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Qu’est-ce qu’une expérience de mort imminente ?

Charlotte Martial
Charlotte Martial
chercheuse en expériences de mort imminente à l'Université de Liège
En bref
  • Les expériences de mort imminente (EMI) sont des états de conscience altérés pouvant toucher tout le monde.
  • Les témoignages attestent quasiment tous d’une sensation de décorporation ou de la rencontre d’entités ; on appelle cela des éléments prototypiques.
  • Les EMI peuvent être vécues dans divers états : coma, anesthésie, syncope ou même orgasme.
  • Ce phénomène est encore mal compris, mais les scientifiques l’expliquent aujourd’hui par la synergie d’un pic d’activité électrique cérébrale et de la libération de certaines hormones.
  • Expliquer les expériences de mort imminente permettrait de mieux appréhender la conscience, son origine et sa construction.

Se voir en dehors de son corps, ren­con­tr­er des proches décédés, voir une lumière au bout d’un tun­nel… Ces images et sen­sa­tions sont racon­tées par des per­son­nes ayant approché la fron­tière entre la vie et la mort. Les expéri­ences de mort immi­nente n’ont réelle­ment intéressé la sci­ence qu’à par­tir des années 1970, pour­tant elles ne sont pas si rares et elles dis­ent quelque chose de notre con­science. Après la pub­li­ca­tion du livre La Vie après la vie, écrit par le médecin améri­cain Ray­mond Moody en 1975, les pre­mières études sci­en­tifiques sont pub­liées. Ce phénomène con­naît un véri­ta­ble pic d’intérêt depuis dix ans. L’équipe du Coma Sci­ence Group étudie les expéri­ences de mort immi­nente depuis une décen­nie, avec l’objectif de mieux com­pren­dre la conscience.

Cet arti­cle fait par­tie de notre mag­a­zine Le 3,14 sur la mort.
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Les expéri­ences de mort immi­nente (EMI) sont des états de con­science altérés qui peu­vent touch­er tout le monde, sans dis­tinc­tion d’âge, de sexe, de croy­ance ou de non-croy­ance religieuse. L’équipe a été ain­si regroupé env­i­ron 2 000 témoignages, partout dans le monde, avec une plus grande représen­ta­tion des pays fran­coph­o­nes et anglo­phones, afin d’obtenir une déf­i­ni­tion plus pré­cise. Les EMI sont des expéri­ences sub­jec­tives rich­es et intens­es, qui regroupent des élé­ments pro­to­typ­iques clairs : une sen­sa­tion de décor­po­ra­tion, la ren­con­tre d’entités, par­fois de per­son­nes décédées, la vision d’un tun­nel avec une lumière au bout. Chaque expéri­ence est per­son­nelle et unique, mais des dimen­sions récur­rentes sont nota­bles. Ce sont ces aspects pro­to­typ­iques qui dif­féren­cient les EMI d’autres états sub­jec­tifs, tels qu’un rêve étant, lui, vari­able à l’infini. Habituelle­ment, ces expéri­ences sont vécues de façon très pos­i­tive, mal­gré le con­texte menaçant.

Des conséquences importantes sur la vie des individus

Une grande var­iété d’états peut men­er à une EMI. Le plus sou­vent, la per­son­ne est en mort clin­ique, donc en arrêt car­diaque, mais le coma, les trau­ma­tismes, l’anesthésie, l’AVC sont par­fois à l’origine d’une expéri­ence de mort immi­nente. Il arrive que des indi­vidus expéri­mentent ce phénomène dans d’autres con­textes où leur vie n’est pas en dan­ger : en syn­cope, dans des états médi­tat­ifs, lors d’une forte anx­iété ou d’un orgasme. Par ailleurs, les per­son­nes ayant une propen­sion à vivre des états dis­so­ci­at­ifs sont plus sujettes à ces phénomènes. Il peut s’agir par exem­ple de faire une action de façon machi­nale, sans s’en ren­dre compte, jusqu’à un état plus intense, une sen­sa­tion de sor­tir de son corps.

