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La santé des femmes investie par la médecine  

« Près de 80 % des femmes font passer la santé de leurs proches avant la leur »

Claire Mounier-Vehier, professeure en médecine vasculaire et cheffe de service à l’Institut Cœur Poumon du CHU de Lille
Le 29 novembre 2024 |
8 min. de lecture
Claire Mounier
Claire Mounier-Vehier
professeure en médecine vasculaire et cheffe de service à l’Institut Cœur Poumon du CHU de Lille
En bref
  • Les problèmes cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité chez les femmes, notamment en raison de risques liés à leur anatomie, leur physiologie et leur profil hormonal.
  • Lors de l'utilisation de la contraception, les œstrogènes de synthèse augmentent le risque d’hypertension artérielle et activent la coagulation, ce qui accroît le risque de thrombose.
  • Les femmes qui prennent des œstrogènes de synthèse après l’accouchement s’exposent également à des risques de thromboses, d’embolies massives et de mort subite.
  • Les traitements du cancer du sein peuvent être associées à des complications cardiovasculaires et près de 40 % des femmes ne réalisent pas leur mammographie, ce qui complique le dépistage.
  • Pour lutter contre les problèmes cardiovasculaires, des initiatives comme Le Bus du Cœur des Femmes visent à réduire les inégalités d'accès aux soins en France notamment en facilitant le dépistage des maladies cardiovasculaires.

Longtemps mise de côté, la san­té des femmes revient pro­gres­sive­ment sur le devant de la scène. Mais la Pro­fesseure Claire Mounier-Véhi­er, car­di­o­logue et médecin vas­cu­laire au CHU de Lille, n’a pas atten­du l’actualité pour pren­dre le prob­lème à bras-le-corps. Cofon­da­trice d’Agir pour le Cœur des Femmes avec Thier­ry Drilhon, elle milite depuis plus de 30 ans pour une meilleure prise en charge de la san­té car­dio­vas­cu­laire fémi­nine en France.

Les problèmes cardiovasculaires sont la première cause de mortalité chez la femme. Comment peut-on l’expliquer ?

Claire Mounier-Véhi­er. Tout d’abord, il est impor­tant de rap­pel­er que les prob­lèmes car­dio­vas­cu­laires sont des mal­adies liées à des fac­teurs envi­ron­nemen­taux : dans 8 cas sur 10, ils pour­raient être évités avec une hygiène de vie « opti­male » tant en ce qui con­cerne l’alimentation que l’activité physique et le som­meil. Ensuite, si cer­tains fac­teurs de risque clas­siques comme l’hy­per­ten­sion, le tabac, le dia­bète, l’obésité, le stress, etc. touchent tout autant les hommes, il existe des risques spé­ci­fiques aux femmes sur le plan anatomique, phys­i­ologique et hor­mon­al. À com­mencer par les artères, beau­coup plus sen­si­bles et plus fines : pour une même plaque de cholestérol, l’effet réduc­teur sur la lumière artérielle sera plus pré­coce chez la femme que chez l’homme. Les risques car­dio­vas­cu­laires féminins évolu­ent aus­si tout au long de la vie, notam­ment lors de trois phas­es clés : la con­tra­cep­tion avec les œstrogènes, la grossesse, puis la ménopause.

En quoi la contraception peut-elle avoir un effet sur la santé cardiovasculaire ?

Les con­tra­cep­tions à base de prog­es­ta­t­ifs purs n’ont aucun effet négatif sur la san­té car­dio­vas­cu­laire. En revanche, dès que l’on pre­scrit des œstrogènes de syn­thèse comme la pilule, l’anneau vagi­nal ou le patch con­tra­cep­tif, la san­té car­dio­vas­cu­laire peut être affec­tée. En effet, ces hor­mones sont métabolisées par le foie, aug­mentent le risque d’hypertension artérielle et activent la coag­u­la­tion avec un risque de throm­bose artérielle (AVC, infarc­tus) et veineuse (phlébite, embolie pulmonaire). 

