Que sont le vieillissement et la mort d’un point de vue biologique ?
- La mort est un concept biologique et philosophique au croisement de ces deux disciplines, ce qui complique sa définition concrète.
- Dans de nombreuses langues, le mot « mort » désigne un état, un processus et un événement. Sa compréhension nécessite une perspective philosophique et une observation cellulaire.
- Les recherches actuelles se concentrent sur le vieillissement, car repousser la mort implique de ralentir le processus de vieillissement pour maintenir une « vie bonne ».
- Les études sur la longévité indiquent que la restriction calorique augmenterait l’espérance de vie et ce, jusqu’à 50 % chez certaines espèces.
- Aujourd’hui, même si le lien entre longévité et alimentation est certain, le processus de la mort est plus complexe et reste à étudier.
Associer philosophie et biologie peut paraître curieux. Pourtant, de nombreux sujets mobilisent les deux disciplines qui sont, en retour, nécessaires à leur compréhension. La mort en est un parfait exemple. Cette réalité biologique reste un concept abstrait tant qu’on n’en a pas fait l’expérience dans nos vies. Mais aussi abstrait soit-il, la mort repose bien sur une réalité biologique.
Cet article fait partie de notre magazine Le 3,14 sur la mort.
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Comment définir un concept aussi vague que présent dans nos vies ?
Clémence Guillermain : C’est effectivement compliqué comme question, mais je pense qu’il y a de toute façon une clarification à faire entre ce qu’on appelle la mort, le vieillissement ou encore la fin de vie. Le philosophe des sciences Philippe Huneman a, justement, beaucoup travaillé sur la philosophie de la mort. Dans son dernier livre1, il écrit que le mot « mort » désigne, dans de nombreuses langues, au moins trois choses différentes : un état, un processus et un événement. La mort est l’état dans lequel se trouve quelque chose qui est mort et qui a donc été vivant. C’est un processus dans le sens où, à un moment donné, l’organisme commence à mourir et meurt progressivement jusqu’à être déclaré mort. Et c’est un événement dans le sens où on peut identifier, au moins en théorie, un moment précis où l’organisme meurt.
Pour comprendre ce qu’est la mort, il faudrait à la fois comprendre cet événement et les processus par lesquels on y arrive. Mais comment les comprendre si même leurs critères de définition dépendent des États, des continents, ou même des cultures ?
Alexis Gautreau : Ça peut dépendre un peu des cultures. Mais globalement on parle d’absence de pouls, de respiration et d’électroencéphalogramme plat. Le problème est qu’avec ces critères, il y a beaucoup de personnes qui ont été déclarées cliniquement mortes et qui sont « revenues » à la vie. Ce sont les fameuses expériences de mort imminente (EMI), extrêmement impressionnantes, et c’est un aspect que la thèse de Clémence a pu aborder. Les livres grand public, comme celui du docteur Moody2, rapportent tous les mêmes témoignages, par exemple, l’impression de sortir de son corps ou bien voir la lumière au bout du tunnel, quelles que soient les cultures et les croyances des personnes. Nous aurions tous une hormone psychédélique, la diméthyltryptamine (DMT), qui serait relarguée au moment fatal et qui nous aiderait à faire le passage, le grand voyage. Il y a très peu d’études sur la DMT, mais c’est fascinant. L’administration de DMT induit un état physiologique comparable à celui atteint par les personnes ayant fait une EMI3. Pourquoi l’évolution aurait-elle façonné un tel système ? Faire le grand voyage, rassuré ou non, devrait être neutre du point de vue de la sélection darwinienne. Si l’hypothèse de la DMT relarguée au moment fatidique est vraie, ce qui est extrêmement difficile à démontrer, il doit y avoir malgré tout une autre fonction à cette hormone…
C. : C’est là où une question en amène une autre, et les deux ont tendance à se confondre. Selon Ernst Mayr4 la Biologie du XXème siècle repose sur deux approches principales, avec des méthodes et des questionnements distincts. La biologie des causes lointaines (biologie évolutionniste) veut comprendre pourquoi on meurt, mais aussi pourquoi des caractéristiques biologiques comme la mort et le vieillissement n’ont pas été éliminés par la sélection naturelle. Alors que la biologie des causes prochaines (fonctionnalistes) se demande comment un organisme meurt, c’est-à-dire quels sont les mécanismes sous-jacents qui font qu’un individu et ses organes se dégradent progressivement jusqu’à sa mort.
