PrEP : prévenir l’infection par le VIH sans vaccin
- La PrEP est une méthode de prévention contre le VIH, disponible en France depuis 2016.
- C’est un traitement préventif qui, pris en amont d’une exposition potentielle au VIH, permet d’empêcher l’infection à hauteur de 90 %.
- La PrEP fonctionne, sans effets secondaires notables, sous réserve que l’observance soit respectée.
- Ce traitement existe sous différentes formes et avec différentes compositions ou modalités d’administration.
- L’enjeu majeur est d’identifier les modes de distribution adéquats (téléconsultations, délivrance dans des lieux communautaires, pharmacie…) pour augmenter son accessibilité à travers le monde.
Quarante ans après l’identification du Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH), responsable du syndrome d’immunodéficience acquise (sida), la pandémie correspondante n’a toujours pas été stoppée. Plus d’un million de personnes sont infectées chaque année dans le monde1 et, en France, environ 5 000 personnes par an apprennent leur séropositivité2. Nous n’avons toujours pas de vaccin efficace contre le VIH. Mais, saviez-vous qu’en plus du préservatif, il existe une méthode de prévention efficace à plus de 90 % ? Cette dernière est disponible gratuitement en France depuis 2016 ?
Les débuts de la PrEP
Baptisée prophylaxie pré-exposition, ou PrEP, son principe est simple : prendre un traitement antiviral en amont d’une exposition potentielle au VIH, pour empêcher l’infection par ce virus. Les premières données confirmant l’efficacité de cette approche remontent à 2010, via deux études. Dans l’essai CAPRISA 004, mené en Afrique du Sud, un gel vaginal contenant du ténofovir (un composé qui inhibe l’enzyme transcriptase inverse du VIH, essentielle au fonctionnement du virus) a été testé par 889 jeunes femmes3. Dans l’essai iPrEx, mené dans six pays, des comprimés contenant une combinaison de ténofovir et d’un autre inhibiteur de la transcriptase inverse, l’emtricitabine, ont été utilisés par près de 2 500 femmes trans ou hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes4
le principe est simple : prendre un traitement antiviral en amont d’une exposition potentielle au VIH, pour empêcher l’infection par ce virus
Les résultats obtenus étaient similaires et ont fait, dès le départ, ressortir trois points importants. D’une part : la PrEP fonctionne. La prise préventive d’antiviraux a diminué le risque de contamination par le VIH de 39 % dans l’essai CAPRISA 004 et de 44 % dans l’essai iPrEx. D’autre part, et cela explique ces taux d’efficacité relativement bas, l’observance est très variable. Qu’il s’agisse d’un gel vaginal utilisé ponctuellement ou d’un comprimé quotidien, le protocole était loin d’être suivi à la lettre par tous les participants. Parmi les plus assidus, la protection conférée par le gel était de 54 % et celle liée aux comprimés de 92 %. Enfin, aucun des deux essais n’a mis en évidence d’effet secondaire notable de la PrEP. De nombreux essais cliniques et études en vie réelle ont été menés depuis, dans plusieurs régions du monde ne se limitant pas aux pays développés. Ces essais concernaient différentes populations : des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, des consommateurs de drogues injectables, des couples sérodiscordants, des femmes trans et cisgenres, des hommes hétérosexuels… Les résultats obtenus ont amené l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à recommander l’usage de la PrEP orale à base de ténofovir à l’ensemble des personnes à risque substantiel d’exposition au VIH en 20155. Un risque substantiel est défini par un taux d’incidence de plus de 3 nouveaux cas de VIH pour 100 personnes par an dans la population concernée, en l’absence de PrEP.
La PrEP aujourd’hui en France
Les profils et situations des personnes susceptibles de bénéficier de la PrEP sont extrêmement variés, notamment en termes d’accès aux infrastructures médicales, y compris dans les pays développés. Or, l’efficacité de la PrEP dépend principalement de l’assiduité avec laquelle elle est suivie. Une étude en vie réelle en France, concernant des hommes à fort risque d’infection VIH, a par exemple montré que la PrEP orale en continu protège à 60 % en moyenne, et à 93 % quand elle est prise avec régularité6. Pour maximiser l’efficacité de la PrEP, il est donc nécessaire de développer un éventail d’offres et de modalités d’administration répondant aux contraintes et aux besoins réels des personnes susceptibles de les utiliser.
En France, la PrEP est accessible et intégralement prise en charge depuis 2016, avec une possibilité de délivrance sans avance de frais dans les CeGIDD (Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic). Elle prend la forme de comprimés oraux combinant ténofovir et emtricitabine (le Truvada, ou ses génériques). Ils peuvent être pris en continu, à raison d’un comprimé par jour à heure fixe, ou de façon ponctuelle. Dans ce cas, deux cachets doivent être pris simultanément 2 à 24 heures avant la situation à risque, puis un cachet par jour les deux jours suivants. Plus de 80 000 personnes ont utilisé ce moyen de prévention depuis sa mise à disposition, et ce nombre continue d’augmenter. Il s’agit à 97 % d’hommes, âgés de 36 ans en moyenne, vivant principalement en zones urbaines. Mais les proportions de femmes, de personnes vivant en zones rurales et de bénéficiaires de la couverture santé solidaire augmentent progressivement7.