Cette con­tra­cep­tion com­binée ou œstro­prog­es­ta­tive est con­tre-indiquée chez les jeunes filles sujettes à des fac­teurs de risque comme la prise de tabac après 35 ans, le sur­poids, le dia­bète, l’excès de cholestérol ou des migraines dites « avec aura ». Il est donc impor­tant de par­ler de ces con­tre-indi­ca­tions dès la pre­mière con­sul­ta­tion gyné­cologique, et de faire le point sur l’hérédité car­dio-vas­cu­laire. J’ai en mémoire une patiente de 27 ans qui a dû être amputée de ses deux jambes à cause d’une con­tra­cep­tion inadap­tée. À savoir égale­ment qu’après 40 ans, il faut essay­er d’éviter le plus pos­si­ble les œstrogènes de synthèse.

Concernant les risques cardio-vasculaires pendant la grossesse, de quoi parle-t-on exactement ?

Je vais vous don­ner l’exemple per­cu­tant de l’embolie pul­monaire mas­sive. À par­tir du deux­ième trimestre, le corps de la femme enceinte se met phys­i­ologique­ment « en mode throm­bose », c’est-à-dire qu’il fab­rique plus facile­ment des cail­lots qui bouchent les vais­seaux pour éviter de trop saign­er à l’ac­couche­ment. Or, les œstrogènes de syn­thèse mobil­isés par les tech­niques de con­tra­cep­tion ont le même effet : rai­son pour laque­lle ils sont con­tre-indiqués jusqu’à 6 semaines après l’accouchement.

En sor­tie de mater­nité, on pre­scrit donc unique­ment des con­tra­cep­tions micro-prog­es­ta­tives pures. Mais quand de petits saigne­ments per­sis­tent, les femmes repren­nent l’ancienne pla­que­tte de pilules avec les œstrogènes restée sur la table de nuit et là, on s’expose à des risques d’embolie mas­sive et de mort subite. On ne par­le pas ici d’évènements anecdotiques.

Autres patholo­gies plus fréquentes : l’hypertension artérielle de la grossesse, qui con­cerne une grossesse sur 10, et le dia­bète ges­ta­tion­nel, qui doit être dépisté régulière­ment, notam­ment pour les grossess­es pour les femmes de plus de 35 ans.

La dernière phase à risque dans la vie d’une femme est la ménopause, qui arrive autour de 50 ans. Mais parfois, celle-ci se produit plus tôt…

Oui, mais par­ler de « ménopause pré­coce » à une femme qui a 30, 35, ou 40 ans peut être très stig­ma­ti­sant. On par­le plutôt d’insuffisance ovari­enne pré­maturée (IOP). Dans ces cas-là, on pro­pose un traite­ment hor­mon­al sub­sti­tu­tif (THS). C’est sou­vent le cas chez les femmes qui ont eu des grossess­es assistées et qui sont passées par des stim­u­la­tions fol­lic­u­laires. Elles ont donc per­du plus tôt leur cap­i­tal d’ovocytes, entraî­nant une carence hor­monale pré­coce. Si le risque car­dio­vas­cu­laire aug­mente dès la périménopause, il se trou­ve majoré en cas d’IOP.

Nous avons parlé du triptyque contraception, grossesse, ménopause. Est-ce qu’il existe d’autres facteurs de risque ?

Oui, ils sont liés aux mal­adies plus féminines, comme le can­cer du sein. Les femmes qui sont passées par là, et je m’inclus dedans, ont plus de risques de ren­con­tr­er des prob­lèmes car­dio-vas­cu­laires, notam­ment à cause des traite­ments. La chimio­thérapie abîme le mus­cle car­diaque de façon plus impor­tante chez les femmes, la radio­thérapie accélère le vieil­lisse­ment des artères et enfin, les anti-aro­matases – qui sont des anti-œstrogènes très puis­sants – accentuent les effets pré­co­ces de la ménopause. Si l’on revient à l’aspect préven­tion con­tre le can­cer du sein, près de 40 % des femmes ne font pas leur mam­mo­gra­phie : le dépistage est pour­tant très important.