Vers quelle question, les recherches actuelles sont-elles majoritairement orientées ?
A. : Les recherches dépendent des appels d’offres et donc des financements. Avant, il n’y avait que des appels d’offres sur les maladies proprement dites, les cancers, les maladies cardiovasculaires et neurodégénératives. Depuis une dizaine d’années, un accent très fort est mis sur le vieillissement lui-même, parce qu’on a compris que même si l’on avait le remède miracle contre le cancer ou Alzheimer, on mourrait très vite d’autres choses après. Et donc ce qu’il faut, c’est repousser la mort en ralentissant le processus de vieillissement. Le but du jeu étant de décaler dans le temps toutes les maladies liées à l’âge, comme toutes celles que j’ai mentionnées, pour non seulement vivre longtemps, mais vivre longtemps en bonne santé !
C. : Oui, tu fais ici référence à Robert Weinberg5 qui a montré que, même si l’on parvenait à guérir tous les cancers (deuxième cause de mortalité en France et aux États-Unis), on arriverait uniquement à augmenter l’espérance de vie d’environ trois ans.
A. : En tout cas, l’objectif de tout temps a plutôt été de savoir comment on meurt plutôt que pourquoi, même s’il y a maintenant tous ces financements consacrés à la longévité.
C. : Et le vieillissement, lui aussi, ce processus qui nous mène tous irrémédiablement à la mort, soulève de nombreuses questions. J’ai beaucoup travaillé dessus, et ne serait-ce que le définir est compliqué. À partir de quand vieillissons-nous ? Est-ce à partir de la naissance, de la maturité sexuelle ou bien d’une forme de déclin qu’il faudrait arriver à identifier ? Des modèles plus récents stipulent que notre vieillissement débute avec un ou plusieurs événements précis qui peuvent être, comme l’a montré Michael Rera, un de mes collègues, une augmentation drastique de la perméabilité intestinale6, par exemple. Ce type de phénomène serait une indication d’entrée dans une fin de vie.
A. : La perméabilité intestinale est une maladie chronique des personnes âgées, qui stimule énormément le système immunitaire. On s’attend à ce que tous les organes fonctionnent moins bien lors du vieillissement. En fait, c’est souvent le système immunitaire qui fonctionne trop. Il devient moins discriminant et commence à attaquer nos propres organes. Les maladies « auto-immunes » endommagent les organismes de nos aînés dans une proportion qui s’est accrue ces dernières décennies. Il semblerait tout de même qu’il reste possible de repousser, ou de ralentir le vieillissement. Il y a une intervention toute simple qui fonctionne dans beaucoup d’espèces, des levures unicellulaires, des mouches, des vers et des souris. En restreignant assez drastiquement l’apport alimentaire à l’organisme, chaque espèce vivra un peu plus longtemps7. Après, plus l’organisme est simple, plus le gain est élevé. Sur la levure, la durée de vie est multipliée par trois. Sur la souris, on n’est plus qu’à 50 % de gain. Chez l’homme, ce n’est évidemment pas démontré, car nous vivons déjà 80 ans en moyenne, et personne n’a fait l’expérience. Mais en gagnant 50 %, on passerait d’une espérance de vie moyenne de 80 à 120 ans. Une autre expérience a montré qu’on peut isoler des mutants qui vivent plus longtemps8. C’est une énorme surprise, parce que d’habitude, les mutants sont « mal foutus ». Alors que la plupart de ces mutants qui vivent longtemps étaient touchés dans des gènes qui codaient pour des protéines impliquées dans la consommation de l’énergie apportée par l’alimentation. Les deux observations vont absolument dans le même sens. C’est comme si notre métabolisme avait été programmé pour faire un certain nombre de tours et qu’ensuite on avait un programme codé dans nos gènes pour nous faire mourir.
