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Le sommeil démystifié par la science

Pourquoi mieux dormir préserve la santé cardiovasculaire

Jean-Philippe Empana, médecin et directeur de recherche INSERM au centre de recherche cardiovasculaire de Paris (PARCC)
Le 18 septembre 2024 |
4 min. de lecture
JP Empana
Jean-Philippe Empana
médecin et directeur de recherche INSERM au centre de recherche cardiovasculaire de Paris (PARCC)
En bref
  • Le nombre de décès liés à une maladie cardiovasculaire (MCV) aurait augmenté de 60 % depuis 1990, ce qui en fait la première cause de mortalité.
  • Des efforts de recherche considérables sont déployés pour mieux identifier les facteurs et les marqueurs de risques, afin d'agir le plus en amont possible.
  • De nombreux facteurs de risques ont déjà été identifiés (tabagisme, diabète, alcool, sédentarité, etc.), mais les chercheurs s’intéressent de plus en plus au sommeil.
  • D’après les travaux d’une équipe de chercheurs : plus le sommeil est « bon », plus le nombre de cas de MCV diminue.
  • D’après l’étude, il n’est jamais trop tard pour augmenter la qualité de son sommeil et préserver sa santé cardiovasculaire.

De nom­breux travaux étab­lis­sent aujour­d’hui un lien sig­ni­fi­catif entre trou­bles du som­meil et mal­adies car­dio­vas­cu­laires. Une étude récente de l’IN­SERM, menée en col­lab­o­ra­tion avec le Cen­tre hos­pi­tal­ier uni­ver­si­taire vau­dois, éclaire d’une manière nou­velle cette asso­ci­a­tion et ouvre de nou­velles pistes pour la préven­tion de ces pathologies.

Le nom­bre de décès liés à une mal­adie car­dio­vas­cu­laire (MCV) a explosé au cours des dernières décen­nies. Selon la World Heart Fed­er­a­tion, il aurait aug­men­té de 60 % depuis 1990, c’est-à-dire plus vite que la pop­u­la­tion mon­di­ale. Chaque année, plus de 20 mil­lions de per­son­nes meurent ain­si d’une MCV dans le monde. Ce sin­istre record fait de ces patholo­gies, qui recou­vrent un ensem­ble de trou­bles affec­tant le cœur et les vais­seaux san­guins, la pre­mière cause de mor­tal­ité à l’échelle glob­ale (et la deux­ième en France).

Des facteurs de risque qui sont encore à investiguer

La préven­tion des MCV con­stitue ain­si un enjeu de san­té publique majeur. Des efforts de recherche con­sid­érables sont déployés pour mieux iden­ti­fi­er non seule­ment les­fac­teurs de risques (élé­ments qui par­ticipent au développe­ment des mal­adies), mais égale­ment leurs mar­queurs de risques (élé­ments qui sig­na­lent un risque accru, sans que le lien de cause à effet soit for­cé­ment établi), afin d’a­gir le plus en amont possible.

Si l’on sait sans doute pos­si­ble que le tabag­isme, le dia­bète, l’usage nocif de l’al­cool, la mau­vaise ali­men­ta­tion ou encore la séden­tar­ité con­tribuent directe­ment à la sur­v­enue des MCV, des preuves sci­en­tifiques de plus en plus nom­breuses désig­nent aus­si le som­meil comme un mar­queur de risque sig­ni­fi­catif. Dif­férentes études ont par exem­ple mon­tré que les acci­dents vas­cu­laires cérébraux (AVC) ou les infarc­tus du myocarde sont à terme plus fréquents chez les petits ou gros dormeurs (durée de som­meil inférieure à 6 heures ou supérieure à 9 heures) ou chez les per­son­nes faisant des apnées du som­meil que dans le reste de la pop­u­la­tion. Peut-on appro­fondir cette asso­ci­a­tion et l’ex­ploiter dans le domaine de la préven­tion ? C’est la ques­tion à laque­lle l’équipe d’épidémiologie inté­gra­tive des mal­adies car­dio­vas­cu­laires du Cen­tre car­dio­vas­cu­laire (Inserm/Université Paris Cité) menée par Jean-Philippe Empana a ten­té de répon­dre, en col­lab­o­ra­tion avec le Cen­tre hos­pi­tal­ier uni­ver­si­taire vau­dois de Lausanne.