Différentes formes de PrEP
PrEP ne rime pas forcément avec comprimé oral. Ces dernières années, deux autres approches ont été ajoutées aux recommandations de l’OMS. La première correspond à des anneaux vaginaux en silicone, qui doivent être portés pendant 28 jours et libèrent progressivement de la dapivirine, un autre inhibiteur de la transcriptase inverse du VIH. Recommandée par l’OMS depuis 20218, cette modalité de PrEP est notamment mise en place dans plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne, où les femmes constituent la population la plus exposée au VIH. Ces anneaux vaginaux sont plus discrets que des comprimés quotidiens et offrent plus d’autonomie, ce qui les rend plus accessibles pour certaines utilisatrices. Sur le même principe, d’autres modalités de délivrance sont à l’étude, comme les films vaginaux ou les inserts solubles du programme MATRIX9.
Diminuer la fréquence de prise permet de gagner en discrétion, mais aussi de faciliter l’observance, ce qui est un enjeu majeur pour l’efficacité de la PrEP. Cela passe par la mise au point de dispositifs libérant progressivement des antiviraux, mais aussi par l’identification de molécules actives à long terme. Dans ce domaine, en soulignant que de la recherche à ce sujet reste nécessaire, l’OMS recommande depuis 2022 l’ajout du cabotégravir à l’arsenal utilisable pour la PrEP10. Cette molécule est un inhibiteur de l’enzyme intégrase du VIH, qui est délivré sous la forme d’injections tous les deux mois. Testée chez des hommes et des femmes, dans différentes régions du monde, cette forme de PrEP s’avère encore plus efficace que la PrEP orale standard. Les chiffres varient selon les essais, mais en moyenne, elle semble diminuer le risque de contamination d’environ 80 % par rapport à la PrEP orale, essentiellement parce que l’observance est meilleure avec les injections.
En septembre 2023, la formulation Apretude, correspondant à du cabotégravir injectable, a été validée par l’Agence européenne des médicaments11. L’essai clinique CABOPrEP, visant à évaluer l’efficacité de la PrEP injectable en France, doit démarrer début 2024. Cette approche, ne nécessitant qu’une intervention tous les deux mois, vient enrichir la gamme proposée aux personnes concernées par la PrEP, mais elle a ses propres inconvénients. Les injections ne peuvent pas être auto-administrées et s’adressent donc plutôt à des populations en contact avec les structures médicales. Et, contrairement aux autres formes de PrEP, l’utilisation du cabotégravir semble associée à quelques apparitions de variants résistants du VIH, ce qui demande une vigilance particulière.
Le futur de la PrEP
La remarquable efficacité de la prophylaxie pré-exposition est une révolution dans la lutte contre le VIH. Pour maximiser ses bénéfices, il est recommandé de l’utiliser en parallèle d’autres mesures de réduction des risques et non en remplacement de celles-ci. Mais la PrEP étant une avancée récente, pouvant prendre plusieurs formes et reposer sur des antiviraux différents, elle continue à évoluer au fil des résultats de la recherche. Plusieurs composés sont actuellement étudiés pour évaluer leur potentiel d’utilisation en PrEP, comme l’inhibiteur de transcriptase inverse MK-852712 ou le lenacapavir, premier inhibiteur de la capside du VIH (l’enveloppe qui protège le génome du virus), qui possède une activité à long terme et pourrait permettre des injections tous les six mois13.
L’accumulation des études fait par ailleurs émerger des points de vigilance. En plus des résistances virales liées au cabotégravir, des effets secondaires associés à la combinaison ténofovir/emtricitabine utilisée dans le Truvada et ses équivalents ont été repérés. Cela concerne moins d’une personne sur dix, mais des nausées, diarrhées et douleurs abdominales peuvent apparaître au moment du démarrage de cette forme de PrEP, avant de s’estomper15. De très rares effets subcliniques sur les reins1617 et la densité osseuse18 ont également été constatés. Un retour à la normale a été observé après l’arrêt de la PrEP, mais les recommandations ont été adaptées et cette forme de prévention est désormais déconseillée par l’OMS en cas d’insuffisance rénale (clairance de la créatinine inférieure à 60 mL/min).
Une autre formulation de PrEP orale, combinant l’emtricitabine à une forme différente de ténofovir et provoquant moins d’effets secondaires a alors été mise en avant : le Descovy. Celle-ci n’est cependant pas disponible en Europe, faute d’un accord sur son prix et de certitude sur les bénéfices apportés par rapport au Truvada19. Le prix des médicaments reste un sujet central, notamment dans les pays aux moyens limités, où vivent la plupart des personnes touchées par le VIH. De façon générale, la disponibilité de la PrEP et des traitements antiviraux pour toutes les populations concernées par ce virus, dans tous les pays, est toujours un défi majeur. Les résultats des sciences de l’implémentation ont ainsi une place importante dans les recommandations de l’OMS concernant le VIH20. Pour que chacun trouve une solution adaptée à ses besoins, il est nécessaire de proposer des dispositifs médicaux différents (comprimés, injections, anneaux vaginaux…), d’utiliser des composés différents, mais aussi de développer des modalités de distribution différentes. Dispositifs mobiles, téléconsultations, délivrance dans des lieux communautaires, accès direct en pharmacie : la recherche est aussi nécessaire pour identifier les solutions les plus adaptées à chaque contexte. La mise au point des meilleures approches thérapeutiques reste vaine si celles-ci ne sont pas accessibles aux personnes qui en ont besoin.