Si un tel programme existe, est-il possible d’intervenir dessus ?
A. : Si ce programme existe, cela signifie qu’il a été conservé et façonné au cours de l’évolution des espèces. Quel serait l’avantage évolutif de nous faire mourir plus tôt ? Il semble que le prix à payer pour cette longévité augmentée en restriction calorique soit au niveau de la reproduction. En fait, si l’on vit avec un métabolisme réduit, on arrivera certes à ralentir notre compte-tours, mais à côté, nous serons globalement moins efficaces, et notamment dans les dépenses liées au fait de trouver un partenaire sexuel, de copuler, de procréer, d’amener ses petits à leur propre maturité sexuelle. Il y a une certaine logique à nous faire vivre à fond pendant 40 ans — le temps de faire tout ça — puis que nos capacités se dégradent lentement. Que nos capacités se dégradent lentement ou rapidement après, cela reste de toute façon en dehors du champ de la sélection darwinienne.
C. : Tout ceci a été conceptualisé par Thomas Kirkwood, qui a développé une des trois grandes théories de la biologie évolutionniste sur le vieillissement. C’est la théorie dite du soma jetable, qui repose sur l’idée que chaque individu disposerait d’une certaine quantité d’énergie, qu’il choisirait d’allouer préférentiellement, soit à la survie, soit au maintien de l’organisme, soit à la reproduction ou d’autres mécanismes. Le choix fait aurait un impact sur les autres.
A. : De tout cela, on retient qu’il y a des mutants qui peuvent vivre plus longtemps. Ces mutants sont dans nos gènes, et nos gènes codent pour des protéines. Or les protéines sont les cibles des molécules pharmaceutiques. L’effet de longévité pourrait donc, théoriquement, être reproduit à l’aide d’une molécule ciblant ces protéines qui régulent notre métabolisme. Aujourd’hui, la preuve de concept est faite. À l’aide de la rapamycine, on arrive à faire vivre plus longtemps les souris9. On pourrait prendre se reproduire d’abord et essayer de vivre plus longtemps grâce à un tel médicament dans la deuxième partie de sa vie.
C. : Je nuancerais un tout petit peu, dans le sens où, si on regarde les grandes études faites sur la longévité, la part génétique de l’espérance de vie est tout de même assez réduite10. Par ailleurs, les résultats obtenus sur des espèces comme le nématode et même la souris paraissent plutôt extraordinaires. Pour le moment, on garde l’impression que c’est plus complexe, et qu’il reste difficile de trouver un gène ou un petit nombre de gènes chez les espèces plus développées permettant vraiment d’améliorer considérablement la durée de vie.
A. : Évidemment, je suis d’accord avec toi, cela ne reste qu’un espoir pour le moment. Seulement, ce qui est certain aujourd’hui est le lien, gros comme une maison, avec l’alimentation. Ce qui fait vivre longtemps, c’est la restriction calorique. Et cela se rapproche beaucoup des mesures prises pour lutter contre le cancer ou le diabète qu’il faut arrêter de nourrir avec notamment des apports en sucre disproportionnés. Nous avons certes des programmes qui nous font mourir à 120 ans — l’âge limite de l’espèce humaine —, mais ce sont ces mêmes programmes qui mettent des freins aux multiples tumeurs qui se développent en permanence chez nous. Le phénomène de sénescence, par exemple, empêche de nombreuses cellules de former des tumeurs en bloquant irrémédiablement leur prolifération, mais ces cellules sénescentes sécrètent aussi des molécules inflammatoires qui nous font vieillir. On ne peut s’empêcher de penser qu’il y a de nombreux compromis de ce genre, et toute la question est de savoir si on arrivera à exploiter le bon côté sans activer simultanément le mauvais côté…