On peut égale­ment citer d’autres fac­teurs de risque émer­gents comme l’endométriose et le syn­drome des ovaires polykys­tiques, la migraine dont celle avec aura, les cal­ci­fi­ca­tions artérielles mam­maires… Les mal­adies inflam­ma­toires ont égale­ment une plus forte pré­va­lence chez les femmes : pol­yarthrites rhu­ma­toïdes, mal­adies de Crohn, sclérose en plaque… Ces dernières ont pour effet de boost­er le vieil­lisse­ment de l’artère.

Enfin, on oublie sou­vent de pren­dre en compte l’impact des psy­choses et des dépres­sions, notam­ment post­par­tum, chez la femme. Les traite­ments de ces mal­adies les antipsy­cho­tiques et anti­dé­presseurs ont aus­si un impact métabolique épou­vantable, aug­men­tant le risque d’infarctus du myocarde.

Est-ce que les médecins sont formés à ces risques cardiovasculaires spécifiques aux femmes ?

On com­mence : les étu­di­ants sont de plus en plus for­més et des ses­sions de for­ma­tion trans­ver­sales ont lieu dans les con­grès. Le plus impor­tant est de tra­vailler tous ensem­ble pour avoir une vision 360° de la san­té de la femme. C’est ce que nous faisons dans les dépistages du Bus du Cœur des Femmes avec notre fon­da­tion Agir pour le Cœur des Femmes. Nous tra­vail­lons égale­ment beau­coup avec les gyné­co­logues et les obstétriciens sur les par­cours car­dio-gyné­cologiques mais il reste encore du tra­vail de for­ma­tion et de com­mu­ni­ca­tion à faire. J’ai fait récem­ment une for­ma­tion à la fac­ulté de médecine à Lille avec des étu­di­ants de 3ème année. En regar­dant les man­nequins, j’ai demandé : « il n’y a rien qui vous choque ? ». Il n’y avait que des man­nequins mas­culins. Je leur ai donc expliqué com­ment utilis­er leur stétho­scope et faire une aus­cul­ta­tion avec la présence des seins : les étu­di­ants étaient très contents. 

Dans la recherche, est-ce que les études scientifiques se concentrent autant sur la santé des femmes que celle des hommes ?

Non, parce la recherche thérapeu­tique est paralysée à l’idée de don­ner des médica­ments à risque à une femme enceinte. Les chercheurs veu­lent à tout prix éviter les risques tératogènes provo­quant des mal­for­ma­tions chez le fœtus. Les femmes sont donc inclus­es dans les études unique­ment avec un test de grossesse négatif, une con­tra­cep­tion effi­cace ou plus sim­ple­ment si elles sont déjà ménopausées. Dans l’ensemble, on arrive à 30 % de femmes pour 70 % d’hommes dans ces essais d’intervention. En revanche, dans les reg­istres épidémi­ologiques on se rap­proche plutôt du 50/50.

Les symptômes masculins de l’infarctus du myocarde sont connus (douleur thoracique, gêne dans le bras…) mais sont-ils les même chez les femmes ?

Non, pas tou­jours, et c’est un prob­lème. Chez les femmes, les symp­tômes sont d’ailleurs large­ment ignorés, d’où la créa­tion d’une info­gra­phie sur le site d’Agir pour le Cœur des Femmes. Elles se plaig­nent sou­vent d’une sen­sa­tion d’oppression dans la poitrine, de pal­pi­ta­tions, de sueurs froides, de malais­es ou de nausées, de douleurs atyp­iques entre les omo­plates ou dans la mâchoire. Cer­taines ressen­tent aus­si une gêne au creux de l’estomac, l’impression d’avoir du mal à digérer. 

