la sorte, on pou­vait amélior­er la san­té des souris atteintes d’une mal­adie qui les fait vieil­lir pré­maturé­ment, et régénér­er des tis­sus chez des souris adultes qui, nor­male­ment, ne guéri­raient cor­recte­ment qu’a­vant la naissance.

La tech­nique a même fait la une des jour­naux récem­ment lorsque quelques rich­es investis­seurs, dont le fon­da­teur d’A­ma­zon Jeff Bezos, ont créé une start­up de trois mil­liards de dol­lars appelée Altos Labs10 et ont recruté un cer­tain nom­bre des meilleurs sci­en­tifiques tra­vail­lant sur la repro­gram­ma­tion, y com­pris Yamana­ka lui-même. Reste à savoir si nous pou­vons trans­pos­er un phénomène observé chez des souris géné­tique­ment mod­i­fiées en lab­o­ra­toire à des êtres humains comme vous et moi. Trois mil­liards de dol­lars pour­raient suf­fire pour le découvrir.

1C. López-Otín, M. A. Blas­co, L. Par­tridge, M. Ser­ra­no, G. Kroe­mer, The hall­marks of aging. Cell. 153, 1194–1217 (2013)
2M. Kimu­ra et al., Telom­ere length and mor­tal­i­ty: a study of leuko­cytes in elder­ly Dan­ish twins. Am. J. Epi­demi­ol. 167, 799–806 (2008)
3S. E. Artan­di et al., Con­sti­tu­tive telom­erase expres­sion pro­motes mam­ma­ry car­ci­no­mas in aging mice. Proc. Natl. Acad. Sci. U. S. A. 99, 8191–8196 (2002)
4Researchers cure lung fibro­sis in mice with a sin­gle gene ther­a­py – Lifes​pan​.io
5Y. Zhu, et al., The Achilles’ heel of senes­cent cells: from tran­scrip­tome to senolyt­ic drugs. Aging Cell 14, 644–658 (2015)
6M. Xu, et al., Senolyt­ics improve phys­i­cal func­tion and increase lifes­pan in old age. Nat. Med. (2018) DOI:10.1038/s41591-018‑0092‑9.
7E. Dol­gin, Send in the senolyt­ics. Nat. Biotech­nol. (2020) DOI:10.1038/s41587-020–00750‑1
8K. Taka­hashi, S. Yamana­ka, Induc­tion of pluripo­tent stem cells from mouse embry­on­ic and adult fibrob­last cul­tures by defined fac­tors. Cell. 126, 663–676 (2006).
9A. Ocam­po et al., In Vivo Ame­lio­ra­tion of Age-Asso­ci­at­ed Hall­marks by Par­tial Repro­gram­ming, Cell 167, 1719–1733.e12 (2016)
10Meet Altos Labs, Sil­i­con Valley’s lat­est wild bet on liv­ing for­ev­er – Tech­nol­o­gy review

Auteurs

Andrew Steele

Andrew Steele

docteur en physique à l'Université d'Oxford, auteur et chroniqueur chez Polytechnique Insights

Après un doctorat en physique à l'université d'Oxford, Andrew Steele réalisa que le vieillissement était le défi scientifique le plus important de notre époque. Il a ainsi changé de domaine pour se tourner vers la biologie computationnelle. Après avoir passé cinq ans à utiliser l'apprentissage automatique pour étudier l'ADN et les dossiers médicaux du NHS, il est maintenant écrivain, auteur de Ageless : The new science of getting older without getting old, et présentateur plein temps.

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