Les expéri­ences de mort immi­nente ont des con­séquences impor­tantes sur la vie des per­son­nes, et pour la plu­part, elles sont large­ment pos­i­tives. Les indi­vidus rap­por­tent une peur atténuée de la mort, un état d’esprit plus altru­iste, moins matéri­al­iste et plus tourné vers le spir­ituel. Cepen­dant, 10 à 15 % des témoignages attes­tent de con­séquences néga­tives. Les EMI sont vécues comme trop extra­or­di­naires pour être inté­grées dans la vie par la suite. Des angoiss­es, du stress post-trau­ma­tique survi­en­nent alors. Le nom­bre d’EMI néga­tives pour­rait être sous-estimé, car elles ne sont pas néces­saire­ment partagées. 

Le pre­mier tra­vail du Coma Sci­ence Group est donc de déter­min­er de façon pré­cise les car­ac­téris­tiques des expéri­ences de mort immi­nente. D’autre part, le lab­o­ra­toire s’intéresse à la com­préhen­sion des poten­tielles bases neu­ro­phys­i­ologiques ou cog­ni­tives à l’origine de ces phénomènes. Que se passe-t-il dans le cerveau lors d’une expéri­ence de mort immi­nente ? Juste après l’arrêt car­diaque, il y a un pic d’activité élec­trique dans le cerveau, qui émet des ondes plus rapi­des dans cer­taines régions spé­ci­fiques, dont la région tem­poro-par­ié­tale, la zone asso­ciée à la con­science. Le cerveau serait en grande souf­france, mais juste avant et après l’arrêt du cœur, un pic d’activité élec­trique per­me­t­trait la généra­tion d’une EMI. Cela pour­rait être un mécan­isme de défense ou une façon pour le cerveau de faire face à cette souf­france phys­i­ologique. En par­al­lèle, cer­taines hor­mones ou neu­ro­trans­met­teurs, comme l’endorphine, sem­blent par­ticiper à la sen­sa­tion de bien-être. Toute­fois, ces expli­ca­tions sont pour la plu­part des hypothès­es. Bien que le phénomène soit de mieux en mieux com­pris, il reste beau­coup d’études à faire pour le prouver.

Des effets similaires avec les psychédéliques

Pour mieux com­pren­dre ce qu’il se passe dans le cerveau lors d’une mort clin­ique, l’équipe de chercheurs étudie les élec­troencéphalo­gramme (EEG) de patients, entre la vie et la mort. Les sci­en­tifiques récoltent ensuite les témoignages des patients sur­vivants. Par ailleurs, en lab­o­ra­toire, ils tra­vail­lent avec des sub­stances psy­chédéliques, pour ten­ter de repro­duire des expéri­ences sub­jec­tives ressem­blant aux EMI. Pour ce faire, des par­tic­i­pants sains (sans trou­bles par­ti­c­uliers et n’ayant jamais vécu d’EMI) pren­nent une dose de diméthyl­trypt­a­mine (DMT), de psilo­cy­bine, ou de két­a­mine. En croisant les résul­tats avec ceux d’une étude réal­isée par des experts en psy­chédéliques de l’Imperial Col­lege de Lon­dres, les sci­en­tifiques ont observé des chevauche­ments impor­tants entre les vécus sous DMT et lors d’EMI. Les mêmes images et sen­sa­tions revi­en­nent, comme la ren­con­tre d’entités ou le sen­ti­ment d’harmonie avec son envi­ron­nement. Cepen­dant une dif­férence a été relevée : dans les EMI, les indi­vidus ont le sen­ti­ment d’être à une fron­tière, celle de la mort en par­ti­c­uli­er. Un ressen­ti moins présent avec la DMT.

Dans l’état actuel de la recherche, une EMI est une forme d’hallucination. C’est une expéri­ence men­tale avec des per­cep­tions dis­so­ciées de l’environnement physique. Néan­moins, mal­gré leur dimen­sion récur­rente, il y a encore beau­coup d’éléments incon­nus au niveau du cerveau, de la mort et de la con­science. Cette déf­i­ni­tion pour­rait donc être remise en cause demain. Expli­quer les expéri­ences de mort immi­nente per­me­t­trait de mieux appréhen­der la con­science, son orig­ine et sa construction. 

Propos recueillis par Sirine Azouaoui

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