Le « score sommeil »

Ses travaux se sont appuyés sur deux cohort­es européennes de pop­u­la­tion générale : l’une, française, comp­tant 10 175 adultes de 50 à 75 ans ; la sec­onde, suisse, regroupant 6 733 indi­vidus de plus de 35 ans. « La plu­part des études exis­tantes se con­cen­trent sur une seule com­posante du som­meil, le plus sou­vent sur sa durée ou sur la présence d’ap­nées du som­meil. Mais un « bon som­meil » englobe en réal­ité plusieurs com­posantes. Nous avons essayé de pren­dre cette car­ac­téris­tique en compte en adop­tant une approche plus glob­ale », explique Jean-Philippe Empana. Les chercheurs ont ain­si mis au point un « score de som­meil », sci­en­tifique­ment robuste mais volon­taire­ment sim­ple pour que cha­cun puisse se l’ap­pro­prier, s’ap­puyant sur cinq mar­queurs clés de la quan­tité et de la qual­ité du som­meil : sa durée quo­ti­di­enne moyenne, la présence de som­no­lences diurnes exces­sives, la présence d’ap­née du som­meil, la fréquence des insom­nies et le chrono­type (le fait d’être du matin ou du soir). Chaque item est noté 0 ou 1, le score opti­mal de 5 cor­re­spon­dant à une durée de som­meil com­prise entre 7 et 8 heures, une absence d’in­som­nie, d’ap­nées et de som­no­lence diurne et un chrono­type du matin.

« À par­tir de ce score, nous voulions étudi­er les effets d’une évo­lu­tion dans le temps des habi­tudes de som­meil, car les travaux précé­dents se focal­i­saient plutôt sur l’as­so­ci­a­tion sommeil/MCV à un instant don­né seule­ment », pour­suit le directeur de recherche. Pour chaque indi­vidu, le score de som­meil a été éval­ué à un instant 0, puis deux à cinq ans plus tard, et les risques car­dio­vas­cu­laires ont été sur­veil­lés pen­dant 8 à 10 ans. Les liens entre ce score et le nom­bre d’in­farc­tus, d’AVC ou d’in­suff­i­sance car­diaque ont ensuite été analysés en s’af­fran­chissant des fac­teurs de risques poten­tiels (tabag­isme, dia­bète…), du sexe et de l’âge des par­tic­i­pants, et en exclu­ant les per­son­nes ayant déjà présen­té des MCV dans le passé.

Les résul­tats sont très nets. Plus le score obtenu est élevé, plus le nom­bre de cas de MCV dimin­ue. Il est ain­si respec­tive­ment 10 %, 19 %, 38 % et 63 % plus faible pour les sous-groupes cor­re­spon­dant à des scores de 2, 3, 4 et 5 que pour le sous-groupe des per­son­nes ayant obtenu des scores de 0 ou 1. Mais l’é­tude démon­tre surtout que quel que soit le score de départ, le nom­bre de cas de MCV dimin­ue pour les par­tic­i­pants ayant amélioré leurs habi­tudes de som­meil. Chaque point de score gag­né, quel que soit l’item con­sid­éré, cor­re­spond à une diminu­tion de 16 % des cas de MCV dans le groupe con­cerné. Jean-Philippe Empana s’enthousiasme : « ces résul­tats soulig­nent deux choses : d’abord, qu’amélior­er son som­meil est asso­cié à des béné­fices con­sid­érables sur les risques de MCV. Ensuite qu’il n’est jamais trop tard pour préserv­er sa san­té car­dio­vas­cu­laire en agis­sant sur son som­meil. C’est un sig­nal très fort, dont nous espérons que cha­cun pour­ra se saisir. »

Faut-il en déduire pour autant que les trou­bles du som­meil fig­urent par­mi les caus­es des MCV ? « Non, et ce n’est pas ce que l’é­tude cher­chait à mon­tr­er. Mais bien sûr, l’hy­pothèse reste plau­si­ble puisque nos résul­tats ne la con­tre­dis­ent pas », éclaire le directeur de recherch­es. Pour établir un lien de causal­ité, il faudrait en effet pou­voir mon­tr­er non seule­ment qu’il y a bien asso­ci­a­tion entre som­meil et MCV, que les trou­bles du som­meil précè­dent la sur­v­enue de ces patholo­gies (ce que l’é­tude a établi), mais égale­ment appro­fondir les mécan­ismes phys­iopathologiques expli­quant ce lien (d’autres équipes y tra­vail­lent), puis con­firmer les résul­tats par des essais ran­domisés. Pas d’ex­trap­o­la­tion hâtive donc.

Anne Orliac

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