Créer des adhésifs aussi puissants que ceux du gecko, des fils aussi solides que ceux des soies d’araignées, des détecteurs moléculaires aussi fins que l’odorat du requin… C’est ce que promet le biomimétisme. Mais pas seulement… Car au-delà du sensationnalisme de certains produits inspirés par la nature, le biomimétisme s’inscrit dans une éthique et une réflexion globale de l’innovation. « Le biomimétisme débute par la compréhension des systèmes biologiques, à l’échelle des molécules comme des espaces naturels. On peut ensuite transférer les connaissances acquises vers d’autres domaines d’application, c’est donc avant tout une méthode de conception. C’est aussi une philosophie. », explique Kalina Raskin, directrice générale du Ceebios (Centre d’études et d’expertise en biomimétisme).
« C’est une approche qui consiste à s’inspirer du vivant pour imaginer des solutions, compatibles avec les dynamiques écologiques », acquiesce Emmanuel Delannoy, pionnier du biomimétisme en France et spécialiste de la biodiversité. « Le vivant offre un cahier des charges pertinent au regard des enjeux économiques et écologiques contemporains », complète le spécialiste. En effet, il fonctionne sur le renouvellement des matières premières et stocke du CO2 dans une grande sobriété énergétique. « Le vivant ne fabrique des matériaux qu’à partir d’atomes abondants, à température et pression ambiantes avec une circularité très importante de la matière », précise Kalina Raskin. « Les formes de vie se sont adaptées à tous les milieux et contraintes. La durabilité est la question essentielle de cette longue histoire de co-évolution », insiste Emmanuel Delannoy.
Cette approche a déjà donné naissance à des produits proches des marchés comme des systèmes de propulsion inspirés du mouvement des poissons (les hydroliennes de EEL Energy1, les moteurs de FinX2 ou même les pompes cardiaques Corwave3), des produits destinés à l’agriculture issus de microalgues (les systèmes de capture de CO2 de CarbonWorks4, les antifongiques d’Immunrise5 ou les ingrédients bioactifs d’Algosource6) ou des insectes (produits de biocontrôles de M2i Life Science7) ou encore de nouvelles technologies (caméras inspirées de la rétine de Prophesee8, ou le stockage de données sur ADN par Biomemory9).
Les écosystèmes n’aiment pas les systèmes simplifiés
Pourtant, le biomimétisme ne dispose pas encore de label. Il n’a pas, aujourd’hui, vocation à verdir n’importe quel procédé ressemblant, même de loin, à un objet vivant. « On appelle cette tendance le biomiwashing », souffle Kalina Raskin. De plus en plus de produits « inspirés de la nature » fleurissent dans le commerce et relèvent davantage du storytelling que d’une approche scientifique. « L’utilisation de terminologies biomimétiques sans véritable assise scientifique décrédibilise l’approche », insiste la directrice du Ceebios.
Aujourd’hui, le biomimétisme fait l’objet d’une norme : l’ISO 18458, qui donne un cadre à l’utilisation de son vocabulaire. Le Ceebios, en partenariat avec l’ADEME et le Pôle Eco-conception de Saint-Etienne prépare également « un guide d’introduction au biomimétisme pour l’éco-conception ». Il s’agit pour Kalina Raskin « d’expliquer l’importance de la démarche et d’inviter les industriels à mesurer la part de biomimétisme dans leur processus ».
Emmanuel Delannoy propose d’aller plus loin. « Les écosystèmes n’aiment pas les systèmes simplifiés, remarque-t-il. Ils ont une tendance à la complexité et à la diversification, en constituant des équilibres et des partages de ressources. Cela va à l’encontre des modes de production industriels actuels, qui font la chasse à la diversité. » Le spécialiste imagine des systèmes dont l’efficacité ne sera pas mesurée sur la performance seule, mais la capacité à tendre vers davantage de complexité, de tolérance, de diversité et de sobriété. « Ce n’est pas forcément l’optimisation d’un produit de sortie qui compte mais l’équilibre du système », expose-t-il. Il pense par exemple à des systèmes logistiques associant des solutions complémentaires afin de s’adapter au terrain.
Le biomimétisme pourrait aussi se développer en élargissant ses modèles. Les objets biologiques les plus étudiés avec un angle biomimétique sont le gecko, le requin, le lotus, l’aigle, le martin pêcheur, le fugu japonais, la soie d’araignée, la nageoire de la baleine à bosse… « Les experts estiment que la terre hébergerait plus de 20 millions d’espèces. Or, seulement 2 millions sont identifiées et très peu ont été étudiées aux interfaces interdisciplinaires… », relève Kalina Raskin.
Un concept en plein développement
Aujourd’hui, les promoteurs du biomimétisme veulent intégrer la méthode aux boîtes à outils industrielles. « Pour passer de la singularité à un processus de routine, il faut qu’on démultiplie les modèles biologiques », complète Kalina Raskin.
En réponse, le Ceebios a créé un programme avec le Museum national d’Histoire naturelle (MNHN) financé par la Banque publique d’investissement. Il s’agit de réunir industriels et laboratoires de recherche pour adresser ensemble les enjeux. « Par exemple, on a besoin de nouveaux revêtements antifouling, de matériaux avec de meilleures résistances mécaniques, de nouveaux agents pour l’opacité des couleurs. Pour appréhender, ces problématiques industrielles, on noue des collaborations avec des chercheurs du MNHN afin de trouver des organismes dont on peut interroger la biologie », explique Kalina Raskin.
Le développement du concept progresse. Pour s’installer, il devra surmonter un risque important. « Il existe un tropisme fort vers les technologiques solutionnistes, l’idée qu’à tout problème il y a une solution a fortiori technologique, sans regard critique », analyse Emmanuel Delannoy. Ce genre de raisonnement ne semble pas compatible avec l’éthique du biomimétisme. « Il faut toujours se demander si c’est vraiment souhaitable, en articulant la réponse à un besoin réel aujourd’hui et la prise en compte des enjeux humains et écologiques à venir », insiste le spécialiste.