Près de 40% des femmes ne font pas leur mam­mo­gra­phie : le dépistage est pour­tant très impor­tant pour prévenir d’un can­cer du sein

Les patientes vous dis­ent sou­vent et a pos­te­ri­ori : « c’était pas comme d’habitude » et décrivent une sen­sa­tion de mal être et d’angoisse par­al­lèle­ment à ces symp­tômes atyp­iques et récur­rents. Mais encore trop sou­vent hélas, les médecins ne pren­nent pas en compte ces symp­tômes ou ne les relient pas à un prob­lème cardiaque.

Est-ce qu’il y a également un aspect psychosocial qui rentre en jeu ?

Bien sûr. Les vio­lences sont d’ailleurs le troisième fac­teur de risque d’infarctus du myocarde de la femme. Quand je par­le de vio­lence, j’inclus les vio­lences ver­bales, morales ou physiques. Les vio­lences auprès des femmes sont majori­taire­ment provo­quées par des hommes. En out­re, ces dernières subis­sent égale­ment une charge men­tale et un stress plus important.

La ques­tion de l’hygiène de vie est aus­si cen­trale con­cer­nant la préven­tion des mal­adies car­dio­vas­cu­laires de la femme. On observe notam­ment l’augmentation de la con­som­ma­tion d’aliments ultra-trans­for­més, de tabac, de cannabis, de drogues récréa­tives et d’alcool chez les femmes, cou­plée à des métiers plus séden­taires, où elles sont assis­es der­rière un ordi­na­teur. Faire du sport deux fois par semaine ne résout pas tout. La séden­tar­ité, c’est rester assis au moins six heures par jour. Aujourd’hui, je dirais que ça tue autant que l’eau non-potable au siè­cle dernier.

Mais il y a des solu­tions : je con­seille par exem­ple de faire une micro-sieste de 15–20 min­utes après le déje­uner ; ou de s’obliger à se lever toutes les heures pen­dant 5 à 10 min­utes, voire de pass­er des appels debout en marchant… Toutes les entre­pris­es devraient per­me­t­tre à leurs salariés de bouger : en plus d’être en meilleure san­té, ils seraient plus efficaces.

Est-ce qu’il y a une sorte d’auto-censure aux soins chez les femmes, qui font passer les autres avant elles ?

Oui, les femmes nég­li­gent leur san­té. Dans une enquête AXA Préven­tion sur un pan­el mixte pub­lié en sep­tem­bre 2021, 80 % des femmes annon­cent s’oc­cu­per d’abord de la san­té de leurs proches avant la leur, 75% déca­lent leurs ren­dez-vous médi­caux, et 80 % font de l’automédication.

L’accès aux soins est égale­ment très iné­gal en France et l’on reste très pénal­isé par la déser­ti­fi­ca­tion médi­cale. D’où l’importance des ini­tia­tives comme le Bus du Cœur des Femmes et Agir pour le  Cœur des Femmes. Le Bus du Cœur des Femmes, c’est 1 300 pro­fes­sion­nels de san­té qui sont mobil­isés bénév­ole­ment chaque année. Le bus et sa mai­son médi­cale mobile s’arrêtent 3 jours dans une ville, et ne désem­plit pas. Lors de 17 étapes, un dépistage car­dio­vas­cu­laire et gyné­cologique est pro­posé en moyenne à 250 à 300 femmes par étape. Près de 9 femmes dépistées sur 10 ont au moins deux fac­teurs de risque car­dio­vas­cu­laire… et près de la moitié d’entre elles (46 %) cumu­lent des fac­teurs de risque gyné­co-obstétrique. Les don­nées des femmes sont recueil­lies par l’Observatoire nation­al de la san­té des femmes.

Ce qu’il est impor­tant de retenir c’est que nous, les femmes, nous devons mieux pren­dre soin de nous, nous pro­téger ; agir plutôt que subir l’accident car­dio­vas­cu­laire. Rap­pelons-le encore : nous pou­vons éviter la mal­adie dans 8 cas sur 10 par une préven­tion effi­cace, un repérage des fac­teurs de risque et une meilleure hygiène de vie
 

Propos recueillis par Sophie Podevin


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