« Pas de vie normale sans vaccination massive »
Que peut-on attendre de l’évolution de l’épidémie dans les prochains mois ?
Jusqu’à fin décembre 2020, on s’attendait à ce que le premier trimestre 2021 soit difficile en raison de la période hivernale qui favorise la circulation des virus respiratoires, des rassemblement liés aux fêtes de fin d’année, et en raison de la faible immunité populationnelle. En France, 12% de la population a été infectée alors qu’il faudrait plus de 50% de personnes immunisées par vaccination ou par infection naturelle pour que le virus arrête de circuler de façon épidémique.
L’idée générale était néanmoins qu’avec l’arrivée des beaux jours au printemps, et avec la vaccination des plus fragiles, un retour progressif à une vie plus normale serait envisageable. La donne a changé depuis l’apparition du VOC au Royaume-Uni. C’est un variant du SARS-CoV‑2 dont la transmissibilité est supérieure de 50% à celle du virus habituel. Malgré les mesures en place au Royaume Uni, le nombre de cas a rapidement augmenté en décembre 2020 et les services hospitaliers ont été saturés, obligeant le gouvernement à imposer un confinement strict début janvier 2021. Le même scénario a été observé en Irlande.
Le VOC est plus transmissible, mais il ne semble pas plus pathogène. Les premières études suggèrent que les personnes infectées l’année dernière, ou vaccinées, seraient protégées de la même façon contre ce variant. Son émergence pourrait être due à une accumulation de mutations lors d’une infection chronique chez des patients avec un déficit immunitaire sévère, ou à un échappement immunitaire lorsque le virus est soumis à une pression sélective forte dans des zones à haute transmission. C’est peut-être ce qui s’est passé en Afrique du Sud et au Brésil où deux autres variants ont émergé. Ces deux variants sont plus inquiétants, car non seulement ils semblent plus transmissibles, mais ils échappent à la réponse immunitaire induite par une infection passée ou les vaccins actuellement utilisés.
La proportion de VOC parmi les cas en France a été estimée à 3,3% le 8 janvier. Avec une augmentation de 50% par semaine, on peut s’attendre à ce que le VOC soit devenu majoritaire fin février – début mars. Il faudra donc d’ici là prendre des mesures énergiques pour freiner sa progression, et entamer une course contre la montre pour vacciner les plus fragiles. La vaccination ciblera d’abord les plus de 75 ans comme population prioritaire, aux côtés des soignants. Au deuxième trimestre, la vaccination sera élargie à l’ensemble des personnes à risque de forme grave : les plus de 50 ans et les personnes atteintes de comorbidité. Puis l’ensemble de la population pourra être vacciné en deuxième partie d’année.
A quelle date le niveau d’immunité collective susceptible de stopper la circulation du virus sera-t-il atteint ?
Il y a des problématiques liées aux vaccins : une capacité de production incertaine, une demande forte et un niveau d’acceptabilité du vaccin modéré en France. En décembre dernier, une bonne moitié des Français ne voulait pas être vaccinée. Il faudra réévaluer ce chiffre une fois que l’on aura démontré que la vaccination est bien tolérée. Sans vaccination très large, il n’y aura pas de retour à une vie sociale et économique normale.
En décembre dernier, une bonne moitié des Français ne voulait pas être vaccinée.
Les habitudes sanitaires prises par la population diminuent-elles la circulation des autres maladies ou, au contraire, faut-il s’attendre à une recrudescence des agents pathogènes en raison de l’accroissement de la proximité homme-animal ?
Du fait des mesures d’hygiène, on observe une diminution de la circulation du virus de la grippe, du virus respiratoire syncytial, et un recul des virus responsables de gastroentérite. L’absence de grippe cette année peut se traduire l’année prochaine par une épidémie plus sévère, car l’immunité populationnelle n’aura pas été « re-boostée » cet hiver comme c’est le cas habituellement. De façon générale, les nouvelles habitudes d’hygiène seront bénéfiques sur le long terme pour les populations.
Pour ce qui concerne l’émergence et la diffusion de nouveaux virus, celles-ci sont liées à deux phénomènes : le franchissement de la barrière d’espèce avec le passage d’un nouvel agent infectieux de l’animal à l’homme puis la diffusion sous forme épidémique. Dès lors, tous les facteurs favorisant l’intensité des contacts animal-homme, ainsi que la densité et la mobilité des populations, sont de nature à accroître le nombre d’épidémies. De ce point de vue, les grands élevages de volaille ou de porcins sont des lieux d’incubation de nouveaux virus grippaux qui font porter une menace sur les humains.
Il faut ajouter à cela, en partie à cause du réchauffement climatique, l’augmentation de la densité des vecteurs que sont les moustiques. Parmi ces moustiques, Aedes egyptii est le vecteur efficace de transmission d’arbovirus comme la fièvre jaune, la dengue, le chikungunya ou le zika. En zone tempérée, son cousin, Aedes albopictus, connu sous le nom de moustique tigre est maintenant bien installé dans le Sud de la France et a été responsable de transmissions sur le sol français de dengue, chikungunya et zika à partir de cas importés.
La pandémie de SARS Cov‑2 a pris de court le monde entier. Comment se préparer à l’apparition de nouveaux virus ?
On a toujours été pris par surprise par les émergences virales. Elles ont souvent lieu à des endroits inattendus. Je pense par exemple au virus de la grippe H1N1 dont l’épidémie a démarré au Mexique (2009) alors que les grippes arrivent d’habitude de Chine. Je pense au coronavirus du MERS qui s’est révélé dans les pays du Golfe avec comme réservoir les dromadaires. Je pense à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2013 et 2014 alors que ces épidémies sont habituellement localisées en Afrique centrale et enfin au Zika, dont le virus est parti d’Asie du sud-est vers le Pacifique puis s’est répandu en Amérique latine entre 2013 et 2015.
Tout ceci pour dire que notre incapacité à prédire l’émergence de nouveaux virus nous oblige à mettre en place un système de surveillance extrêmement réactif pour être capable d’investiguer au plus vite un foyer épidémique naissant. Il est regrettable que les mesures très énergiques prises en Chine contre le SARS CoV‑2 à Wuhan aient été retardées d’un mois quand on voit que la Chine a été capable par la suite d’éliminer le virus de son territoire. A l’avenir, il faudra agir de manière préventive en installant une surveillance étroite de la circulation des agents infectieux dans le monde animal, et en limitant les contacts animal-homme dans les contextes où l’émergence de nouveaux agents est à craindre. Il s’agit par exemple de la chasse aux animaux sauvages ou de l’élevage industriel des volailles et des porcins.